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Alerte rouge : vous avez aimé Madoff, vous allez adorer le Bitcoin...
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Atlantico Business

Robert Madoff a mis en risque plus de 65 milliards de dollars. L’échappée belle du Bitcoin a déjà embarqué, elle, pour 165 milliards de dollars et ça n’est pas fini. Au bout du chemin, sans doute le krach, au profit d’une poignée de spéculateurs de haut vol.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les dirigeants des principales banques centrales du monde (USA, Europe, Angleterre et Japon) ont tous prévenu qu’il était impossible pour eux de garantir l’émission de bitcoins. Les dirigeants des grandes banques et des sociétés d’assurance ont toutes déclarées qu’elles ne pouvaient pas accepter des transactions en bitcoins ou même ouvrir des comptes. Quant aux Etats, ils appellent à la prudence parce qu’aucun ne peut être appelé en garantie de dernier ressort en cas de difficultés ou de crise de confiance.

La situation est jugée désormais suffisamment sérieuse et inquiétante, à tel point qu’une série de prix Nobel, de droite comme de gauche , de Jean Tirole ( français plutôt libéral ) à Joseph Stiglitz (américain plutôt social démocrate), en passant par Paul Krugman, ont signé une série de tribunes dans le Financial Time et Bloomberg, pour affirmer que le bitcoin était une opération purement spéculative, qu‘il fallait donc la rejeter avec détermination avant que la bulle n’éclate, parce que ce jour-là, elle pourrait faire des millions de victimes qui se retrouveront ruinées.

Jean Tirole avoue sincèrement ne pas pouvoir expliquer si le bitcoin peut provoquer des effets positifs sur l’économie. Pour l’instant, le bitcoin ne sert pas l’économie. Ce qui est certain, c’est que la bulle spéculative ne peut pas tenir indéfiniment. Jean Tirole et Joseph Stiglitz, qui lui est encore plus sévère sur les effets nocifs de la monnaie digitale, rejoignent Paul Krugman qui avait, dès 2013, dénoncé le caractère pernicieux de cette monnaie.

Le risque est d’autant plus grave que la spéculation s’est accélérée depuis quelques mois puisque le bitcoin vaut désormais plus de 13 000 dollars, soit plus de 10 fois sa valeur au début de l’année. Au total, l’ensemble des transactions avoisinerait déjà les 200 milliards de dollars.

Cela dit, jouer les oiseaux de mauvaise augure face à un phénomène qui a autant de succès n’est pas facile. D’autant que le fonctionnement de cette monnaie, son origine, et sa valeur sont assez difficiles à expliquer et à comprendre. A tel point d’ailleurs que les militants du bitcoin ont balayé d’un revers de la main les objections de tous ces prix Nobel et des banquiers centraux en disant qu’ils avaient une méconnaissance de la technologie sous jacente au bitcoin. Sans doute, mais tout se passe comme si l’univers du bitcoin était réservé à ceux qui appartiennent à la communauté digitale ou alors à ceux qui voient là une source d’enrichissement rapide (10 fois la mise en un an, ça ne passe pas inaperçu). Bref, on a tous les ingrédients et les mécanismes d'une secte.

« Vous ne comprenez pas comment ça marche, peu importe, faites confiance à ceux qui savent. Ca marche parce que ça gagne! »

Le système Madoff a fonctionné avec  les mêmes ressorts pendant presque 20 ans. «Personne ne sait au juste comment fonctionne Madoff, disait-on, mais ce qu’on sait, c’est que ses placements rapportent plus de 15% par an alors que le marché ne sert que du 5%. Ce type est un génie, disait-on dans les salons chics de Paris, de Los Angeles ou de Tel Aviv ». Jusqu‘au jour où on a découvert qu’il avait monté une pyramide de Ponzi. C’est à dire qu’il payait des rendements astronomiques à ses clients avec l’argent qu’il recevait en placement des nouveaux clients. Le système a fonctionné tant que Madoff trouvait des nouveaux clients.

 En 2008, la crise a fait peur à tout le monde, y compris à ceux qui avaient fait confiance à Madoff. Total de l’escroquerie : 65 milliards de dollars. Mais Madoff entretenait la confiance par un discours technique sophistiqué, des études sérieuses, mais bidons, mais au bout du chemin, il a fallu qu’il se rende à l’évidence et à la justice. Madoff purge aujourd’hui une peine de 135 années de prison après avoir vécu comme un des princes de Wall Street.

L’équation bitcoin est plus compliquée, donc plus mystérieuse. La légende attribue le concept à deux ou trois génies de l’informatique qui ont rêvé d’un monde très libéral et libertaire dans lequel il n’y avait aucune règle, aucun contrôle, aucune régulation dans les rapports entre les hommes, hormis la confrontation des intérêts individuels et la confiance réciproque et générale.

Ils ont considéré que la valeur d’une monnaie dépend de la confiance que se font ceux qui l’utilisent et ont donc imaginé une monnaie purement virtuelle, gagée sur la confiance des internautes, laquelle confiance est consignée dans des archives absolument vérifiées et contrôlées qui rassembleraient l’ensemble des transactions réalisées.

