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 Henri Guaino : "Donald Trump est-il la solution ou un facteur aggravant à la crise que traverse l’Occident ? Je penche pour la deuxième option"
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Entretien politique

L'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, désormais retiré de la vie politique, analyse pour Atlantico le rythme des réformes entreprises par Emmanuel Macron et l'état du paysage politique français, "toujours en décomposition".

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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Atlantico : Lors de sa présentation des vœux à la presse, Emmanuel Macron a indiqué son souhait "d'interdire les fake news" en France. Ne peut-on pas voir dans cette tentative une forme de tentation censitaire cherchant à imprimer une unique vision du monde, selon l'image qui colle aujourd'hui à la peau du chef de l'Etat, celle d'un président des riches ? 

Henri Guaino : C’est un risque. Mais il est difficile de se prononcer sans avoir avoir un texte. pour en faire une analyse juridique précise, car tout dépendra de la rédaction..Pour l’instant ce projet est bien flou. il peut être inoffensif ou dangereux pour la liberté d »expression.Il existe déjà trois délits de diffusion de fausses informations. Ils sont définis et appliqués de telle façon qu’ils ne menacentt pas la liberté d’expression Le premier punit la diffusion de fausses nouvelles qui porte gravement atteinte à l'ordre public,  et encore faut-il que la mauvaise foi de l’auteur soit démontrée. Un second cas de figure concerne les fausses nouvelles qui visent à manipuler les cours boursiers.  Le troisième est, bien entendu, la diffamation. La question est de savoir ce qu’un nouveau texte peut apporter de plus sans porter une atteinte grave à la liberté d’expression, surtout en période électorale. Dès que l’on entre dans le champ de la politique l’exercice devient très délicat car le risque est alors d »accentuer la dérive qui menace la démocratie en confisquant au profit des juges  le pouvoir des citoyens de choisir par qui et comment ils veulent être gouvernés.

Emmanuel Macron est salué par les Français sur le rythme des réformes, même si le contenu de celles-ci n'est pas soutenu par la majorité. Un rythme qui devrait perdurer en ce premier semestre 2018. Ne peut-on pas ici faire un lien avec les débuts de la présidence de Nicolas Sarkozy et la "vitalité" qui y a été associée ? 

On peut  toujours comparer. Mais je pense qu’en réalité ils ne se ressemblent pas du tout. Il y a beaucoup d’effect chez Nicolas Sarkozy, il n’y en a pas du tout chez Emmanuel Macron. Du coup le contenu des réformes ne peut pas être le même et la manière de les conduire non plus. Ce qui les rapproche c'est l'idée qu’il faut aller vite et faire beaucoup de réformes en même temps, à cause des échéances électorales mais aussi pour atteindre une masse critique qui engendrerait une sorte de cercle vertueux du changement. À l'expérience il n'est pas sûr que ce soit une bonne idée. La société a besoin de temps pour s'adapter aux nouvelles règles ou, si l'on préfère, pour digérer les réformes. Mais le vrai problème c'est que de nos jours la réforme devient une fin en soi, c'est que la réforme pour la réforme devient l'horizon ultime de toute politique. Qu'il faille changer certaines choses, c'est certain, mais que tout dans les héritages soit à jeter ne conduit qu'à une agitation stérile. Georges Pompidou qui a tant fait pour la modernisation de l'économie française dans les années 60 70 disait : «pourquoi cette manie de bouger ? Alors que tout bouge autour de nous, l'essentiel est de garder notre équilibre. Dans le tourbillon des découvertes, Des innovations technologiques, des échanges internationaux, ce qui importe au contraire, c'est de rester soi-même au milieu du changement qui s'accomplit de toute façon ! C'est de préserver nos valeurs fondamentales!» Il disait aussi : «un pays n'est pas une page blanche» Cette sagesse commence à manquer cruellement

Comment jugez-vous la politique étrangère du Président ? Y voyez-vous un retour d'un certain pragmatisme ? 

Si l'on compare au quinquennat précédent c'est certain. La politique française a été marquée par une forme de dogmatisme au nom de la défense des droits de l'Homme et de la démocratie. Mais à vouloir imposer un modèle unique et ses propres valeurs à tout le monde on se heurte forcément à des résistances et à de graves déconvenues. Comme à vouloir gouverner le monde selon la bonne conscience du moralisme on finit par oublier que la politique se construit sur des réalités et la paix sur des rapports de force et des intérêts. La politique étrangère est souvent tragique c’est à  dire qu'on a souvent le choix entre de mauvaises solutions et qu'il faut en priorité écarter la pire et la pire c'est celle qui menace la paix du monde et nos intérêts vitaux.

