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2018, l’année où Emmanuel Macron devra transformer l’essai
©LUDOVIC MARIN / AFP

Défis

L'allocution traditionnelle du 31 décembre a été l'occasion pour le Président de transmettre ses meilleurs voeux aux Français, comme le veut la tradition.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : 2017 fut l’année de la victoire pour Emmanuel Macron, et 2018 sera l’année où il faut transformer l’essai. Mais comment, et avec quels obstacles?

Chloé Morin : Les conséquences du séisme de mai 2017 sur notre vie politique sont d’ores et déjà considérables, mais tout indique que le processus de décomposition-recomposition n’est pas achevé. Emmanuel Macron se trouve dans une phase de consolidation et d’élargissement de son socle - on note ainsi que les derniers baromètres de popularité enregistrent une progression du Président dans des segments électoraux plus éloignés de sa base -, mais aussi du corpus idéologique qui doit la rassembler.  

Pour l’essentiel, la remontée d’Emmanuel Macron dans l’opinion depuis la rentrée de septembre s’appuie sur deux leviers: d’abord il agit, il réforme vraiment, il multiplie les fronts ouverts et donne le sentiment de ne pas ménager ses efforts pour « faire bouger les choses ». Beaucoup de gens se disent « au moins, il essaie ». Ensuite, même les personnes qui n’ont pas voté pour lui reconnaissent qu’il est fidèle à son programme. Ils ne peuvent donc pas l’accuser de prendre les gens par surprise. D’ailleurs, on note qu’Emmanuel Macron lui-même fait de ces deux leviers d’opinions des arguments centraux de sa communication. 

Il doit désormais consolider le bloc de ses soutiens, et passer du stade des aspirations communes qui les réunissent, à un corpus idéologique qui se déploiera et prendra de la consistance au fil des actes et des réformes. Ainsi, il devra trouver un équilibre - délicat, car ce sont des questions sur lesquelles le clivage droite-gauche reste fort - acceptable sur la réforme de la politique migratoire, de même que sur la réforme de l’assurance chômage. Ces derniers temps, ces deux sujets ont donné lieu à des polémiques, et il y a fort à parier que les débats ne font que commencer…

Ensuite, il va peu à peu, au cours de cette année - et malgré le fait qu’il fixe à 2 ans l’horizon des résultats - passer du stade des attentes (plus ou moins bienveillantes et optimistes) au stade de la mise en oeuvre de ses premières réformes, et donc du jugement sur les premiers résultats. Or, il est difficile de dire à ce stade comment les français réagiront à la confrontation avec les premiers effets concrets des réformes Macron: vont-ils finalement se rendre compte que les réformes très impopulaires, telle que celle de l’ISF, des APL, ou la hausse de la CSG, sont moins négatives dans leur quotidien qu’ils ne l’avaient anticipé? Ou vont-ils au contraire découvrir que certaines mesures, passées relativement inaperçues car complexes et noyées dans la masse, ont un impact plus néfaste qu’anticipé sur leur quotidien? Je pense notamment aux annonces récentes de rupture conventionnelle collective. Il faudra guetter avec attention leur réception par l’opinion dans les semaines à venir.

Enfin, une des questions pour l’année qui vient est: saura-t-il continuer à neutraliser les contre-pouvoirs, pour continuer à mettre en oeuvre ses réformes, comme il a su le faire jusqu’ici? 

Les oppositions, aujourd’hui défaites, sauront-elles redevenir audibles? On note que LREM, malgré tout ce que l’on peut en dire, dépasse aujourd’hui les autres partis de la tête et des épaules dans l'opinion (47% de « bonnes opinions », +5 en décembre, contre 37%de bonnes opinions pour le Modem, 35 pour l’UDI, 29% pour LR, 27% pour LFI, 24% pour le FN et 18% pour le PS). LREM saura-t-il trouver sa place dans le dispositif, jouer un rôle constructif sans pour autant se normaliser? On peut penser que les Français ne se contenteront pas longtemps d’un parti unique ou trop hégémonique. Cela ne correspond pas à leur culture politique qui est très vivace encore.Enfin, le Parlement saura-t-il trouver sa place, alors qu’à ce jour on a le sentiment qu’il joue souvent le rôle de simple chambre d’enregistrement des décisions présidentielles?