Ce que les experts de bitcoins appellent la blockchain, les lignes de codes stockées et reliées entre elles qui racontent et attestent de l’historique des transactions.

Au fur et à mesure que les transactions se multiplient, il existe un processus informatique de minage pour introduire dans la blockchain, la nouvelle transaction, et en contrepartie le système délivre des unités de comptes en bitcoins.

Il y a donc bien création monétaire en contrepartie de la création de richesses liée à la transaction.

Dans le système monétaire classique, il y a création de monnaie en contrepartie de la création de richesses, mais la grande différence c’est que dans le système classique, il y a un organisme qui stocke des actifs, lesquels garantissent la valeur de la monnaie. En plus, ces institutions garantissent la circulation monétaire et les Etats réassurent le système en cas de panne. C’est ce qui s’est passé lors de la crise de subprimes en 2008. Quand la panique a bloqué le système interbancaire et figeant la circulation, ce sont les Etats et les banquiers centraux qui sont sortis pour éteindre l’incendie et réassurer le système. La confiance revenue, les monnaies ont pu conserver leur valeur.

Au lendemain de la découverte des frasques de Madoff, personne n’est venu en réassureur et c’est la justice pénale qui a joué son rôle, mais qui a laissé les perdants comptabiliser leurs pertes.

Le bitcoin est une monnaie purement virtuelle dans la mesure où elle correspond à une blockchain qui s’enrichit grâce au minage certes (ce qui au passage, nécessite des calculs informatiques monstrueux), mais compte tenu de sa nouveauté, de sa rareté et de son anonymat (aucune banque, aucun ministre des finances n’a apposé sa signature sur des bitcoins pour signifier que cette monnaie est garantie), le bitcoin est la proie des spéculateurs et sa valeur ne cesse de croitre, sans rapport avec la valeur des transactions qui sont consignées dans la blockchain.                   

Alors qui utilise les bitcoins et qui spécule ?  Tout le monde peut utiliser des bitcoins à condition de trouver quelqu’un avec qui faire des transactions. En théorie, on peut tout payer avec des bitcoins pourvu que le vendeur et l’acheteur se mettent d’accord. Les sites internet qui se proposent d’organiser des transactions en bitcoins, ou avec d’autres cryptomonnaies, se multiplient sur la toile.

Cela dit, ne tombons pas dans l’angélisme. Il y a trois catégories d’utilisateurs de bitcoins. 

1. D’abord, il y a des agents économiques normaux qui essaient pour voir, mais ils sont rares;

2. Ensuite, il y a évidemment tous ceux qui ont intérêt à rester discret et à échapper au contrôle des banques, de Tracfin ou des fiscalités nationales. Par conséquent, le bitcoin a du succès chez ceux qui fabriquent de l’argent sale dans le commerce de la drogue, le commerce illicite des armes, dans la prostitution internationale et on commence à le voir dans le travail au noir.

3. Enfin, et c’est sans doute le plus inquiétant, les populations des pays émergents, qui ne sont pas bancarisées mais qui sont équipées d’un smartphone, ont parfaitement compris qu’il existait dans le bitcoin un casino fantastique à l’échelle internationale sur lequel ils pouvaient aller. Il existe de par le monde, en Inde, en Chine et en Afrique, plus de 2 milliards d’êtres humains qui ne sont pas bancarisés et qui pourraient être tentés par ces nouvelles monnaies.

Le bitcoin offre donc un champ assez gigantesque pour que les spéculateurs à grande échelle puissent jouer et faire monter la valeur. La communication, alliée à l’idéologie libertaire sous jacente, la mode et la bienveillance alliée à la cupidité de bien des geeks, poussent la valeur du bitcoin dont la rareté est organisée. D’ailleurs, le fonctionnement de la blockchain, extrêmement lourd, limite de fait la création de bitcoins. Cela, aucun organisme dans le monde ne peut en réguler la valeur ; et aucun organisme dans le monde ne pourra sécuriser cette monnaie et en garantir la valeur le jour où le système fondé sur la confiance va s’effondrer.

Le système commencera à se fragiliser lorsque la valeur du bitcoin se retournera parce qu’il y aura plus de vendeurs que d’acheteurs. Ce jour-là, les grands gagnants seront ceux qui auront sauté du train les premiers. Les autres resteront coincés ou collés avec leurs bitcoins.

Le mécanisme ressemble étrangement à ce qui s’était passé avec Madoff ou il y a plusieurs siècles avec la grande crise des tulipes hollandaises. La seule différence, c’est qu’au train où vont les choses, le scandale du bitcoin sera planétaire. Les auteurs et les bénéficiaires auront disparu. Ils ont peut-être déjà disparu dans la foule puisque personne ne les connaît. La rumeur attribue la paternité du système a un coréen génial et à un français. Mais personne ne les connaît. Personne ne les a jamais vus. 

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