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L’ONU condamne les Etats-Unis sur Jérusalem et les hypocrisies flambent
©Reuters

Vote

Les 193 pays composant l'Assemblée générale des Nations unies ont voté, ce jeudi, une résolution condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d'Israël.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Les 193 pays composant l'Assemblée générale des Nations unies ont voté, ce jeudi, une résolution condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d'Israël. Un vote commenté par Nikki Haley qui a déclaré : "Les États-Unis se souviendront de cette journée qui les a vus cloués au pilori devant l'Assemblée générale pour le seul fait d'exercer notre droit de pays souverain"En quoi ce vote peut-il marquer la fin des hypocrisies ​internationales sur le sujet, aussi bien de la part des opposants, que de la part des Etats-Unis ? 

Eric Denécé : N’importe quel Etat souverain est libre de fixer sa capitale politique là où il l’entend. Néanmoins, les autres nations et les Nations unies sont également libres de ne pas reconnaître cette capitale et de refuser d’y installer leur ambassade, comme elles ont le droit de ne pas reconnaître un nouvel Etat se déclarant indépendant (cf. Catalogne). Il n’y a là aucune hypocrisie.

Les raisons peuvent en être variées. En l’espèce, la majorité des Etats composant l’assemblée des Nations unies considère que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël est une provocation à l’égard des Palestiniens et du monde arabe, puisque cette ville a été conquise par les armes en 1967, en violation des accords de 1948. Force est de reconnaître que c’est une réalité, quand bien même elle déplait à Washington et Tel Aviv.

Rappelons que les Américains et les Européens ont refusé de reconnaître la décision très majoritaire de la population de Crimée lorsqu’elle a décidé son rattachement à la Russie suite à la crise ukrainienne. En cette occasion, Moscou ne s’est pas dressé stupidement contre l’ONU et n’a pas menacé le monde de rétorsion au cas où cette décision ne serait pas validée.

Le problème est que les Etats-Unis attendent de l’Organisation des Nations unies qu’elle entérine toutes leurs décisions. En clair, il faut qu’elle soit à leur botte et donne à leur politique nationale une caution et une légitimité internationales.

Roland Hureaux : Non seulement 128 pays ont voté la résolution mais 35 se sont abstenus. Seuls 9 ont voté contre : en dehors des Etats-Unis et d’Israël, il s’agit de micro-Etats négligeables (Palau, Iles Marshall etc.). Le résultat  est donc un cuisant revers pour ces deux  pays qui se retrouvent très  isolés. L’important est que  parmi les 128 figurent presque tous le pays européens, sauf la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie , la Roumanie, la Bosnie et la Croatie   qui qui se sont abstenues.

Que le  monde arabe ait voté cette résolution,  de même que  la Russie, la Chine, l’Inde et toue l ‘Asie ou n’a rien d’étonnant. Le nouveau, c’est l’Europe. Dès lors que les principaux pays d’Europe votaient  la résolution ,  le reste   du monde s’est senti    décomplexé.

Fin des hypocrisies ?  Je n’en  suis pas sûr. Les  Etats-Unis n’ont fait que  reconnaitre une situation déjà ancienne : il y a longtemps que les institutions gouvernementales   israéliennes se trouvent à Jérusalem  Ouest . Le fait que les Etats-Unis prennent unilatéralement acte de cette  situation a  suscité un tollé dans le monde, en particulier en Europe,  alors que les questions de fond ne sont pas modifiées : le processus de paix est au point mort, l’ installation  de colonies en Cisjordanie continue,   Gaza est régulièrement  bombardée. En se fixant sur    cet enjeu symbolique, de nombreux pays,  à  vrai dire assez indifférents à la question,    se dispensent d’agir pour que la situation bouge vraiment. Et elle ne bougera pas.

Je ne pense  pas en outre que le fait que ls Juifs israéliens   considèrent Jérusalem comme leur capitale soit dans la situation actuelle le plus choquant. En principe au moins, cela n’exclut pas que cette ville soit aussi un jour la capitale   d’un Etat   palestinien – comme Rome  est à la  fois la capitale de l’Italie et le siège du Vatican.

De son coté Benyamin Nétanyahou a déclaré ​: "En Israël nous rejetons cette décision de l'ONU et réagissons avec satisfaction face au nombre important de pays qui n'ont pas voté en faveur de cette décision". Le total de 128 votes "en faveur" de la résolution, alors que le seuil de 130 avait été fixé comme une hypothèse basse, ne marque t il pas justement un succès pour les Etats Unis ? ​

Roland Hureaux : Il est normal que le Premier ministre israélien fasse contre mauvaise fortune bon coeur. Mais le résultat n’est tout de même pas glorieux, puisque très peu de  pays se sont trouvés de son côté. Le seuil de 130 a été fixé  par qui ? C’est un chiffre tout à fait arbitraire, sans doute une opération de communication pour minimiser le revers. Le vote n’est pas seulement un concours de préférences. Il est  aussi  une mesure de la   capacité d’intimidation des  parties en présence. Les 35 pays  qui se sont abstenus n’ont-ils pas osé voter la résolution  ou n’ont-ils pas osé voter contre la résolution ? Selon la réponse que vous donnez à  cette question  - et elle varie à mon sens selon les Etats -, le résultat  du vote aura une signification différente. 

Eric Denécé  : La position du Premier ministre israélien n’a rien de surprenant. Ce n’est d’ailleurs par la première fois que l’Etat hébreu rejette ou bafoue des décisions de l’ONU. Pour les Israéliens, Jérusalem est la capitale. Et dans les relations qu’ils entretiennent avec des Etats étrangers, cette question est essentielle. Ceux qui acceptent de reconnaître cet état de fait bénéficient de relations politiques et économiques particulières avec l’Etat hébreu. En revanche, ceux qui reconnaissent un Etat palestinien sont voués aux gémonies.

