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Pourquoi les inégalités visibles et invisibles ont bien été la clé de la présidentielle 2017
©SEBASTIEN BOZON / AFP

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A l'occasion des fêtes, Atlantico republie les articles marquants de l'année qui s'achève. Après le premier tour de l'élection présidentielle, Laurent Chalard est revenu sur une France "coupée en deux."

Article initialement publié le 25 Avril 2017

Atlantico : La carte de vote de ce 1er tour par départements révèle une forte opposition territoriale des choix politiques. Quels sont les principaux enseignements à en tirer ?

Laurent Chalard : Il saute aux yeux à l’analyse de la carte de la répartition géographique des candidats arrivés en tête par département au 1° tour de l’élection présidentielle de 2017 qu’il existe deux France, séparées par une ligne imaginaire qui relierait Le Havre à Marseille, opposant d’un côté, une France de l’Est, qui accorde préférentiellement ses suffrages à Marine Le Pen du Front National, à, d’un autre côté, une France de l’Ouest, où Emmanuel Macron d’En Marche l’emporte.

Pour tout géographe, cette carte fait immédiatement penser à l'opposition historique, le long de cette même ligne, entre une France industrielle et urbaine à l'est et une France agricole et rurale à l’ouest. Or, comme nous l’avions montré dans un article de la revue Population & Avenir paru en 2011[1], nous assistons à un processus de retournement des dynamiques territoriales hexagonales, la croissance de l’emploi étant désormais plus forte à l’ouest qu’à l’est de cette ligne depuis les années 2000. En effet, les anciennes régions de tradition industrielle de l’est ont fortement souffert de la désindustrialisation, qui a touché prioritairement les industries traditionnelles (textile, métallurgie, automobile) alors que l'ouest, historiquement moins industrialisé, a moins été touché par ce processus tout en bénéficiant de l’installation d’industries de nouvelle génération (par exemple, l’aéronautique) et de la tertiarisation de l’emploi.

En conséquence, il s’ensuit qu’assez logiquement, dans la France déclinante, grande perdante de la mondialisation, la candidate de l’extrême-droite fasse ses meilleurs scores (à l’exception des métropoles), alors que dans la France qui se porte mieux, le candidat au discours le plus optimiste vis-à-vis de la mondialisation, en l’occurrence Emmanuel Macron, soit plébiscité.

Peut-on expliquer le fort vote "macroniste" dans l'Ouest par le biais d'une présence moins forte des inégalités, plus dans un sens historique qu'actuel ? En quoi la stratification sociale y est différente de l'est ? Quels sont les enjeux relatifs à l'immigration qui peuvent également avoir un impact ?

Effectivement, du fait d’un héritage industriel moins important et plus récent (il remonte aux Trente Glorieuses), la stratification sociale à l’ouest de la ligne Le Havre – Marseille est, en règle générale, moins forte qu’à l’est, avec des oppositions sensiblement moins marquées entre les « riches », peu nombreux à l’ouest du fait de la faiblesse des grandes entreprises capitalistes, et les « pauvres », eux aussi moins nombreux car l’emploi progresse et le chômage est plus faible. Ce contexte de moindres inégalités de revenus rend le modèle économique dominant plus attractif que dans les territoires de l’est où elles sont flagrantes, favorisant le vote pour le candidat perçu comme « optimiste ».

Cependant, un autre facteur peut aussi expliquer le moindre succès des idées d’extrême-droite à l’ouest de la ligne Le Havre-Marseille, qui est la faible présence de l’immigration extra-européenne dans cette partie de la France, faisant passer les questions identitaire et culturelle au second plan dans un contexte où le niveau de vie des classes populaires est meilleur qu’à l’est. En effet, il convient de garder en tête que le vote populiste est le produit d’une combinaison de facteurs (le degré de corruption locale joue aussi un rôle).

Quelle est la spécificité du vote "Emmanuel Macron" ? Sur la base de cette carte, quelles sont les indications à retenir sur son électorat ?

L’analyse de la carte du vote pour Emmanuel Macron au 1° tour de l’élection présidentielle de 2017 montre qu’il n’existe pas un « vote Macron », mais que, dans les faits, il agrège deux profils de vote, qui répondent à des logiques géographiques différentes.

D’un côté, ce qui est assez remarquable lorsque l’on compare la carte du vote Emmanuel Macron en 2017 avec celle du vote François Bayrou en 2007, c’est la forte corrélation entre les deux concernant les principales zones de force (piémont ouest-pyrénéen : « fief » de François Bayrou, Grand Ouest, Massif Central, ainsi qu’accessoirement en Côte d’Or et en Savoie), témoignant de l’existence d’une géographie spécifique du vote « centriste » en France, qui, sans surprise avec ce que nous avons dit précédemment, est dominant à l’ouest de la ligne Le Havre-Marseille. C’est un vote de classes moyennes qui se classent plutôt au centre-droit dans le grand ouest et au centre-gauche dans le Massif Central.

D’un autre côté, la seconde grande logique géographique correspond au survote pour Emmanuel Macron dans les grandes métropoles, suivant le modèle mis-en-avant par le géographe Christophe Guilluy, de territoires gagnants de la mondialisation, qui plébiscitent le candidat faisant l’apologie du modèle économique dominant actuellement. Dans ces territoires, le vote pour Emmanuel Macron est essentiellement le fait de personnes très diplômées, qui gagnent relativement bien leur vie, bénéficiant pleinement de la mondialisation.

A l’arrivée, c'est l'agrégation de ces deux votes, le « vote centriste » et le « vote des métropoles », qui a permis à Emmanuel Macron de se retrouver au second tour de l’élection présidentielle. En effet, si son socle électoral ne s’était appuyé qu’exclusivement sur le vote des gagnants des métropoles, ce dernier n'aurait pas été suffisant pour le qualifier, puisqu’il a dû le partager avec le candidat de la droite, François Fillon. Emmanuel Macron a donc une dette certaine vis-à-vis de l’électorat centriste, dont celui de François Bayrou. Espérons, une fois sa victoire acquise au second tour, qu’il se rappellera qu’il n’est pas juste le candidat des élites des grandes métropoles, mais, avant tout, le candidat d’un « centre » français qui ne demande qu’à exister !

[1]CHALARD Laurent, DUMONT Gérard-François (2011). « L’armature urbaine de l’emploi en France. Un basculement géographique ». Population & Avenir. N°704. Septembre-octobre 2011. Pages 4-7 et 20.

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