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Exclusif : Les Français se sentent nettement moins à gauche qu'avant la présidentielle et trouvent Emmanuel Macron nettement plus à droite
©LUDOVIC MARIN / AFP

Barre à droite !

Ce sondage Ifop montre bien qu'entre mars 2017 et novembre 2017, un glissement s'est opéré autant dans l'auto-détermination des Français que dans la perception qu'ils ont de la position politique de leur président.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Pendant la campagne, Emmanuel Macron, avait avancé l'idée du "ni droite ni gauche" permettant d'avancer sans un positionnement politique trop largement marqué. 6 mois après les élections, la perception politique du Président Emmanuel Macron s'est cependant démarquée de cette neutralité, avec un décalage de 0.8 vers la droite, le plaçant à 6 sur une échelle de 0 à 10 (0 étant l'extrême-gauche et 10 étant l'extrême-droite). Quels sont ces Français qui considèrent aujourd'hui que Emmanuel Macron penchent plus à droite ? La moyenne d'autodétermination des Français étant à 5,8, faut-il y voir un signe d'une certaine fin du positionnement centriste ou s'agit-il uniquement de l'influence des circonstances ? François Mitterrand disait déjà en son temps que la France était un pays de droite :  faut-il y voir une confirmation d'une tendance longue de notre société ou plutôt une "droitisation" de l'électorat ces dernières années ?

Jérôme Fourquet : Si on revient à la campagne présidentielle, le sondage réalisé par Ipsos, pour la Fondation Jean Jaurès notamment, avait démontré qu'Emmanuel Macron était perçu comma ayant un positionnement pleinement central. Il l'avait certes défendu et théorisé, mais cela avait surtout été reconnu et perçu comme tel par les Français alors que même François Fillon apparaissait comme très déporté sur sa droite et Benoît Hamon très déporté sur sa gauche. Il y a donc un espace central qui s'était dégagé comme rarement dans une élection présidentielle, et Emmanuel Macron était parvenu à se positionner au beau milieu avec une note de positionnement de 5,2. Depuis lors, et c'était l'interrogation que nous avions en lançant cette enquête, il a beaucoup été dit qu'Emmanuel Macron avait opéré un glissement vers la droite et ce en plusieurs étapes. D'abord dans le choix de son Premier ministre et de son gouvernement. Ensuite en mettant en application dès le début de son quinquennat un certain nombre de réformes économiques et sociales qui sont clairement d'inspiration libérale. La question que nous avions à l'esprit, c'était de savoir si l'opinion avait acté ou pas ce glissement d'Emmanuel Macron, de savoir si la perception moyenne du Président avait évolué par rapport à la perception qui prévalait lors de la campagne. La réponse est très clairement oui. On a un glissement et la note moyenne s'établit aujourd'hui à 6 sur 10. Un glissement de l'image d'une personnalité de quasiment un point (en l'occurrence 0,8) sur un laps de temps aussi court, c'est quelque chose qui n'est pas habituel et fréquent. L'opinion prend acte et considère qu'il est plus à droite aujourd'hui qu'il ne l'était pendant sa campagne.

Quand on regarde quelles sont les catégories qui font principalement ce constat, on constate que ce sont souvent des jugements portés par des électeurs de gauche. 57% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon le classe à droite.  59% pour ce qui est de l'électorat de Benoît Hamon. L'électorat de gauche considère donc qu'il fait la politique de droite contre laquelle ils s'opposent habituellement. Quand on analyse les résultats de l'électorat macronien, on observe que c'est très partagé. 52% le positionnent au centre (les notes de 4 à 6), quasiment aucun à gauche (même si la note de 4 pourrait être le centre-gauche). Mais ce qui est intéressant, c'est que clairement l'électorat ne considère pas qu'il a un positionnement de gauche. La majorité pense qu'il est au centre, et une forte minorité de 43% qu'il est à droite. On a grosso modo le même positionnement dans l'électorat filloniste : 55% pensent qu'il est au centre. Seuls 9% le considèrent de gauche, et plus de 30% le considèrent de droite. 1/3 de l'électorat de François Fillon pense que le Président a un positionnement depuis son accession à l'Élysée qui est de droite. Ce qui explique notamment les difficultés actuelles de la droite, puisque tout une partie de cette droite se retrouve dans la politique d'Emmanuel Macron.

