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Et arriva 1968 et la fin de l'école vue comme un héritage : la "déséducation" nationale pouvait commencer
©Pixabay

Bonnes feuilles

La démagogie et l’hypocrisie sont les deux mamelles de la déséducation nationale. C’est peu de dire que l’école se porte mal. Elle constitue la principale caisse de résonance d’un malaise qui la dépasse et qui gangrène la société. Elle souffre surtout d’une entreprise de destruction massive orchestrée par une administration ministérielle aux mains d’idéologues pédagogistes qui ne sont pas seulement de naïfs Trissotins. Extrait du livre "Témoin de la déséducation nationale" de Jean-Noël Robert aux éditions Les Belles Lettres (1/2).

Jean-Noël Robert

Jean-Noël Robert

Jean-Noël Robert est latiniste et historien de Rome. Auteur de nombreux livres sur l’antiquité romaine, dont Pompéi, De Rome à la Chine et Les plaisirs romains, il est aussi directeur de collections aux Belles Lettres. 

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« P…, quel beau cul ! »

Une de mes collègues, voici quelques années, se trouvait en visite dans un collège d’une zone sensible (pour je ne sais plus quelle raison) et bavardait avec le principal dans le couloir de l’administration quand un élève de sixième qui passait par là ne put retenir cette exclamation flatteuse. Devant l’air ahuri et choqué de la visiteuse, le chef d’établissement s’empressa de la rassurer en lui faisant remarquer qu’elle ne devait point se formaliser d’un langage propre à tous les jeunes de la cité et que, tout compte fait, le propos délivré sur la partie la plus charnue de sa personne relevait de l’éloge. Cet exemple, qui réunit l’impertinence naturelle et sans retenue d’un gamin de 12 ans et la réaction valorisante du directeur du collège, me semble assez révélateur de l’état de dégradation dans lequel se trouve notre école à la fin de l’année 2017.

À titre de comparaison, reportons-nous exactement soixante ans en arrière et relisons un extrait de la lettre qu’Albert Camus, après la réception de son prix Nobel en 1957, rédige à l’attention de M. Germain, son instituteur qui a pressenti son talent et convaincu sa famille de lui faire suivre des études. « Quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. » Et il ajoute que l’honneur reçu est pour lui « une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »

Voici un demi-siècle, l’école de Jules Ferry était le lieu de la promotion sociale, et ses maîtres demeuraient souvent dans les cœurs et les esprits comme des femmes et des hommes dévoués qui accomplissaient une mission et répondaient à une vocation plus souvent qu’ils n’exerçaient un métier. Chacun sait que leur train de vie était modeste, et un mot du célèbre Hercule Poirot dans un roman d’Agatha Christie en dit assez sur ce point : « Les petits professeurs qui inculquent le latin aux enfants n’ont pas des fins de mois somptueuses. » Mais peu importait, car le maître inspirait le respect ; il était celui qui transmettait un savoir indispensable pour s’élever au-dessus de la condition souvent difficile dans laquelle vivaient les familles modestes. Aujourd’hui, la situation a changé. L’école est un produit de consommation, les élèves et les parents en sont en quelque sorte les clients, qui, comme chacun sait, sont les rois, et les maîtres ont été ravalés au rang d’employés ou de prestataires de services auxquels le respect n’est pas forcément dû puisqu’ils sont « payés pour ça ».

Le changement des mentalités s’explique aisément par l’évolution de la société, mais aussi par le tourbillon politique qui est né des affres de la seconde guerre mondiale. En réalité, et sans refaire l’histoire de notre système éducatif, il faut retenir une date-clé : 1968. C’est principalement dans les années qui ont suivi qu’une épidémie a commencé à sévir, celle du grand bouleversement. Il n’était plus question de considérer l’école comme un héritage, comme un patrimoine qui formait le socle sur lequel avait pu s’édifier notre République. Il fallait tout changer. Le temps des réformes profondes et révolutionnaires pour abattre l’ancien monde et construire le nouveau était venu. Malheureusement, avec un peu de recul, on s’aperçoit que ces quarante dernières années ont vu naître puis disparaître au gré des modes pédagogiques un florilège de réformes dont la principale caractéristique fut de se contredire les unes les autres. Le vieux navire de l’école, habitué à tracer sa route au milieu des tempêtes, tanguait soudain sous les coups de boutoir d’une politisation effrénée. L’esprit de liberté et d’égalité voulu depuis Condorcet et Jules Ferry pour faire de l’école le creuset de la formation des hommes et des citoyens se trouvait alors asservi par les réformateurs pour promouvoir leur idéologie politique. En 1977, dans le quotidien Le Monde, on pouvait lire le projet pour l’école de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) avec ces mots : « La FEN a fait un choix essentiel : celui d’une société socialiste. » L’école, instrumentalisée par le pouvoir politique, devenait la chambre d’enregistrement de toutes les élucubrations des auteurs des nombreuses réformes qui s’ensuivirent, ceux-là mêmes qui inventeront toutes les méthodes destinées à formater les futurs citoyens, j’ai nommé les pédagogistes. Ces personnages font depuis lors la pluie et le beau temps au ministère de l’Éducation, entraînant, par leur démagogie et sous le couvert de propos hypocrites, le vieux navire vers le fond dans un délire permanent. Mais, avec lui, c’est notre école républicaine qui sombre corps et biens et l’acharnement de ceux dont l’honneur voudrait au contraire qu’ils missent tout en œuvre pour le renflouer est exemplaire. C’est cette époque, ces quarante années de déséducation massive que j’ai vécues de l’intérieur et dont je souhaite témoigner. Je ne cache pas que je veux me tenir hors de toute idéologie politique, mais que j’ai souffert de cette entreprise de démolition, surtout dans l’enseignement secondaire, mais aussi partiellement dans le supérieur (même si je ne désire traiter ici principalement que des enseignements primaire et secondaire parce qu’ils représentent les fondements des études postérieures). Je dirai simplement que je suis issu d’une famille dans laquelle on trouve des enseignants qui sont les héritiers des hussards noirs de la République, des femmes et des hommes profondément attachés à l’école laïque, serviteurs d’un esprit républicain de la trempe de l’instituteur d’Albert Camus ; j’ai été nourri de ce lait-là et j’ai toujours voulu servir cet idéal laïque tout au long de ma carrière de professeur de lettres classiques au lycée (et de latiniste plus spécifiquement à l’université). Pour moi, la politique doit être au service de la cité ; l’école, elle, au service de l’homme et du citoyen. Profiter du chambardement de mai 1968 pour récupérer politiquement l’école au service de doctrines dont l’essoufflement était manifeste ne pouvait que provoquer une crise profonde.

Extrait du livre "Témoin de la déséducation nationale" de Jean-Noël Robert, aux éditions Les Belles Lettres

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