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Angoisse chez les maires de France : ces pistes malheureusement oubliées par le gouvernement qui permettraient de s’attaquer à la fracture territoriale française
©Reuters

Sujet d'inquiétude

Depuis les années 1990, l’intervention de l’Etat français ne consiste plus à réduire les fractures territoriales, mais à accompagner les principales tendances de la mondialisation.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Daniel Perron

Daniel Perron

Daniel Perron est docteur en droit (Histoire du droit) et expert en politiques publiques rurales.

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Atlantico : Ce mercredi 22 novembre, Emmanuel Macron recevra François Baroin, président de l'Association des Maires de France, notamment sur la question des inégalités territoriales, de plus en plus importante au sein du débat politique français. De la politique industrielle à la solidarité entre territoires, en passant par les questions de décentralisation, quelles sont les pistes à explorer pour permettre un développement économique de la France plus homogène ?

Laurent Chalard : Il convient d’abord de rappeler comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle, où les inégalités territoriales inquiètent de plus en plus les dirigeants politiques hexagonaux. L’adoption, dans les années 1980, du libéralisme économique en France a conduit à l’abandon de la politique d’aménagement du territoire, avec la disparition progressive de la planification économique (le dernier plan s’est terminé en 1992) et des grandes politiques de redéveloppement territorial, comme le fut, en 1984, la politique des Pôles de conversion, qui n’a d’ailleurs guère eu de succès. Depuis les années 1990, l’intervention de l’Etat français ne consiste plus à réduire les fractures territoriales, mais, au contraire, à accompagner les principales tendances de la mondialisation, favorisant consécutivement de plus en plus les grandes métropoles, principales créatrices de richesse dans la nouvelle donne économique internationale.

Pour faire face à cette situation, un double remède paraît envisageable. Le premier, qui concerne l’action de l’Etat, vise, tout simplement, à refaire une politique d’aménagement du territoire digne de ce nom, en identifiant, dans un premier temps, clairement les territoires français en crise économique et sociale, et, dans un second temps, en mettant en œuvre des politiques économiques adéquates pour tenter de les redresser, sachant que cela ne peut passer que par un changement de paradigme. En effet, l’idéologie de la métropolisation, actuellement dominante, ne répond pas au problème, puisqu’il est illusoire de penser que les métropoles françaises, de taille relativement réduite à l’échelle européenne, puissent irriguer économiquement l’ensemble d’un territoire hexagonal, qui se caractérise par la prégnance de la ruralité. Le second remède, qui concerne l’action des acteurs locaux, est de renforcer les processus d’autonomisation des élites dirigeantes des territoires français, afin qu’elles sortent des « logiques de guichet (c’est-à-dire le « quémandage » systématique auprès de l’Etat de toujours plus d’argent sans proposer de projet de développement en contrepartie), étant plus à même d’engager un développement économique endogène. Cela peut passer par un renforcement de la décentralisation, mais c’est, à notre avis, surtout une révolution des mentalités qu’il faudrait. Aux acteurs locaux de prendre leur destin en main !

Daniel Perron : Cela passe par une révision de nos approches des politiques publiques. Nous devons y inclure l’émancipation des territoires à partir de toutes leurs ressources : humaines et naturelles particulièrement. Pas forcément plus décentraliser juridiquement mais plus inciter à innover dans le cadre existant.

Bien sûr, investir dans l’intelligence, dans le numérique… Cela ne se discute pas. Mais encore faut-il ne pas tout concentrer dans les métropoles.

C’est toute la problématique de l’économie circulaire. Deux exemples :

 - L’alimentation. La France a la chance d’être un territoire agricole d’exception. Il faut refonder la façon dont les acteurs créent la valeur sur nos territoires. Penser à partir de ces territoires, de leurs richesses et besoins plutôt que de vouloir copier ailleurs ce que nous ne saurons pas faire. C’est tout l’enjeu bien compris des Etats généraux de l’alimentation: créer des écosystèmes de filières solidaires. Ici, l’expérience montre que nous n’avons pas su anticiper les mutations. Mettre des moyens dans cette anticipation, c’est la clef du dynamisme territorial.

– La forêt. Secteur économique trop méconnu. Elle couvre un tiers de notre territoire. C’est une ressource durable qui nous offre un matériau d’avenir mais nous manquons d’une politique industrielle structurée à son égard. Nous ne récoltons que la moitié du croît annuel des forêts. Nous pouvons produire plus et mieux. Mais il faut pour cela aussi penser l’aval du secteur. Ici, il y a plus de 12 000 communes forestières qui sont un point d’appui d’un réseau économique fantastique pour la création de valeur. Les acteurs locaux doivent porter une vision. Pour l’instant on ne la voit guère. L’Etat pourra ensuite mettre en oeuvre les outils d’une facilitation et d’une coordination. 