De fait, il convient de souligner que l’année qui s’ouvre est une année sans élections. Emmanuel Macron et son gouvernement ont donc en principe le champ libre pour avancer sans encombre. 

Le Président a insisté sur les sans-abris lors de son discours et a annoncé "un grand projet social". Un des grands enjeux en 2018 pour lui sera de casser son image de président des riches. Quels défis l'attendent en matière d'inégalités ?

La question sociale est apparue dans l’opinion au coeur de l’été, avec les premières mesures d’économie budgétaire qui avaient semblé brutales, et toucher les plus fragiles en premier, dérogeant ainsi à la demande d’exemplarité en la matière. 

Depuis le vote du budget, la question s’est atténuée. Mais il y a fort à parier qu'elle jouera un rôle important en 2018 pour le Président et sa majorité - et ce, d’autant plus que si l’économie redémarre, la demande de partager les bénéfices des efforts consentis va s’exprimer de plus en plus. Le fait qu'il insiste hier soir sur cette question sociale montre qu'il a compris l'enjeu. Ses réformes économiques ne seront acceptées à la longue que si les Français n'y voient pas le franchissement d'une barrière sociale conduisant à une précarité généralisée, mais plutôt une manière d’améliorer la condition de tous.

C'est un sujet d'une importance stratégique car il conditionne sa capacité à continuer d'agir.

De ce point de vue, les premières annonces de licenciements collectifs peuvent, une fois la trêve des confiseurs terminée, être le déclencheur d'une spirale de défiance dans l'opinion. Les réformes de la formation et du chômage peuvent donner une occasion de moduler les mauvaises perceptions mais il ne faut pas attendre de résultats réels avant de très longs mois voire quelques années. La formation est un enjeu de temps long qui sera difficilement profitable à court terme. 

Sur les SDF, il faut remarquer que c'est un enjeu important aussi car sur ce point il faut noter un premier échec du quinquennat que n'ont pas hésité à souligner les associations caritatives et qui s'occupent du logement. Le Président Macron avait dit qu'il ne voulait plus voir de personnes à la rue à la fin de l'année... Or c'est un sujet extrêmement sensible et difficile car il touche des populations disparates aux histoires très différentes. Il faut rappeler que Nicolas Sarkozy avait fait cette promesse lui aussi. Ce qui est intéressant, c’est qu’à la différence de ses prédécesseurs, qui enterraient leurs engagements en espérant qu’on les oublie, il est lui-même allé au devant de son échec pour l’expliquer. 

Enfin, sur le Président des riches, il a su atténuer considérablement cette critique depuis quelques semaines, mais il n’a pas toutes les cartes en main. Si les inégalités croissent, si le 1% des plus riches continue de s'enrichir avec un creusement des inégalités de fortunes, alors ses adversaires ne le lâcheront pas sur cette question. De ce point de vue, la montée de la précarité liée à la réforme du droit du travail serait un très mauvais signal pour les Français dont on sait qu'ils sont attachés à la stabilité. Les annonces PIMKIE et PSA ne sont pas bonnes à cet égard. les deux entreprises sont dans une situation différente. C'est une chose que d'accepter l'idée de plus de souplesse, c'est autre chose que de perdre son emploi sur l'autel de possibles difficultés futures de l'entreprises... 

Question trois : "Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire votre pays" a demandé le Président. La dynamique politique qui l'a porté était fondée sur cette idée d'initiative individuelle, notamment avec la constitution d'En Marche! puis de LREM. Ce volontarisme est-il encore adapté à 2018 ? Sur quelles mesures peut-il pérenniser l'image d'un président "disruptif" qu'il défend ? 

