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Moralisation de la vie politique : bien sûr... mais pour quoi faire ?
©Reuters

Bonnes feuilles

De A comme Amour à B comme Bayrou ou Bonaparte, C comme Centrisme ou J comme Jeanne d’Arc ou Jupiter, cet abécédaire rend compte de la campagne éclair d’Emmanuel Macron et de sa victoire à l’élection présidentielle, le 7 mai 2017. Comment expliquer un succès aussi imprévisible ? Extrait du livre "L'événement Macron" de Jean-Pierre Rioux, aux éditions Odile Jacob (2/2).

Jean-Pierre Rioux

Jean-Pierre Rioux

Jean-Pierre Rioux est historien, spécialiste d'histoire contemporaine de France, notamment dans ses dimensions politiques, culturelles et sociales. Il est l'auteur de La France perd la mémoire en 2006, et de La mort du lieutenant Péguy en 2014, tous deux aux éditions Perrin. Récemment, il a publié L'événement Macron aux éditions Odile Jacob.

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Qui ne souhaite pas moraliser la vie politique ? Personne. Emmanuel Macron n’a donc pris aucun risque en faisant de cet impératif un point emblématique de son projet pour la France, et dans les termes que lui avait fortement soufflés François Bayrou pendant une campagne électorale ravagée par le refus des « tous pourris » – cette dernière acception était partagée par 77 % des personnes interrogées en 2016 contre 38 % en 1977 : il n’y avait donc plus de seuil de tolérance ! La bataille de la moralisation remonte aux années du gouvernement de Michel Rocard, qui réglementa davantage la déclaration de patrimoine des élus et le financement des partis en 1988 et 1990. En 1993 et 1995, Édouard Balladur a poursuivi la contre-attaque en imposant à tout ministre mis en examen de remettre aussitôt sa démission et en proportionnant la dotation publique annuelle dévolue aux partis au nombre de suffrages obtenus. En 2013 après l’affaire Cahuzac puis en 2016, deux lois sur la transparence de la vie politique ont mieux délimité des zones à décontaminer. Voilà pour l’alpha, a priori consensuel et dont Emmanuel Macron n’entendait pas faire un sujet clivant. Et de surcroît, Frédéric Monier l’a noté, cet alpha régente aussi les changements politiques en cours dans nombre de démocraties européennes qui veulent desserrer l’étau populiste. Néanmoins, ce sont l’oméga, le but final, le bienfait espéré qui posent question.

Le chantier a été réouvert dès le 1er juin par François Bayrou garde des Sceaux et un premier texte a été présenté le 14 en Conseil des ministres. « Il ne s’agit pas, disait le ministre d’État, de laisser penser qu’on va régler les problèmes de morale personnelle par un texte. Les institutions ne sont pas faites pour rendre les hommes vertueux mais pour éviter que les faiblesses humaines ne contaminent le corps social. » La « moralisation de la vie publique » en première version Bayrou est déjà devenue, plus restrictive, la « confiance dans la vie politique », définie par une loi ordinaire puis une loi organique sans modification de la Constitution. C’est en ces termes que Nicole Belloubet, garde des Sceaux le 21 juin après le retrait de François Bayrou pour « sauver sa loi », a persévéré en précisant les textes puis en les suivant au Parlement. Si bien que les 3 et 9 août deux lois, l’ordinaire et l’organique, ont été adoptées à une très large majorité, après une navette entre le Sénat et l’Assemblée, pleine comme à l’habitude d’amendements procéduriers chez les opposants. Elles sont, finalement, suffisamment consensuelles et elles officialisent des avancées significatives sur les emplois familiaux interdits aux élus, sur leur situation patrimoniale, leurs « frais de mandat » et la suppression de la réserve parlementaire, leur inéligibilité pour atteinte à la probité, les conflits d’intérêts, les activités de conseil et le lobbying toujours menaçants. Mais elles ne poussent pas le « verrou de Bercy » (seul le ministre du Budget peut faire engager des poursuites pénales pour fraude fiscale) et laissent régler plus tard, par ordonnance, le sort de la « banque de la démocratie » très chère à François Bayrou et qui devrait faciliter le financement des campagnes électorales. Malgré ses angles morts, malgré les critiques et les recours qu’il a fait fleurir, un déclencheur d’alerte démocratique est désormais installé dans notre vie politique et il a force de loi. Pari gagné pour Emmanuel Macron et sa majorité.

Il va de soi que ces mesures ne règlent pas le rapport, toujours tendu et abondamment débattu depuis Platon et Aristote, entre morale et politique et qu’elles ne prévoient pas d’explorer de sitôt d’autres questions de confiance. Elles ne tranchent pas entre Kant, qui pensait que la raison pratique et le respect de la « liberté positive » de chaque individu pourraient subsumer la politique, et Hegel soutenant dialectiquement que « l’État c’est la réalité effective de l’idée éthique ». Mais l’heure n’est plus aux dissertations et aux sermons : « On ne gouverne pas les États avec des Pater Noster », disait Machiavel. En 2017, il a été jugé qu’il valait mieux commencer par surveiller les élus avant de prier plus avant.

Charles Péguy avait fait un jour une leçon à l’École des hautes études sociales, qu’il reprit dans un de ses Cahiers de la Quinzaine le 19 janvier 1904, à l’heure du divorce entre mystique et politique dans la mise en œuvre de l’idéal républicain. C’est peut-être lui qui aura le mot de la fin, sur cette réflexion tout juste amorcée mais qui reste très imprégnée de l’idée d’aboutir un jour à un point oméga de l’action publique moralisatrice, pour sortir définitivement du temps du soupçon et de la dénonciation. Attention, nous dit-il : il n’y a pas de point oméga !

« Qu’est-ce que la politique ?, écrivait-il. La définition la plus brève est celle-ci : on dit qu’il y a morale toutes les fois qu’on s’astreint à ne jamais considérer les individus comme des moyens, mais comme des fins, c’est-à-dire toutes les fois que, voulant le bonheur des individus ou des nations, on ne se sert pas artificiellement d’autres individus pour parvenir à ses fins. Et au contraire je crois que personne ne s’opposerait à cette définition : la politique est une espèce d’opération non seulement qui permet, mais qui contraint à considérer les personnes morales comme des moyens. La politique est le nom qu’on donne à une série d’opérations où sans cesse les gens ne sont pas seulement les fins dont on se propose le bonheur ou le bien, mais les moyens par lesquels on entend passer ; ce qui implique naturellement que la morale réprouve le mensonge, mais que la politique l’admet ou même y force. »

Extrait du livre "L'événement Macron" de Jean-Pierre Rioux, aux éditions Odile Jacob 

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