Le retour d’un certain pragmatisme dans les relations internationales est donc plutôt une bonne nouvelle. Mais Le pragmatisme ne suffit pas à définir une politique étrangère. Il lui faut suivre quelques lignes et principes directeurs. Emmanuel Macron a mis en avant dans son discours à l'ONU le multilatéralisme. C'est une position traditionnelle de la France. Reste à savoir où l'on met le curseur entre le multilatéralisme et une politique d'indépendance nationale qui fait de la France un acteur sur la scène internationale libre de ses mouvements. Le deuxième principe privilégié par Emmanuell Macron lors de son discours à la Sorbonne est celui de la souveraineté européenne. Et que reste-t-il alors de la souveraineté nationale et même de la nation ? Bref, il demeure beaucoup de contradictions à résoudre et d'ambiguïté à lever.

Dans son discours de vœux aux autorités religieuses, Emmanuel Macron a déclaré " En quelque sorte, je ne demanderai jamais à quelques citoyens français, que ce soit, d’être modérément dans sa religion ou de croire modérément ou comme il faudrait en son Dieu, ça n'a que peu de sens, mais je demanderai à chacun constamment d’absolument respecter toutes les règles de la République." Plus globalement, comment analyser vous l'approche du gouvernement sur la question de la laïcité et de l'Islam ? 

C'est le règne du « en même temps». On ne sait pas encore où l’on en est entre le communautarisme et la République. Appeler au respect des lois de la République, de la laïcité ne suffit pas à régler l le problème de l'Islam en particulier et des religions en général. Il y a derrière la question religieuse certes celle du respect des principes et des règles qui fondent notre pacte civique mais il y a aussi -et c'est non moins important dans le contexte de lcrise identitaire que traverse l'Occident- un problème de civilisation qui n'est ni traité ni abordé sérieusement par la classe politique.

On se souvient de l'embarras des pouvoirs publics lorsqu'il s'est agi de légiférer sur la burqa ou lorsqu'on aborde des questions comme celle du voile à l’université, celle des crèches ou de n'importe quelles formes de séparatisme culturel qui mettent en danger ce que l'on pourrait appeler l'ordre public immatériel qui fonde la cohésion culturelle et morale de notre société, de notre nation.

Trois années nous séparent de l'attentat de Charlie Hebdo. On constate dans les sondages d'opinion une baisse du sentiment "je suis Charlie", notamment à droite et à l'extrême droite. Comment analysez-vous cette situation ? 

Il faut arrêter de commenter tout le temps les sondages sur ce que pensent les Français. Quel sens donner ~à l’expression «je suis Charlie »dans le contexte émotionnel de l'attentat et quel sens lui donner aujourd'hui, qui peut répondre précisément à cette question? Il y a eu une vague émotionnelle très forte et une sorte de d’effroi face à ce meurtre qui au fond attaquait ce qui constitue l'essence même de notre société démocratique, c’est-à-dire la liberté d'expression, de la presse, le droit d'aimer ou ne pas aimer une religion, un mode de pensée, une croyance.Je ne suis pas sûr que ce sentiment ait profondément changé mais l'émotion est retombée car l'on s'est habitué à vivre avec le terrorisme et, forcément, la sorte d'unanimisme qui a prévalu sur le moment s'est effritée au fil du temps et des débats qui ont fait réapparaître des clivages, des désaccords naturels dans une société de liberté

Comment anticiper le résultat des LR aux prochaines élections européennes ? Ne craignez-vous pas que votre (ancienne ?) famille politique ne termine à la 4e voire à la 5e place du scrutin? Quelle est votre analyse de ce début de présidence Wauquiez ? Plus globalement, comment analysez-vous l'effondrement des partis au cours de ces derniers mois ? 

Je ne me risquerai pas à faire des prévisions vu l'état du paysage politique qui est encore en décomposition. Que reste-t-il aujourd'hui des grandes familles politiques d'hier ? Les sentiments qui les ont nourries continuent d'exister et il y a des anciennes traditions politiques qui continueront à vivre parce qu'elles sont ancrées dans notre histoire dans nos mentalités. Mais sous quelle forme ? De quelles façons ? 

Les appareils des grands partis qui prétendaient les incarner mais qui étaient devenus de simples cartels électoraux rassemblant des gens qui ,souvent, n'avaient rien en commun se sont effondrés. Pas tant à cause d'Emmanuel Macron mais plus à cause de leurs propres défaillances. C’est l'échec de cette idée selon laquelle deux grands partis, l'un de centre droit et l'autre de centre-gauche, L’UMP et le PS allaient pouvoir monopoliser toutes les alternances au pouvoir . mais les crises que nous traversons exigeaient bien autre chose que des stratégies d'appareil et des tactiques électorales.

