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Ces fractures territoriales françaises que le gouvernement tente de colmater sans vraiment s’attaquer aux racines du problème
©Reuters

Mauvaise cible

Le Premier ministre a défendu jeudi, à Cahors, le plan du gouvernement pour les zones rurales et les villes moyennes, qui se sentent laissées de côté. Mais les annonces du gouvernement semblent s'attaquer aux conséquences - la perte d’attractivité des centres villes ou la diminution des revenus financiers des collectivités locales - et non pas aux causes réelles du déclin de la "France périphérique".

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Ce jeudi 14 décembre, Edouard Philippe a présenté la feuille de route du gouvernement pour les territoires ruraux et les villes moyennes, en évoquant la question du très haut débit, la revitalisation des centres villes des villes moyennes, notamment pour faire face à la disparition des commerces et à la dégradation de ces zones, ou encore le pacte financier entre l'Etat et les collectivités. Comment appréhender la stratégie du gouvernement concernant la question des territoires ruraux et des villes moyennes ?

Laurent Chalard : La stratégie du gouvernement d’Edouard Philippe apparaît assez étrange car elle semble plus s’attaquer aux conséquences (la perte d’attractivité des centres villes ou la diminution des revenus financiers des collectivités locales) qu’aux causes du déclin d’une large partie des territoires ruraux et villes moyennes de France, ensemble qu’il est convenu désormais, d’appeler la « France Périphérique », suivant l’expression du géographe Christophe Guilluy.

En effet, le moteur du décrochage de la « France Périphérique » par rapport aux grandes métropoles est l’économie, en l’occurrence la concentration de l’emploi dans ces dernières. La désindustrialisation de la France touche prioritairement les territoires, où l’industrie emploie une part non négligeable de la population active, c’est-à-dire les petites et moyennes villes, ainsi qu’une partie des territoires ruraux, l’industrie agro-alimentaire pesant, bien souvent, plus que l’agriculture. A contrario, l’emploi se créé principalement dans les activités de haute-technologie et dans le tertiaire supérieur, qui sont surreprésentés dans les grandes métropoles. Il s’en suit que seule une politique d’aménagement du territoire reposant sur des actions dans le domaine économique, visant à faire rebondir l’emploi dans la « France Périphérique », peut résoudre le problème. Or, la question de la création d’emplois et des politiques permettant de la stimuler n’est nullement abordée par le gouvernement…

Résumer la question à un simple problème d’attractivité commerciale des centres villes constitue un moyen d’éviter d’aborder frontalement le sujet, apparaissant comme une énième tentative de noyer le poisson vis-à-vis d’élites politiques de la « France Périphérique » extrêmement passives.

Comment expliquer cette "emprise" de la logique de la métropolisation sur les actions du gouvernement ?

Le gouvernement d’Edouard Philippe s’inscrit pleinement dans une politique néolibérale de type « Thatcher », qui considère que les dynamiques territoriales sont « naturelles », produit de la rationalité des agents économiques, et qu’il est donc impossible de les contrecarrer (à raison), ou, tout du moins, de les atténuer (ce qui est possible !). Dans ce cadre, pour le gouvernement, la métropolisation, consécutive de la mondialisation, étant la principale dynamique spatiale à l’œuvre, la politique économique menée doit viser à l’accompagner, et tant pis si le reste du territoire ne suit pas ! Il s’en suit que les politiques d’aménagement du territoire sont considérées comme inutiles et inefficaces. A partir du moment, où certaines villes sont condamnées par le « modèle » économique dominant à péricliter, pour ses promoteurs, il vaut mieux ne pas agir, cela ne servant pas à grand-chose (avec les dramatiques résultats que l’on sait au Royaume-Uni). C’est une politique foncièrement fataliste, qui acte la fragmentation socio-économique de la France et condamne une partie du pays à la souffrance.

La domination de la logique de la métropolisation chez nos dirigeants s’explique aussi par les représentations négatives de la France non métropolisée véhiculées par bon nombre d’universitaires, avec à leur tête l’économiste Laurent Davezies, qui dénoncent le « coût » que représenterait pour les métropoles « l’entretien » du reste du territoire. Ce sont des visions purement économicistes qui ont le vent en poupe en haut lieu, d’autant que nos dirigeants sont peu imaginatifs et ne cherchent pas à se remuer les méninges pour proposer de nouveaux modèles de développement économique aux territoires qui ne peuvent bénéficier de l’impact positif de la métropolisation.

Quels seraient les remèdes les plus efficaces permettant une plus grande cohérence d'un développement sur l'ensemble du territoire ?

S’il n’existe, bien évidemment, aucun remède miracle, sinon la question ne se poserait pas, par contre, plusieurs évolutions semblent souhaitables.

La première est un changement des références intellectuelles de nos dirigeants, qui doivent se départir de l’idée qu’une partie du territoire « coûterait » trop cher au reste du pays. En effet, ce qui fait l’unité de la Nation, c’est la solidarité territoriale. Or, aujourd’hui, comme hier et comme demain, les territoires affichant les meilleures performances économiques redistribuent une partie de leurs revenus vers les territoires à l’économie plus poussive. C’est une chose tout à fait normale, sinon (ironie de l’auteur), démantelons la France en plusieurs régions, qui chacune se débrouilleront seules !

Dans le prolongement de la précédente évolution, une deuxième serait que l’Etat, prenant conscience du décrochage trop marqué de certains territoires, qui risque de mettre gravement à mal la cohésion nationale, en sélectionne un nombre limité parmi ceux les plus en difficulté, pour y instaurer un « plan Marshall », c’est-à-dire mener une politique de redynamisation économique active.

La troisième évolution est un changement de mentalité des élites politiques de la « France Périphérique », qui doivent sortir de leurs logiques de guichet vis-à-vis de l’Etat, c’est-à-dire de chercher à « quémander » en permanence de l’argent sans projets de développement concrets derrière. Ces élites doivent s’émanciper des représentations des élites parisiennes, reposant sur un rapport centre-périphérie, qui demeure extrêmement prégnant. Comme l’a montré l’exemple breton, il est possible d’engager une politique de développement territorial efficace depuis la périphérie.

Enfin, quatrième et dernière évolution, les chercheurs comme les acteurs locaux doivent réfléchir intensément à l’invention d’un nouveau modèle de développement territorial, qui ne repose pas sur la métropolisation. En effet, les métropoles françaises étant trop petites pour espérer rayonner complètement sur l’ensemble du territoire, il convient de trouver des spécialisations économiques, qui répondraient aux caractéristiques des régions relativement éloignées des grands pôles urbains européens. D’ailleurs, il n’existe probablement pas « un » modèle, mais « des » modèles adaptés aux spécificités de chaque territoire.

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