Cette formule empruntée à Kennedy en appelle à la responsabilité individuelle - un élément central du logiciel macronien. On sait le Président Macron très inspiré par le modèle d'Outre-Atlantique en matière de communication. Mais attention, la culture politique française n'est pas la culture américaine. Nous n'avons pas la culture des pionniers mais celle d'un centralisme d'Etat qui a été construit depuis plus d'un millénaire par l'édification de la monarchie absolue d'abord. 

En fait, cette formule est une façon de rappeler chacun à ses devoirs de citoyens. Mais ces devoirs sont intimement liés dans notre culture à la capacité de l'Etat de nous protéger, ce qu'il fait mal, sinon plus du tout dans certains secteurs. 

Et là, il y a un enjeu fort de gouvernance, et d'exemplarité. Le candidat Macron a considérablement oeuvré pour rétablir une forme d’exemplarité du personnel politique. Mais il avait aussi promis un spoil system, c'est-à-dire le remplacement des plus hauts fonctionnaires de chaque ministère par une nouvelle équipe. Cela n'a visiblement pas été opéré. Est-ce à dire que le Président considère ces haut responsables irremplaçables ? Or, cette réforme est intimement liée à la culture de la responsabilité que met en avant sans cesse le Président, sans doute à juste titre. La responsabilité des plus forts est une condition de l’acceptation de certaines réformes. Cela rejoint la question précédente des inégalités. il ne peut y avoir des catégories toujours à l'écart des responsabilités effectives et de la précarité qui avance et les autres, toujours plus fragilisées. 

Sur la gouvernance encore, il avait promis des changements institutionnels qui nécessitent de réformer la Constitution. Les élections sénatoriales n'ont pas permis à LREM d'obtenir la majorité parlementaire nécessaire pour agir sans faire de concessions. Là se mesureront les capacités des oppositions et autres partis constructifs à agir, soit en termes de blocage soit en termes de discussions. 

Nous savons que toute réforme recourant au référendum peut être extrêmement risquée. Les débats peuvent être très difficilement circonscrit sur ce terrain et, comme l'on a vu lors du dernier référendum européen, ce ne sont pas tant les partis qui ont dirigé les débats que certains groupes de citoyens très actifs. La baisse du nombre de parlementaire peut être de ce point de vue un piège. Lorsque certaines régions rurales mesureront la réalité de leur représentation législative après cette réforme que tout le monde semble appeler de ses voeux, réagiront-elles de la même manière? Nous voyons déjà les réticences au Sénat, qui représente les territoires sur ce sujet, et chez certains députés. C'est le genre de débat qui ne restera pas confiné à la question technique ou financière qui pour l'instant l'enceint. Les Français sont un peuple politique. Ils aiment le débat bien au-delà de ce qui se pratique dans de nombreux pays socio-démocrates, ils aiment la confrontation. Il n'y a pas de référendum facile, jamais. Le général de Gaule a chuté sur l'un d'eux. Le PS s'est fracassé sur un autre, le sujet européen est devenu ultra sensible avec le même... 

Pour revenir à votre question, le volontarisme, le sentiment de mouvement, sont évidemment nécessaires. C'est une marque indélébile du macronisme, une part de sa force. Mais le volontarisme n'est pas l’entêtement - lui-même a insisté sur ce point pendant ses voeux, ce qui montre qu’il a pleinement conscience des critiques qui lui sont adressées par une part de l’opinion, qui juge qu’il exerce un pouvoir trop absolu, trop centralisé, sans écouter suffisamment. 

Quand au « Président disruptif », la nouveauté pour la nouveauté n’a probablement que peu d’intérêt. Il doit  surtout chercher à entretenir l’idée qu’il ne reproduit pas les erreurs de ses prédécesseurs, qu’il continue à expérimenter sans cesse des solutions nouvelles. 

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