Aujourd'hui ces deux cartels électoraux ont beaucoup de mal à incarner les familles politiques dont ils sont issus et LREM n'est pas issu d'une famille politique, elle n'a donc aucun ciment  

Concernant Laurent Wauquiez, nous manquons de recul. La question est pour l'instant de savoir de quoi il est président et comment il peut réinvestir un créneau politique entre le Front National, Macron,et toutes les formations de droite qui se sont désagrégées… Comme toujours il y a une multitude de droites qui n'ont pas forcément grand-chose à voir entre elles et comme souvent la droite n'arrive à se reconnaître que lorsqu'elle se définit comme le contraire de la gauche. Mais comme il n'y a plus de gauche, cela devient difficile. Aujourd'hui l'espace pour LR est très réduit puisque les libéraux trouvent leur compte chez Macron, les modérés aussi  ainsi qu'une gauche sociale libérale et même une partie de la social démocratie aujourd'hui totalement orphelines.et que le Président donne des gages, au moins symboliques, à tous ceux à droite qui attendent la fermeté vis-à-vis de l'immigration, de l'assistanat ou le retour à une école plus traditionnelle… Cela devient donc très compliqué pour la droite de gouvernement. Une bonne partie de la classe politique et des commentateurs imagine que l'on peut s'en tirer uniquement à partir des stratégies électorales, des tactiques politiques, des postures et de la communication alors que l'époque exige autre chose. Si les partis se sont effondrés c'est parce qu'il n'étaient plus habités par des pensées politiques suffisamment sérieuses et profondes à opposer aux défis, crises et bouleversements de notre temps. Il faut d'abord reconstruire de vraies pensées politiques avant de penser à autre chose. C'est le défi de Laurent Wauquiez et de tous les autres.

La présidence de Donald Trump s'illustre actuellement dans son opposition face à son ancien conseiller Steve Bannon. Au-delà de cette opposition, ne peut-on pas considérer que les véritables ruptures face à ce qui ressemble de plus en plus à un consensus ne peuvent provenir que de personnalités elles même en rupture comme cela semble être le cas en l'espèce aux Etats Unis ? Comment analyser vous ce divorce apparent entre les deux hommes ?  

L'élection de Trump veut dire quelque chose sur le sentiment d'une partie de l'Amérique et sur la crise que traverse l'Occident. Est-il la solution ou un facteur aggravant de cette crise ? Je penche pour la deuxième option car il discrédite la révolte contre le politiquement correct et le conformisme. Si c'est cela l'alternative au conformisme qui en veut ? Concernant le « divorce"avec son ex conseiller politique, je pense qu'il y a surtout des problèmes de caractères et que cela n'a plus rien à voir avec la politique ou l'idéologie. On est dans le caractériel, l'hystérique, non seulement à la Maison-Blanche oui, dans le cercle étroit, mais même dans le débat public entre partisans et adversaires de Trump. C'est une dramaturgie plus psychologique que politique qui se déroule là sous nos yeux. 

Et en attendant plus personne n'a assez de sang-froid, de nerfs pour assumer des responsabilités qui sont écrasantes et mondiales. Cette élection n'en a pas moins une signification : elle est le résultat de la négation des sentiments profonds d'un peuple ou d'une société qui finit par considèrer, comme souvent dans l'Histoire, que la seule issue est le recours à l'excessif, aux extrêmes..

En ce jour d'anniversaire de la disparition de votre ami Philippe Seguin, comment analyser vous le paysage politique français actuel au travers du séguinisme ? 

Le séguinisme a disparu de la scène politique avec tout ce qui restait du gaullisme que les soi-disant modernistes ont liquidé. Mais ce qu'incarnait Philippe Seguin c’était d'abord, au-delà de ses idées, une forme de profondeur en politique. C'était l'idée que l'on ne peut pas faire de la politique en se moquant du monde, en restant toujours à la surface des choses, que nous avons de grands problèmes à résoudre et que cela nécessite une pensée, une culture. Séguin l'a incarné, cela n'a pas débouché sur un grand succès électoral. et aujourd'hui cette sorte de profondeur n'a plus aucune place sur la scène politique. Elle n'est pas révolue pour autant. Je pense au contraire que c'est dans cette sorte de politique là seulement que se trouve la solution à la crise de la politique que traverse actuellement la France. On se demande où sont passés les héritiers de De Gaulle, de Pompidou, de Chaban ou ceux de Jaurès et de Blum. Quant à Philippe Seguin il s'est sûrement retourner dans sa tombe en voyant comment son nom était utilisé, instrumentalisé pendant la dernière campagne présidentielle

La question qui est posée c'est "qu'est ce que la politique et comment en fait-on". Est-ce que l'on en fait comme lors de la campagne de Maastricht avec Pasqua Séguin, Chevènement , Villiers qui étaient enracinés dans des Histoires, des cultures politiques comme celles du gaullo-bonapartisme, du gaullisme social, du républicanisme, de la droite de tradition ou est-ce que l'on en fait simplement avec des communicants, des postures, des stratégies électorales… Analyser la scène politique à travers le séguinisme c'est se donner une mesure du vide actuel.

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