Il convient de rappeler que diverses pressions ont été exercées et que des menaces à peine voilées ont été formulées dans la perspective de ce vote.

La diplomatie américaine a clairement laissé entendre « qu’elle se souviendrait de ceux qui s’opposeraient à cette résolution ». C’est leur droit, mais c’est inacceptable. Chaque Etat est souverain. C’est un signe de plus de l’hégémonie croissante de Washington sur les affaires du monde et de son mépris pour l’ONU. Rappelons que les Etats-Unis sont passés outre les décisions des Nations unies en 2003 pour envahir l’Irak de manière totalement illégale et en utilisant des arguments faux ou erronés (les armes de destruction massive…). Les Américains respectent les décisions de l’ONU lorsque cela les arrange (Libye, Corée du Nord, etc.) et les rejettent lorsqu’elles leur déplaisent (Irak, Israël, etc.). Nous observons par ailleurs qu’ils sont peu enclins à respecter les accords qu’ils ont eux-mêmes négociés et signés, à l’image de l’accord 5+1 conclu avec l’Iran pour obtenir l’arrêt de son programme nucléaire militaire qui se voit actuellement remis en cause.

Mais le plus préoccupant reste les menaces de rétorsion formulées par Washington. Nous en avons nous mêmes été victimes en France en 2003, pour nous être opposés énergiquement à l’invasion de l’Irak. Ce sont elles qui ont contribué à ce que le nombre de votes opposés à la résolution ne soit pas plus important.

Quelles sont les conséquences réelles à attendre de ce vote ?

Eric Denécé : Espérons qu’elles soient le moins grave possible. Il est encore trop tôt pour en mesurer pleinement les effets. Mais d’ores et déjà, il est possible de dire qu’elle vont accroître les tensions régionales et internationales et cliver davantage le monde.

D’abord, cette décision va contribuer à raviver la crise israélo-arabe au Moyen-Orient ; et l’on est en droit de se demander si ce n’est pas un effet recherché par Washington et Tel Aviv, à un moment où la guerre en Syrie est en train de se terminer et où Daesh a quasiment perdu toute emprise territoriale en Irak.

Ensuite, cela va accroître les divergences au sein du camp occidental, les Etats-Unis, comme en 2003, vont chercher à se venger de ceux qui se sont opposés à leur décision et ont voté contre eux à l’ONU.

Enfin, cela va mettre en lumière l’hypocrisie de certains régimes arabes, à l’image du royaume saoudien, qui épousent totalement les thèses américaines et qui n’ont jamais rien fait de concret pour les Palestiniens. Rappelons qu’il y a quelques semaines, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed Ben Salmane a déclaré sans ciller « qu’Israël faisait partie du camp arabe sunnite modéré ». Or Riyad n’est en rien un Etat modéré, c’est au contraire le principal foyer de diffusion de l’islam radical dans le monde. Et la soi-disant « ouverture saoudienne » n’est en réalité qu’un coup d’Etat d’une branche de la famille royale et une modernisation de l’autoritarisme wahhabite sous la pression américaine.

Si nous souhaitons tous qu’une issue favorable aux deux parties soit trouvée à la crise israélo-palestinienne, force est de constater que les positions de certains Etats arabes sur ce sujet ne sont pas spontanées mais totalement pilotées par Washington. Cela ne fera en rien avancer la résolution du problème. Et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu par Washington ne fait que jeter de l’huile sur le feu.

Roland Hureaux : Aucune, je le crains. Il y a quarante  ans, au temps de la guerre  froide, les Etats-Unis pouvaient bloquer n’importe quelle résolution  du Conseil de sécurité et ils le peuvent toujours. Mais il y avait  une majorité quasi-automatique  contre eux  à l’Assemblée générale résultant de l’alliance des pays communistes et des pays dits « non-alignés » . Depuis la fin du communisme, les  Etats-Unis ont paru   contrôler mieux ce qui se passait  à l’Assemblée  générale.  Ce vote montre que ce n’est plus le cas. On peut le tenir pour une marque  de la    faiblesse de Trump  qui n’arrive pas aussi bien que ses prédécesseurs à imposer le point de vue de Washington.  .Mais je crains qu’il ne s’en moque. La reconnaissance de Jérusalem capitale est à la fois la  réalisation d’une promesse  électorale et une opération de politique  intérieure. Sur ce plan, il accroit  ses chances de réélection  à la mesure de la désapprobation    qu’il rencontre  dans le monde. D’autant qu’il  a pour une fois  l’appui du Congrès.

Le changement le plus significatif pourrait  être celui de l’Europe :  d’abord l’unité sans faille des grands pays,  Royaume-Uni compris , à  l’exception de la Pologne, aujourd’hui très dépendante  de Washington. L’Europe avait eu jusque  vers 2005 au Proche-Orient une politique  équidistante entre le point de vue    israélien et celui des pays arabes. Ensuite ,    surtout sous l’impulsion de Nicolas  Sarkozy, l’alignement sur  les Etats-Unis et sur  lsraël a été total . Aujourd’hui, l’Europe reprend à nouveau  quelques distances. Cela pourrait être une bonne chose si   cette attitude est le signe d’une indépendance retrouvée . C’est une   moins bonne si cela  signifie une peur de se mettre à dos les musulmans    qui désormais  pèsent  bien plus que les juifs dans la population   européenne.

Ceci dit, rien ne changera sur le terrain, ni en bien ni en mal.

Le mieux qu’on puisse espérer est que Trump, ayant donné un gage symbolique considérable à Israël , ait ainsi  une autorité  plus grande pour imposer quelques  concessions à Netanyahou. Il n’est pas interdit d’être optimiste.

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