L'autre question de notre enquête consiste à observer où se placent les Français sur cette échelle. Aujourd'hui on est sur une note moyenne de 5,8, là où nous n'étions qu'à 5,5 en juin. Il y a un léger déport sur la droite de la moyenne des Français. Sur la longue durée, on est sur des niveaux assez élevés avec une déportation ces dernières années du centre de gravité sur la droite. 

Le second constat, c'est que le glissement de l'auto-positionnement de la population est moins brutal que celui de la perception d'Emmanuel Macron.  Ce qui est compréhensible parce qu'il est plus facile de faire "bouger" un individu que l'ensemble de la population française. Néanmoins une fois qu'on a dit ça, il faut observer premièrement que le glissement s'est fait dans le même sens et que deuxièmement qu'Emmanuel Macron était à 5,2 pendant la campagne quand les Français étaient à 5,5. Et aujourd'hui il est à 6 quand les Français sont à 5,8. Il était donc perçu un peu moins à droite que la moyenne des Français, et aujourd'hui il est un peu plus à droite. Mais on peut aussi voir cela comme la preuve qu'Emmanuel Macron, pendant la campagne – ce qui lui a été très bénéfique – comme aujourd'hui reste de proche du centre de gravité de la société française, ce qui est un vrai avantage. Il évolue dans le même sens. Aujourd'hui il y a un petit écart, mais il se tient très proche de la moyenne. Il n'est pas du tout décalé ou hors cadre par rapport au centre de gravité idéologique de la société française ce qui n'est pas un avantage. Ce qui explique aussi qu'il ait stoppé sa chute dans les sondages de popularité pour le moment. Et aussi qu'en dépit de réformes menées tambour battant notamment sur des réformes impopulaires comme l'ISF ou le marché du travail, on reste encore proche d'un Français sur deux qui est satisfait. Il y a certes des mécontents, mais même si on avait prévu que le grand rendez-vous pour Macron serait la rentrée sociale avec les fameuses ordonnances, il faut constater que sa popularité résiste bien. On a aussi un élément d'explication avec ce centre de gravité de la société française. Ce qui explique aussi que les oppositions de toutes natures soient pour l'instant relativement aphones. Jean-Luc Mélenchon a récemment concédé "le point" pour reprendre son expression à Emmanuel Macron. On voit que la droite est assez engluée dans des difficultés et n'arrive pas à adopter le bon ton et le bon ordre face à son principal adversaire, Emmanuel Macron. Et encore une fois on le comprend : un tiers de l'électorat de droite considère que Macron est à droite. Et le FN est aussi en grande difficulté.

Et tout cela parce qu'aujourd'hui Macron occupe un peu tout l'espace en se situant là où idéologiquement se situent l'ensemble des Français.

Bruno CautrèsLa première leçon que l’on peut tirer du sondage de l’IFOP est tout d’abord que la perception du positionnement politique d’Emmanuel Macron par les Français semble s’être stabilisée et peut-être même figée à présent. Seuls 10% des personnes interrogées déclarent ne pas savoir où classer Emmanuel Macron sur l’échelle gauche-droite. Mais, plus important encore, on voit que 78% des personnes interrogées classent Emmanuel Macron au centre (39%) ou à droite (39%). Emmanuel Macron est ainsi clairement positionné par les français au centre et à droite, ce qui ne veut pas dire forcément au centre-droit. Pour ceux qui le classent à droite, il s’agit avant tout d’électeurs de gauche : des électeurs qui ont voté Hamon ou Mélenchon à la présidentielle, qui se disent proches du PS, de la France insoumise. Sociologiquement ce sont davantage des électeurs d’âge mûr, des cadres moyens, professions intermédiaires, diplômés, habitant en agglomération parisienne. C’est sans doute un segment de l’électorat traditionnellement à gauche et au sein duquel Emmanuel Macron a perdu du soutien depuis son élection.

