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Cancer : les traitements alternatifs peuvent être efficaces, c’est prouvé scientifiquement mais à une condition indépassable :
©Reuters

Non négociable

Ils doivent être des traitements complémentaires.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Dans une récente étude, plusieurs scientifiques de l'Ecole de Médecine de Yale se sont intéressés à l'utilisation de traitements alternatifs contre le cancer, et à leur impact sur la survie des patients. Quelles en sont les conclusions? Quel est l'efficacité de tels traitements?

Guy-André Pelouze : Le cancer peut être considéré comme le plus grand défi de la médecine et de la biologie moderne. Encore aujourd’hui de nombreux patients sont au delà de nos ressources thérapeutiques. Il faut donc être modeste et humble dans nos recommandations et rappeler que c’est l’innovation qui permettra de guérir plus de cancers. Il faut aussi être respectueux des souffrances majeures que cette maladie impose aux patients avant de les priver trop souvent de leur vie. Plus qu’ailleurs le charlatanisme dans ce domaine est impardonnable.

Revenons sur cette étude (https://academic.oup.com/jnci/article/110/1/djx145/4064136/Use-of-Alternative-Medicine-for-Cancer-and-Its) .

 Quelle est l’hypothèse du travail?

Certains patients choisissent délibérément de ne pas recourir aux traitements conventionnels du cancer. C’est en se saisissant de leur devenir que les auteurs ont bâti leur hypothèse de travail. Ils ont comparé une série de patients qui ont fait ce choix et une série de patients traités conventionnellement. L’équipe de Yale a testé l’hypothèse suivante: les deux groupes ont-ils une survie équivalente?

Pour ce faire ils ont pris quelques précautions méthodologiques, en appariant les deux groupes.

Les deux groupes diffèrent cependant par certaines caractéristiques:

-        Il y a plus de patients ayant des formes avancées de cancer dans le groupe des traitements alternatifs (14,8% versus 28,7%)

-        Il y a plus de comorbidités dans le groupe des traitements conventionnels (19,% versus 10,7%).

Pour autant soulignons qu’il s’agit d’une étude observationnelle c’est à dire que les patients ont été suivis après qu’ils aient fait ce choix de leur propre initiative. En aucun cas les patients n’ont été assignés à un groupe ce qui compte tenu de ce que nous savons n’aurait pas été éthique. Ensuite les patients ont été sélectionnés suivant un critère de gravité: il s’agit de patients ayant une tumeur maligne sans métastases à distance connue. Le suivi a été particulièrement long puisque l’objectif a été de suivre les patients pendant 84 mois.

Quels sont les résultats?

Ils sont bien décrits dans le tableau N°1. Ces résultats sont intéressants à plusieurs titres. Tout d’abord il y a deux groupes pour lesquels la survie est très différente, prostate, côlon, rectum et sein sont des organes où le cancer est curable. Pour le poumon et il en est de même pour le pancréas la situation reste très difficile. Ensuite quand le cancer est peu agressif la différence entre le traitement conventionnel et les médecines alternatives en première ligne est faible et non significative c’est le cas de la prostate. Finalement, les deux groupes diffèrent quant à leur survie pour tous les cancers sauf la prostate sans qu’il soit possible d’en douter raisonnablement et ce de manière majeure. 25% de survie en plus pour tous les cancers avec des disparités énormes, plus du double de la survie pour les cancers du côlon, du rectum et du poumon, 30% pour le sein. Les traitements conventionnels sont associés à une amélioration de la survie et à des guérisons.

Quelles preuves avons nous que les médecines alternatives soient délétères?

En réalité aucune d’après cette étude. Et dans la littérature les résultats indiquent plutôt une neutralité à quelques exceptions près comme la prise de certains compléments alimentaires, nous y reviendrons. En revanche cette étude met en évidence des différences majeures qui ne sont pas dues au hasard. Il est donc très probable (la probabilité est supérieure à 95%) que les traitements conventionnels soient la cause de la plus longue survie ou bien, dit à l’envers, que la faible survie du groupe médecines alternatives soit due au fait que ces patients ont choisi l’évolution naturelle de la maladie.

