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Comment la droite allemande s’éloigne doucement mais sûrement d’Angela Merkel
©John MACDOUGALL / AFP

Outre-Rhin

Le SPD se réunit du 7 au 9 décembre sur fond de débats relatifs à la coalition avec Angela Merkel. Avec l'élection d'Alexander Gauland et le passage de témoin au sein de la CSU, la situation politique en Allemagne ne semble pas favoriser les plans d'Angela Merkel.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Alors que le parti social démocrate allemand (SPD) se réunit du 7 au 9 décembre à Berlin sur fonds de débat relatif à la participation à une coalition avec Angela Merkel, la droite allemande semble vivre un important mouvement, de l'AFD à la CDU-CSU. Comment comprendre le double mouvement de l'élection d'Alexander Gauland à la tête de l'AFD et le passage de témoin interne à la CSU entre Horst Seehofer et Markus Söder ?

Rémi Bourgeot : Le bloc conservateur CDU-CSU a dans son ensemble connu une forte érosion électorale au cours des élections fédérales de septembre, mais les chrétiens sociaux de la CSU, la variante bavaroise de la CDU, ont été davantage secoués et une forte contestation a gagné le parti. Horst Seehofer s’était manifesté dans les négociations de coalition avec la CDU, le FDP et les Verts sur les questions migratoires, en particulier sur le sujet du regroupement familial qui l’opposait aux Verts. Cependant sa ligne a été remise en cause par un courant plus conservateur au sein de la CSU, qui a obtenu gain de cause puisqu’il ne représentera plus le parti aux prochaines élections. C’est, dans le fond, un rejet des courants associés à la ligne d’Angela Merkel. L’approche politique qui consiste à prendre des idées dans tous les camps, que ce soit sur l’immigration, l’environnement ou l’Europe, quitte à les inverser quelques mois plus tard, a profondément déstabilisé l’échiquier politique et contribué à cette situation d’ingouvernabilité qui connait une traduction concrète dans toutes les franges de l’échiquier politique.

En ce qui concerne l’élection d’Alexander Gauland, elle a été décrite comme une radicalisation supplémentaire de l’AfD. Il ne fait aucun doute que ses positions sont des plus extrêmes, en particulier sur le plan du révisionnisme lorsqu’il évoque l’histoire allemande. Il représente par ailleurs un courant différent de celui davantage centré sur l’euroscepticisme. Frauke Petry, ancienne responsable de l’AfD, avait quitté le parti au lendemain des élections de septembre en prétextant de la radicalité du mouvement, qui ne s’inscrit pas dans une démarche de gouvernement. Elle était pourtant l’un des architectes de la reconversion du parti d’une ligne anti-euro vers une ligne identitaire. La distinction entre modérés et extrémistes ne correspond pas à la véritable ligne de fracture au sein du parti. On retrouve chez les partisans de la ligne plus présentable du parti les mêmes convictions que dans l’aile radicale, et c’est notamment le cas d’Alice Weidel, économiste qui est censée porter une ligne plus respectable.

Gauland est par ailleurs un ancien de la CDU et sa radicalité relève de thèmes qui dépassent le cadre de l’AfD. Même en ce qui concerne ses déclarations les plus extrêmes, celles-ci font écho à un mouvement d’idées perceptible dans le pays et qui n’est pas cantonné à l’extrême droite. L’AfD n’est pas si marginal qu’on pourrait le penser, dans le contexte politique allemand actuel.

Quelles sont les conséquences de ces turbulences à droite de l'échiquier politique allemand pour Angela Merkel ? Faut il y voir une ligne de fracture entre la Chancelière et sa base politique ? 

Qu’il s’agisse de l’AfD, du FDP ou de la CSU, de façon certes très différente dans les trois cas, on voit la droite allemande se restructurer contre l’approche d’Angela Merkel. Cette contestation se retrouve d’une certaine façon au sein même de la CDU, mais l’absence d’alternative personnelle permet à Angela Merkel de rebondir sur l’idée d’une nouvelle grande coalition. La question cruciale est celle de l’évolution des forces politiques qui pourraient de plus en plus la contester, en particulier le FDP, dont la rupture des négociations tripartites pourrait être une sorte d’acte « refondateur ». Le changement politique à la tête de la CSU va pour sa part exercer une pression beaucoup plus directe et immédiate sur Angela Merkel puisque la CSU sera partie prenante des négociations en vue d’une nouvelle grande coalition. On entend beaucoup en Europe depuis quelques jours l’idée selon laquelle, dans le fond, Merkel s’en sortirait bien avec une grande coalition pro-européenne avec le SPD et en ayant échappé aux blocages du FDP sur cette question. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a fortement encouragé les deux partis à s’entendre, dans le sillage du travail de conviction effectué par le président fédéral Frank-Walter Steinmeier. La réalité de la scène politique allemande est néanmoins celle d’une pression exacerbée à droite contre la ligne qu’Angela Merkel a développé dans le cadre de la grande coalition.

La grande coalition actuelle n’avait pas produit d’avancée significative en ce qui concerne le renforcement de l’UE et de la zone euro, alors que rien ne l’en empêchait formellement si ce n’est la crainte d’une levée de bouclier de l’électorat. Cette crainte est désormais décuplée et autrement plus palpable.

Quelles sont les conséquences de cette situation pour la Chancelière ? Comment anticiper la suite des négociations sur de telles bases ? 

De nombreux sociaux-démocrates comprennent que la voie de la grande coalition est sans issue, aussi bien pour eux que pour la CDU, dans le fond. Il est intéressant de voir notamment les jeunes du parti monter une campagne formelle contre la « GroKo ». Les sociaux-démocrates n’ont rien à gagner dans cette coalition et n’ont plus de ligne politique véritablement différente de celle d’Angela Merkel à imposer. On ne peut ainsi même plus vraiment dire qu’ils tentent d’arracher des concessions politiques lorsque l’on regarde les points qui sont modestement évoqués. Ils devraient certes pouvoir obtenir des ministères de premier plan, peut-être même le ministère des Finances, mais l’intérêt en reste très limité pour eux en réalité, sur le long terme. De nombreux gouvernements européens souhaitent cette issue qui maintiendrait une forme de statu quo. Ce statu quo vient en fait déjà d’être balayé par l’évolution croisée du FDP, de la CSU et de l’AfD, chacune à sa façon. Angela Merkel, si elle parvient d’une façon ou d’une autre à se maintenir, sera parfaitement consciente de cette situation et elle ne manquera pas d’ajuster sa ligne politique en conséquence, profitant notamment du manque d’alternative au leadership dans son camp. Un mouvement profond de fracture et de restructuration est néanmoins à l’œuvre, qui rend non seulement l’Allemagne ingouvernable mais indique aussi le creusement de divergences européennes d’ores et déjà manifestes.

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