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Pour une lecture pro-européenne des "nouvelles routes de la Soie" chinoises
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La confiance donnée par le président français ouvre la voie à ce que cette initiative puisse être la matrice d’une véritable requalification du logiciel français à l’international.

Joël Ruet

Joël Ruet

Joël Ruet est économiste, chercheur CNRS au Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique. Il a enseigné à l'École des Mines de Paris, à HEC-Paris, à l’université Jawaharlal Nehru (New Delhi, Inde). Joël Ruet a fondé le think tank, The Bridge Tank membre du Think20 du G20 et contribue à ses travaux sur le changement climatique et la finance verte. Spécialiste de l’émergence notamment en Inde, en Chine et en Afrique, ses travaux portent sur la recomposition industrielle et l’économie politique du capitalisme.

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La visite du Président Macron à Beijing n’a pas manqué de tourner autour de la grande préoccupation chinoise des « Nouvelles Routes de la Soie ». L’attente chinoise était même immense, et M. Xi Jinping avait invité Emmanuel Macron à une visite sur ce thème dès l’automne. La France dans les termes de son Président, a choisi de donner la confiance, appelle à la réciprocité ; la Chine laisse ouverte la question de la gouvernance de l’initiative des « routes de la Soie ». Ouverte c’est–à-dire invitante : l’initiative est déclarée ne pas être uniquement chinoise, fait appels aux projets en partenariat ; ouverte mais floue : à l’inverse de la Banque Asiatique pour les Infrastructures par exemple, d’initiative chinoise mais d’actionnariat international et avec un « board » des actionnaires, les Nouvelles Routes de la Soie n’ont pas de gouvernance établie au sens strict. Une conférence fin novembre, le « Forum de Paris », organisé par l’IRIS avec la participation d’une forte délégation chinoise de haut rang, renvoyait la question. L’initiative est, dans le plein fil de la tradition chinoise, à la fois un motto politique qui assume pleinement cette dimension et une direction à laquelle tous les programmes chinois doivent se rapporter. En bref, dans sa définition en compréhension, en fonction de direction, l’initiative est et restera vraisemblablement de dernier mot chinois ; dans sa définition en extension, en réalisation elle sera multi-partenariale. L’enjeu est donc par une bonne relation bilatérale d’influencer la définition permanente de l’initiative, par une saine relation économique, de participer à la co-construction de sa réalisation.

La confiance donnée par le président français ouvre la voie à ce que cette initiative puisse être la matrice d’une véritable requalification du logiciel français à l’international ; évidemment, son succès en Europe nécessite un subtil doigté politique, son européanisation sera la pierre de touche de la durabilité. Les termes des longues conversations bilatérales franco-chinoises et européo-chinoises qui ne font que de commencer, sont posés.

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Les « nouvelles routes de la Soie », telles qu’elles sont connues en français, sont, pour le reste du monde, plus prosaïque anglophonie oblige, « l’initiative de la route et la ceinture ». Elle porte sur l’engagement chinois d’investir dans 68 pays récipiendaires essentiellement de l’Eurasie à l’Afrique près de 500 milliards de dollars d’ici à 2049, année du centenaire de la Chine communiste. Il s’agit dans la vision chinoise d’un appel à co-investisseurs pour abonder au-delà de ces 500 milliards, dans des investissements en commun dans les infrastructures physiques et sociales, dans l’accompagnement par l’expertise également. L’initiative est, dans l’esprit de ses promoteurs, à la fois suffisamment cadrée pour être crédible et suffisamment souple pour être accommodante des enjeux industriels de ses partenaires : sa colonne vertébrale est constituée par une infrastructure ferroviaire allant de Xi’an (par où Emmanuel Macron a débuté sa visite présidentielle) à l’Europe de l’Ouest (Allemagne, France, Royaume-Uni) en traversant Asie Centrale et Europe de l’Est non sans avoir des embranchements  vers l’Europe du Sud – Grèce- ou des pays comme le Pakistan ; et ; bien sûr, à l’est de Xi’an, connectant par le rail toute la Chine et au-delà. À cela s’ajoute une route maritime partant de la ville-zone économique spéciale de Xiamen et irriguant toute la route maritime mondiale qui porte l’immense majorité du flux planétaire, de la mer de Chine à l’Europe en passant par l’Asie du Sud, du Sud Est, Djibouti, Suez et la Méditerranée (le Pirée, Marseille, et sans doute Tanger Med n’est-elle qu’une très courte question de temps).

Voilà pour la structure. Quant à flexibilité, à peu près tous les secteurs sont ouverts, et les modalité restent à définir ; c’est aussi l’origine de la pressante invitation de Beijing à l’Élysée : l’initiative a été lancée dès 2015 par Xi Jinping, les trains circulent déjà jusqu’en Angleterre ou en Allemagne, des premiers investissements d’accompagnement voient le jour en Europe méridionale ou orientale, et l’initiative route et ceinture a été inscrite dans le marbre du rapport au 19ème Congrès, qui a valeur presque constitutionnelle, comme initiative de superstructure de l’action du Parti Communiste Chinois –comprendre que chaque entreprise, ministère, pour chaque action va maintenant se référer de près ou de loin à cette initiative structurante pour la Chine nouvelle.

Eurasie en partage et Afrique « pays tiers » de la coopération franco-chinoise ?