L’interprétation de cette étude a une portée pratique

Il a pu être écrit que cette étude mettait en évidence la dangerosité des médecines alternatives. C’est un biais d’interprétation qui ne rend pas compte des faits. Ce que cette étude met en évidence c’est que le traitement conventionnel est très supérieur en terme de survie par rapport à ce que nous appelons l’histoire non traitée d’un cancer. En effet aucune médecine alternative n’a fait à ce jour la preuve d’une efficacité comme traitement de première ligne du cancer. Si bien que le groupe médecines alternatives peut être considéré comme un groupe de patients sans traitement de la maladie cancéreuse. Ainsi les médecines alternatives ne sont pas a priori dangereuses mais le fait de se priver des possibilités thérapeutiques conventionnelles diminue significativement l’espérance de vie. En pratique cela signifie que rien n’interdit de recourir à des médecines alternatives pourvu que le traitement conventionnel soit effectué au plus tôt et en fonction des données les plus récentes de la science. De surcroît, plusieurs caractéristiques des deux groupes de patients incitent par ailleurs à penser que les différences de survie dans la vie réelle sont plus importantes que celles rapportées dans l’étude. Les patients qui font ce type de choix (les médecines alternatives comme première ligne de traitement) sont en effet plus jeunes, ils sont plus éduqués et appartiennent à des catégories socio-économiques plus élevées que la moyenne; c’est à dire que leur pronostic est meilleur toutes autres choses étant égales par ailleurs. A l’appui de cette thèse on rapporte souvent l’exemple de Steve Jobs même si les détails du dossier ne sont pas à ma connaissance en accès libre (https://www.forbes.com/sites/alicegwalton/2011/10/24/steve-jobs-cancer-treatment-regrets/#ca161f17d2e9). Compte tenu de la particularité du cancer de Steve Jobs il n’est pas possible de soutenir que le choix des traitements alternatifs comme seul traitement dans un premier temps a été à l’origine de son décès. En revanche comme le démontre l’article pour la majorité des cancers c’est le cas. Pour autant le fait de renoncer à des thérapeutiques efficaces au début de la maladie a plus de conséquences car le traitement des cancers avec envahissement des ganglions ou avec métastases est beaucoup plus compliqué. 

Souvent dénigrés, quelle est la place, aujourd'hui, des traitements alternatifs? Quelle utilisation peut-on en faire? A l'inverse, à partir de quel point ces derniers peuvent-ils devenir dangereux? Lesquels sont indiqués pour accompagner une thérapie, et lesquels ne le sont pas?

Les patients qui choisissent de ne pas recourir aux traitements conventionnels du cancer prennent le risque de diminuer leur espérance de vie. C’est donc un choix qui ne peut être recommandé par un médecin. Ceci a particulièrement été documenté pour le cancer du sein et de l’intestin. Il s’agit des études emblématiques des thérapies adjuvantes de la chirurgie (chimiothérapie et radiothérapie) depuis 1958, les travaux de Bernard Fisher (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10711239) et du NSABP (http://www.nsabp.pitt.edu/NSABP_Timeline.pdf). On réalise le chemin parcouru en se plongeant dans l’ancien article écrit par De Vita sur la chimiothérapie (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/162854). Il soulignait déjà combien les premiers résultats étaient prometteurs mais aussi limités dans certains types de cancer.
Pour autant il faut bien sûr tenir compte de l’avancée de la maladie et des résultats de ces traitements dans le type de cancer en question. Certains cancers à un stade avancé (poumon, pancréas, foie, rein) ne sont pas guérissables et la survie est faible même avec les moyens les plus récents. Il faut donc discuter très franchement avec le patient au sujet des résultats escomptés des traitements avant de s’engager dans un mode thérapeutique.

Chez ces patients très fragilisés par les traitements efficaces car ils sont agressifs (chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie) les médecines alternatives peuvent aider à traiter les conséquences des traitements conventionnels. Aider le patient sur le plan psychologique ou bien renforcer son organisme, son immunité ou tout autre fonction. Il s’agit de l’acupuncture, de l’homéopathie, de l’hypnose, de la phytothérapie de l’ostéopathie, de la mésothérapie sans que cette énumération soit exhaustive.  Dans cette perspective le seul risque d’un traitement complémentaire est la possibilité d’interférence avec le plan thérapeutique par exemple la chimiothérapie. Ce risque est très faible avec les traitements connus car ils font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché quand à leur innocuité (cas de l’homéopathie, de l’acupuncture). Pour les autres le risque existe car on peut ignorer la composition de certains suppléments nutritionnels en particulier la présence de principes actifs sous la forme d’extraits de plantes qui interfèrent avec les fonctions hépatiques ou rénales soumises à dure épreuve par les molécules de chimiothérapie.

En clair le patient qui avale trois granules d’arnica, ou bien qui a décidé de ne cuire ses aliments qu’à la vapeur ou bien d’aller à des séances de Reiki ne prend aucun risque à moins de décider d’abandonner les traitements conventionnels si ceux ci dans son cas permettent de guérir ou d’allonger la vie. En revanche prendre sans avis documenté des suppléments nutritionnels, des extraits de plantes, des hormones peut augmenter le risque de complications ou détériorer le pronostic.

Il faut donc tout mettre sur la table et cesser ce cloisonnement des prescriptions par spécialité ou par médecin voire par des thérapeutes non médecins. À ce sujet on ne peut que regretter le retard considérable de la France en matière de dossier médical électronique. En même temps, les médecins responsables des traitements conventionnels doivent accepter les médecines alternatives en complément et prévenir le patient d’éventuelles contre indications.

