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Journée mondiale des migrants : mais où en est vraiment la France en matière d’immigration ?
©Reuters

Etat des lieux

Alors que Gérard Collomb prévoit d'augmenter les renvois des migrants non-réfugiés, il convient de s'intéresser plus précisément à ce que signifie "être migrant" en France aujourd'hui.

Atlantico : Où en est l'immigration légale en France en 2016 ? Comment a-t-elle évolué tant en termes de nombre qu'en termes d'origine géographique par rapport à 2015 et surtout est-ce que la tendance (visiblement à la hausse en termes de titre de séjour et de demandes d'asile) va perdurer selon vous ? Si ce n'est pas le cas est-ce que les actions d'Emmanuel Macron suffisent à expliquer une possible inversion du phénomène ? Selon le ministère de l'Intérieur, en 2016, 91 000 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés, 31 000 se sont vus délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF)  et seulement 24 700 l'ont respectée (dont 12 900 de manière contrainte). Or, le gouvernement qui prépare sa loi immigration-asile souhaite plus d'expulsions et en même temps un meilleur accueil des réfugiés. En 2017, Gérard Collomb se dit "serein" pour son premier bilan car on compte déjà plus de 26 000 éloignements et on en prévoit plus de 28 000 pour toute l'année 2017. Mais ces chiffres ne sont-ils pas à prendre avec des pincettes ?

Laurent Chalard : Concernant l’immigration légale en France en 2016, selon les chiffres provisoires fournis par le Ministère de l’Intérieur, les entrées ont augmenté de 10 000 personnes, soit 227 923 nouveaux permis de séjour accordés.  Cette progression de 4,8 % est un peu plus importante que l’année précédente, confirmant que la France demeure un pays attractif. La hausse s’explique principalement par la forte croissance, de 25,5 %, des attributions d’asile, consécutive de l’importante augmentation des demandes, liée à la crise des migrants. Les permis de séjour délivrés pour motif économique sont aussi en progression. Il est difficile de déterminer si la tendance haussière va se poursuivre les prochaines années. La seule prévision que l’on peut s’exercer à faire, c’est qu’après le pic atteint en 2016, sauf nouvelle crise migratoire externe, le nombre de demandes d’asile devrait se réduire dans les prochaines années, et donc aussi le nombre d’attribution. Pour les autres causes, il est impossible de faire des prévisions. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, il est trop tôt pour déterminer si les politiques menées par Emmanuel Macron dans ce domaine auront des effets statistiques ou non.

Concernant l’immigration illégale en France en 2016, les chiffres fournis par le Ministère de l’Intérieur sont des données fiables, mais, il faut les prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des données portant sur les personnes effectivement appréhendées en situation irrégulière, soit de manière administrative, du fait du non renouvellement de leur titre de séjour, soit car elles ont été interceptées par les forces de l’ordre comme tel. Il s’ensuit que le chiffre de 91 000 étrangers en situation irrégulière en 2016 ne constitue nullement le nombre réel d’étrangers en situation irrégulière présent sur notre territoire, qui doit être sensiblement plus important, sans qu’il soit possible d’en avoir une idée précise, les institutions avançant des chiffres compris entre 300 000 et 500 000 personnes, ce qui reste, au passage, toute proportion gardée, largement en-dessous de la situation américaine, où jusqu’à 12 millions de personnes se trouvant en situation de clandestinité ont été estimées à la fin des années 2000.

On peut déjà imaginer sans trop de mal que le gouvernement ne manquera pas de se féliciter pour l'augmentation prévue de 13% d'expulsions contraintes en 2017 par rapport à 2016. Mais considérant qu'en 2016, les expulsions avaient diminué  de 16% par rapport à l'année d'avant, ce "durcissement" de politique et ce premier bilan ne méritent-ils pas eux aussi d'être nuancés ?

Pour répondre de manière pertinente à cette question, il ne s’agit pas tant de savoir si les expulsions ont augmenté en volume ou non d’une année sur l’autre, mais de voir si leur pourcentage rapporté au nombre d’OQTF a progressé ou diminué. 

L’analyse des données statistiques, fournies par le quotidien Libération en octobre 2017, concernant les procédures d’éloignement effectives sur une dizaine d’années, montre que ce pourcentage est en forte progression. En 2008, il n’était que de 7 %, passant à 22 % en 2012, puis 27 % en 2016. Pour 2017, nous ne savons pas encore. La tendance est donc à l’augmentation, sensible sous Nicolas Sarkozy, modérée sous François Hollande. Il faudra attendre quelques temps pour savoir si la tendance haussière s’accélère sous Emmanuel Macron.

Enfin,  à quoi le gouvernement devrait être particulièrement attentif s'il veut mener à bien sa politique migratoire en 2018 ? Est-il possible de se contenter de réfléchir au niveau national si l'on veut traiter efficacement ce problème ?

Une politique migratoire ne peut se résumer à une politique d’expulsion, d’autant que cette dernière n’a guère bonne presse. En effet, si l’Etat français souhaite réduire les expulsions, il faut qu’il s’attaque à la base du problème, c’est-à-dire la limitation des entrées illégales sur le territoire national. Or, dans ce cadre, la France faisant partie de l’espace Schengen, le problème est européen et non purement hexagonal. C’est aux frontières de l’Europe, que la question se joue. Les clandestins, en-dehors de ceux arrivés légalement qui ne repartent pas une fois leur permis de séjour (ou visa) expiré, entrent dans leur grande majorité en France par les pays voisins, principalement l’Italie ces dernières années. La problématique migratoire ne peut donc être abordée qu’à l’échelle européenne en lien avec les pays de transit du pourtour du bassin méditerranéen, ce qu’Emmanuel Macron a bien compris, en traitant directement de la question avec les dirigeants libyens, la Libye étant le pays de transit le plus problématique. 

Par ailleurs, même si les flux illégaux originaires du pourtour méditerranéen venaient à se réduire, voire se tarir (ce qui paraît peu probable), il resterait la question des personnes entrées légalement sur le territoire français, qui ne repartent pas lorsqu’elles le devraient. Jusqu’ici, c’est un sujet peu abordé. Or, il est loin d’être négligeable sur le plan statistique. Que faut-il faire de ces personnes ? La réponse est complexe car certains travaillent et contribuent donc à la richesse nationale. A l’heure actuelle, cette question apparaît comme l’un des « impensés » de la politique migratoire hexagonale.

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