Face à cet alpha et omega, la Chine ne fait rien moins aujourd’hui que poser la question à la France de sa réception de l’initiative. La question sous-jacente étant : la France souhaite-t-elle, croît-elle en la possibilité, veut-elle se donner les moyens d’une alliance économique de long terme avec la Chine autour de l’initiative route et ceinture ? Question qui, si elle était rhétorique, se suffirait d’un communiqué diplomatique bien ciselé, mais qui est en réalité à peu près posée en ces termes par la Chine, avec en face, à la chinoise, une offre à la fois concrète et sonnante mais aussi de total reformatage de logiciel, avec deux enjeux. D’abord, comment la France voit-elle le rôle de l’initiative dans l’avenir de la construction du rôle de l’Europe dans le monde - l’impact potentiel pour une Europe terre d’accueil d’investissements chinois allant se massifiant va en effet bien au-delà de la « construction européenne » au sens dépassé des « marchés contestables » hérités du reaganisme et du thatcherisme. L’offre chinoise force –on dira utilement- l’Union Européenne à penser autrement que dans un cadre de régulation éculé qui raisonnait à somme nulle, entre entreprises déjà sur place ; il est temps que l’UE se mondialise… Autre enjeu, autre question posée par la Chine, la France veut-elle accélérer son approche commune avec la Chine en « pays tiers », notamment ceux avec lesquels elle bénéficie d’une connaissance mutuelle historique, ceux de la francophonie par exemple ?

La réponse à la question africaine est paradoxalement plus immédiate, voire plus simple. Une large partie de l’Afrique a déjà « voté avec ses pieds » : elle veut une présence chinoise. Aujourd’hui des dirigeants africains veulent certes faire évoluer cette relation, ce qui offre un terreau à une médiation française, mais un terreau seulement, car la boîte de Pandore des diversifications économiques et des relations économiques est ouverte pour le meilleur, il n’y aura pas de retour en arrière. C’est donc sur la base de valeurs ajoutées réelles et non plus d’histoire ancienne que se construit la discussion de la Chine et de la France avec l’Afrique. Discussion d’ailleurs déjà lancée concrètement puisqu’un fonds commun franco-chinois, d’investissement de 300 millions d’euros existe. Le problème ? La Chine l’espérait 10 fois plus conséquent et … de formation beaucoup plus rapide ; il débute à peine et la Chine a été jusqu’à présent patiente.

La question de la présence chinoise en Europe soulève quant à elle un autre point, le degré de coordination intra-européenne. Car l’initiative route et ceinture sera un test pour l’Europe aussi : que Bruxelles entende que Roumanie, Pologne, Grèce, Portugal et d’autres veuillent accélérer la relation chinoise, que France et Allemagne re-définissent une équation entre mercantilisme et industrialisme avec la Chine, que toutes les Europes retrouvent la confiance en Bruxelles. Utopie ? Peut-être, mais utopie nécessaire ; l’Europe en laquelle nous croyions s’était construire en réponse utopique au monde économique et politique d’alors, l’Europe nouvelle devra faire de même ; une Chine sincère saura l’entendre et sa sincérité sera jugée sur ce critère.

Or, l’outil « route et ceinture », selon la manière dont il continuera de se mettre en place, est porteur d’avenirs. Il faut le considérer comme une transcription de la nouvelle mondialisation par l’investissement plutôt que par le commerce. Certes les G20 de Hangzhou et de Hambourg se sont voulus optimistes sur la vielle rengaine du commerce mais, Trump ou pas, partout les pays veulent s’industrialiser, diversifier leur économie, évolution totalement cohérente avec la dé-monopolisation de la technologie et la diffusion de l’innovation mondiale.  La messe est dite, et son credo passe aujourd’hui par de plus en plus de conditionnalités de localisation des chaines de valeur sur les territoires d’accueil de l’investissement international. Dans un contexte mondial de pénurie de projets et d’abondance de liquidité, il faut créer un marché de projets, accélérer les opportunités ; or c’est bien ce que vise explicitement l’initiative route et ceinture. Il est de l’intérêt de la France et de l’Europe de faire partie sur son sol et ailleurs de dynamiques qui combinent de manière nouvelle des savoir-faire et technologies pour créer des marchés nouveaux ; il est de l’ordre de l’urgence de la transition écologique et énergétiques d’accélérer la création de ces opportunités, qui se feront par co-invention de niches, puis massification, et non plus par grands modèles ; les diversités complémentaires des territoires chinois et européens peuvent jouer.

Trois jours ne seront pas de trop pour poser les cadres de ces questions qui vont nous occuper des années. De ce point de vue à la fois bienveillant et attentif, la visite présidentielle à Beijing est pour une France qui veut contribuer à redynamiser l’Europe, une occasion clé de comprendre au plus haut niveau par la voix de son promoteur ce qu’est la Chine post-19ème Congrès, le rôle de l’initiative route et ceinture en son sein, et d’expliquer de même au plus haut niveau la trajectoire possible d’une nouvelle Europe qu’Emmanuel Macron et une partie de l’Allemagne appellent de leurs vœux. On peut imaginer qu’une réunion tri-partite à terme sera utile ; peut-être est-ce trop tôt pour la définir mais en tout cas la Chine est depuis octobre instamment désireuse de connaître la position française sur l’initiative route et ceinture et la partie française doit s’y préparer ; similairement, et peut-être cela se fera-t-il dans la discrétion feutrée des « têtes-à-têtes » n’apparaissant que liminairement dans les termes choisi d’un communiqué officiel conjoint dont l’établissement aura été plus complexe et subtil que d’accoutumée, mais la partie chinoise devra entendre que la France voie nécessairement une dimension de coordination européenne à la réception de l’initiative. Quand la politique avance à pas de géants, il faut bien que la diplomatie se contorsionne un peu.

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