Être sceptique sur l’efficacité de l’homéopathie ou de l'acupuncture ne dispense pas de respecter les choix du patient. Symétriquement les médecins qui pratiquent les médecines alternatives doivent travailler en pleine collaboration avec le reste de l’équipe et participer aux décisions et au fonctionnement des institutions de traitement du cancer comme c’est déjà le cas dans certains centres en France. Il appartient aussi aux patients de réfléchir à leur responsabilité personnelle dans les choix, responsabilité qui est le pendant de la liberté qui ne peut leur être niée. Il est préférable en particulier de ne pas cacher le recours aux médecines alternatives ou à tout autre pratique car ce n’est pas interdit et je le répète tout doit pouvoir être évalué en cas de problème. 

Toutefois quelques traitements alternatifs peuvent s’avérer délétères

Un exemple de prise de suppléments nutritionnels qui est potentiellement délétère pour des patients ayant un cancer a été rappelé par un papier très récent (http://ascopubs.org/doi/pdf/10.1200/JCO.2017.72.7735). La prise de vitamines peut sembler a priori favorable et est très fréquente chez les patients atteints de maladies chroniques. La prise de vitamines B6 et B12 à partir de suppléments individuels a été associée à un risque accru de cancer du poumon chez les hommes seulement. Par rapport à la non-utilisation, l'utilisation antérieure de la vitamine B6 à partir de suppléments individuels a été associée à un risque accru de 84% (HR multivariable ajusté, 1,84; IC 95%, 1,01 à 3,36), alors que l'utilisation antérieure de la vitamine B12 à partir de suppléments individuels était associée à plus du double du risque de cancer du poumon (HR, 2,42; IC à 95%, 1,49 à 3,95). Or les vitamines du groupe B sont omniprésentes dans les compléments alimentaires, les cocktails multivitaminés, on peut estimer que 12% des patients atteints de cancer en prennent (http://www.cancer.lu/sites/cancer/files/files/IC67_MAC.pdf) .

Par ailleurs la consommation des compléments alimentaires est très élevée en France. 

Il y a des conséquences pratiques: par exemple l’aloe vera, la poudre de marante, le cohosh noir, le chaparral, le coco de mer, le germander, l’extrait de thé vert, de kava et pennyroyal, parmi d’autres, sont des végétaux “naturels” qui peuvent provoquer une hépatotoxicité et devraient être évités ainsi que les suppléments qui en contiennent, notamment pendant les chimiothérapies (http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0884533617721687). Pour les vitamines il faut veiller à ne pas dépasser 100% de la dose journalière recommandée en comptant bien sur l’alimentation.

Quel est, aujourd'hui, la popularité de ces traitements? Comment leur utilisation a-t-elle évoluée dans le temps?

Est ce que quelqu’un revendique l'utilisation des médecines alternatives en première ligne dans les septicémies, l’AVC ou l’infarctus du myocarde? Non bien sur car dès lors que le germe est connu, que l’AVC est dépisté très tôt (moins de six heures et mieux moins de trois), que la douleur thoracique est diagnostiquée nous disposons de traitements très efficaces qui sauvent de nombreuses vies. Il en sera de même un jour pour tous les cancers. Plus nos traitements seront efficaces plus ils seront acceptés par tous. A l’heure actuelle pour bénéficier des médecines alternatives en complément d’un traitement conventionnel du cancer il faut les intégrer dans le projet thérapeutique et bien sur en connaître les indications (http://www.cam-cancer.org/The-Summaries). Pour autant ces traitements sont très populaires car les effets secondaires des traitements comme la radiothérapie ou la chimiothérapie sont importants. Environ 40%-60% des patients sous chimiothérapie utilisent une ou plusieurs médecines alternatives  (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00628719/document). Pour ces patients rappelons que la plupart des médecines alternatives en complément des traitements conventionnels ne sont pas “dangereuses”.

Développer un médicament efficace contre le cancer est très difficile. Développer de nouvelles approches comme les traitements métaboliques aussi (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/m/pubmed/28353094/). Les investissements en recherche/développement sont très coûteux et les résultats sont très difficiles à anticiper, pourtant la survie des patients dépend de ces innovations. De Vita en 1975 fustigeait déjà l'hyper-régulation (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/162854); il est vrai que les traitements innovants ont beaucoup de mal à pouvoir être utilisés en clinique même si le patient le demande. C’est un équilibre difficile à trouver entre sécurité, dépenses mutualisées et efficacité alors même que l’innovation n’a jamais été aussi vivace. Il faut préserver la possibilité pour les nouveaux traitements de pénétrer le marché mais à une condition: rester dans les standards les plus élevés de l’éthique et de la science. A cet égard il faut donc pousser à fond la recherche sans a priori et en même temps accepter que les patients dans cette lutte acharnée pour survivre veuillent continuer à utiliser avec le traitement conventionnel ce qu’ils estiment les aider habituellement pour la fatigue, les vomissements, la douleur, les réactions cutanées ou d’autres symptômes...

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