Pour autant, son positionnement au centre n’est pas fini : autant d’électeurs le classent au centre qu’à droite. Par contre, ceux qui le classent au centre n’ont pas le même profil : ils appartiennent au milieu des travailleurs indépendants, des cadres supérieurs et des catégories favorisées. Ils sont proches de En Marche !, du Modem, de l’UDI et même de LR et ont voté pour Macron ou Fillon à la présidentielle. On voit donc que ceux qui situent Emmanuel Macron à droite sont plutôt à gauche ou au centre-gauche et ceux qui le classent au centre sont plutôt au centre ou à droite : la gauche « droitise » E. Macron et la droite le « centrise ». Seuls les électeurs du FN et les classes populaires le « gauchisent ». Le fait qu’une large majorité des français classent E. Macron au centre ou à droite, indique avant tout que ces six premiers mois de mandat ont été avant tout marqués par des mesures économiques qui sont plutôt en phase avec les principales demandes des électeurs de droite (diminution des impôts, priorité à l’investissement, perspectives de réduction des emplois et déficits publics).

Le score de la gauche : 15%, surprend par sa faiblesse, et ce, même en y ajoutant le centre gauche, pour un total de 21% ? En observant les scores des personnes proches politiquement des partis de gauche, on ne dépasse jamais les 50% de cohérence idéologique, là où la moyenne à droite est de 79% d'adéquation entre proximité et autodétermination politique. Comment expliquer ce décalage ?

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, quand on a dit que le centre de gravité de l'électorat français était aujourd'hui plus à droite, il l'a été à de nombreuses reprises pendant les dernières années, cela se voit à la fois au regard de la note moyenne, mais aussi quand on quantifie le poids des électeurs qui se classifient sur des notes de 0 à 3. Dans ce cas on est sur une gauche qui s'assume pleinement. Après la campagne, on est aujourd'hui tombé à 15%, un niveau extrêmement faible. On voit à la lueur de cela que Mélenchon, en dépit d'un départ tonitruant cet été peine à rassembler. Et cela explique pourquoi le Parti Socialiste rencontre aujourd'hui les pires difficultés. Une partie conséquente de l'électorat s'est dérobée.

Le désarroi est à Solférino mais est aussi dans la tête d'un certain nombre d'électeurs de gauche qui sont aujourd'hui en perte de repères. On constate effectivement que par exemple seuls 39% des électeurs de Mélenchon se classent sur une échelle de 0 à 3, qu'il y en a 37 de 4 à 6 (et on peut penser qu'il y en a une partie qui est à 4) mais 17% qui sont sur les notes 7 à 10. Pour ce qui est d'Hamon, c'est un peu meilleur, mais c'est malgré tout moins d'un sur deux avec 48% et 44% sur les notes centrales. On voit bien d'où vient le désarroi consécutif de l'explosion du paysage politique qui a surtout fait des ravages -même si la droite ne s'en tire pas très bien – à gauche avec le dynamitage du PS et le ralliement d'un certain nombre de cadres du PS à Macron, Macron lui-même venant plutôt de cette famille politique-là.

À partir de là on comprend aussi pourquoi Jean-Luc Mélenchon, comme il l'a affirmé il y a quelques jours, souhaite se départir du clivage gauche-droite, de ce vieux critère de représentation de l'espace politique. Il a compris que ce n'était plus pour lui quelque chose de pertinent et quelque chose dans lequel une grande partie de son électorat se reconnaissait. C'est un constat qu'il fait, mais il n'est pas encore à la clarification. La présence de 17% de ses électeurs sur les notes de 7 à 10 remet en question pour lui la pertinence de cet axe. La capacité à classer les gens sur cet axe ne va plus de soi à gauche. Il y a là quelque chose d'évidemment conjoncturel avec les effets d'une élection qui a bouleversé les critères de compréhension de la politique, mais aussi quelque chose de plus structurant avec un nouveau paysage qui est en train d'émerger et qui n'est plus réductibles aux positions traditionnelles qui étaient bien confortables. D'où, en l'absence de leader historique à gauche (pas Mélenchon, mais bien le centre historique du PS), le fait de trouver un électorat en pleine débandade, en plein désarroi. Une partie a rallié avec armes et bagages Macron. Une petite partie est chez Mélenchon. Mais le reste n'a plus de leader, n'a plus de ligne. Et au regard des chiffres, on voit que la rémission n'est pas pour demain. Et avec l'entrée d'une personnalité comme Olivier Dussopt, personnalité de gauche au gouvernement, le brouillard continue à s'épaissir.

Bruno CautrèsC’est l’un des résultats les plus importants de l’enquête de l’IFOP : au sein des électeurs de gauche, il n’y a que chez ceux qui se sentent proche de la France insoumise pour lesquels le positionnement de gauche (49%) et nettement plus important que le positionnement de centre (29%). Mais pour les électeurs qui se sentent proches du PS ou même de EELV, le positionnement de gauche et légèrement moins important que le positionnement de centre : par exemple, sur 100 électeurs qui se disent proches du PS, 38% se positionnement à gauche et 40% au centre. On voit se traduire l’effet d’une gauche traversée par des différences importantes sur les questions économiques en particulier. Par ailleurs, la gauche, au pouvoir entre 2012 et 2017, a pu décevoir ses électeurs et les partis de gauche ont subi de plein fouet le contraste entre leur message de lutte contre les injustices et la réalité de la gestion de la très grande crise économique ouverte à partir de 2007/2008.  Les divisions internes et les incohérences (par exemple lorsque les ministres EELV avaient décidé de ne pas participer au gouvernement Valls sans vraiment consulter leurs adhérents) expliquent aussi une moins forte attirance des électeurs de gauche pour les partis de gauche. 

Si l'auto-positionnement politique des Français progresse vers la droite, c'est notamment par désamour pour la gauche, et un accroissement des personnes qui ne se prononcent pas. Au sein de cette tendance, on constate que les marqueurs les plus influents sont le chômage, l'absence de hauts diplômes, avoir moins de 65 ans et résider dans un milieu rural. Qu'est-ce que cela dit de la "dépolitisation" du pays ? Qu'est-ce qui explique l'augmentation de cette frange de la population ?

Jérôme Fourquet : Je pense qu'effectivement qu'une bonne partie de cette population, si on effectue un jeu de vases communicants est issue de gauche. Il ne s'agit pas forcément des classes populaires en revanche, parce que ce n'est pas là où c'est le plus marqué. Il y a une perte de huit points à gauche et un gain de quatre points sur ceux qui ne se prononcent pas. On peut penser que les gens qui se classaient entre zéro et trois il y a 6 mois refusent de se rattacher à ces catégories. L'électorat ne s'est pas dérobé, il ne s'est pas enfoncé dans le sol : ils sont toujours là physiquement. Simplement, ces électeurs ne se reconnaissent plus dans cette appellation de gauche. Une partie a rallié le centre macronien. Et une partie ne sait plus à quels saints se vouer et se demande si se dire de gauche a encore un sens pour eux. Et dans ce cadre-là, la déclaration de Mélenchon citée plus haut sur l'encombrement provoqué par les vieilles références de gauche est symptomatique. Il avait déjà fait un pas en sortant du Front de Gauche pour devenir Les Insoumis, gommant la référence de gauche. Macron conseiller et ministre de Hollande mène une politique jugée majoritairement de droite avec dans son gouvernement des gens qui viennent de gauche. Et un candidat de la gauche radicale qui dit vouloir sortir des catégories gauche-droite. On a un PS qui est passé de plaque centrale de la gauche à une formation explosée. On comprend que dans ce contexte-là l'électeur de la rue ne sache plus vraiment où il habite. 
Bruno Cautrès : On constate en effet que 11% des personnes interrogées ne se prononcent pas en matière de classement sur l’échelle gauche-droite et que la sociologie de ce non-classement est celle de la distance sociale avec la politique. On retrouve ici un résultat que la sociologie politique a bien montré dans les enquêtes réalisées auprès des Français quant à leur rapport à la politique. En même temps, ce pourcentage n’est pas aussi élevé que l’on pourrait le croire au vu des discours sur la «fin du clivage gauche-droite ». Refuser de se classer sur la dimension gauche-droite indique bien néanmoins une forme de « dépolitisation » car l’échelle de mesure sur laquelle on demande aux personnes interrogées de se positionner est graduée de 0 à 10 et donne toute latitude de se positionner au centre. Les électeurs qui ne se prononcent pas ne sont donc pas vraiment des centristes qui n’aiment pas la dichotomie gauche-droite. Il s’agit de personnes pour lesquels un important effort devrait être fait en matière de pédagogie politique. Parfois ces mêmes personnes ne participent pas aux élections, voir ne sont pas inscrites ou pas inscrites dans le bon bureau de vote. Des efforts doivent être encore faits dans le domaine de l’information civique. 

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