Pour ce faire, l’Etat doit réinventer ses modes de fonctionnement : faire confiance, coordonner, accompagner par l’expertise considérable des agents plutôt que décider pour tous. Une chose essentielle est la simplification et l’accélération des procédures devenues handicapantes pour innover d’autant plus pénibles aux acteurs de terrain que c’est vécu comme une sur-administration. Chaque ministre et chaque direction de l’Etat a son rôle à jouer ici.

Enfin, il faut sans doute repenser la façon dont nous organisons les flux financiers vers les territoires. Travailler sur les flux entrant et sortant, sur la finance participative, sur l’action réelle de chaque institution financière dans les territoires. La solidarité passe par cette prise de conscience des déséquilibres existants.

A l'inverse, quels sont les points forts du modèle français ? Si le décrochage entre territoires est une réalité française, quels sont les facteurs qui ont pu permettre de préserver le pays d'une situation à l'anglo-saxonne ?

Daniel Perron : Deux points centraux pour moi : l’Egalité et l’Etat.  L’égalité a permis les conditions de la création non seulement d’une République mais la consécration d’une Nation singulière. L’Etat a fondamentalement été structurant par son action centralisatrice. C’est toute l’histoire de la lente construction de l’extrême puissance de l’Etat dans notre Nation. Le savoir et la compétence y étaient réunis au plus haut niveau.

Dans cette culture, l’Etat a été le grand garant du développement des territoires notamment à travers  grandes infrastructures routières ou ferroviaires. L’Etat organise le territoire, le structure – qui est en première ligne dans l’affaire de Notre-Dame-des-Landes ? C’est bien l’Etat -. Parce que cela intéresse « la Nation toute entière », comme dirait De Gaulle.  Le problème est que désormais l’Etat apparaît comme l’empêcheur lointain, technocratique et impécunieux. La cassure est chez nous symboliquement dangereuse.

Laurent Chalard : La France se caractérise au sein de l’Union Européenne, et plus globalement parmi les pays développés, par une politique de redistribution financière entre les territoires très efficace, qui assure la cohésion nationale, héritage positif de la centralisation parisienne (il convient de rappeler que cette dernière n’a pas que des effets négatifs !). Les territoires les plus productifs reversent une partie de leur argent directement ou indirectement (à travers les migrations de retraités par exemple) vers les territoires les moins productifs. C’est le principe même de la solidarité nationale.

Même si quelques-uns, s’inspirant des travaux de l’économiste Laurent Davezies, qui ont fait énormément de mal aux territoires français peu productifs, remettent en cause son principe, il n’en demeure pas moins que la redistribution à la française a permis, jusqu’ici, d’éviter que des pans entiers de notre territoire basculent dans la misère, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons, où le libéralisme est roi, avec des territoires dont les principaux indicateurs statistiques sociaux font plus penser au Tiers-Monde qu’au monde développé.

Quels sont les risques de long terme de l'inaction politique sur un tel sujet ? 

Laurent Chalard : Les risques à long terme sont ceux que nous venons d’évoquer, c’est-à-dire que la France suive un scénario à l’anglo-saxonne, où des territoires et des populations entières décrochent totalement, créant une véritable classe de pauvres, avec tous les problèmes sociaux (et politiques) qui vont avec. Si, aujourd’hui, dans les territoires hexagonaux, qui ont le plus souffert de la désindustrialisation, la pauvreté est malheureusement présente, il n’en demeure pas moins qu’elle ne concerne pas la majorité de leurs habitants, le processus de redistribution financière, à travers, entre autres, des aides sociales importantes et le maintien d’un secteur public (surdimensionné, il est vrai !), permettant de pérenniser l’existence d’une classe moyenne, et donc d’envisager un avenir plus engageant. Cependant, si le décalage de dynamisme économique entre les territoires devait perdurer, voire s’accentuer, dans les prochaines décennies, la pauvreté risque de s’accroître dans les régions peu productives, sauf si l’Etat venait à décider d’augmenter la valeur de la redistribution financière, idée guère avancée dans le débat public à l’heure où les égoïsmes territoriaux ont le vent en poupe, alors qu’elle constitue une solution (qui se doit d’être temporaire) parmi d’autres.

Daniel Perron : D’abord continuer à faire de ces territoires des territoires abandonnés. La question des déserts médicaux est ici symptomatique. Le phénomène est parfaitement connu, documenté. Pour quel résultat ? Maintenant, l’évolution des technologies du numérique semble autoriser l’éloignement des médecins. Sauf que cet éloignement se fera dans ces territoires, pas ailleurs. C’est un progrès qui autoriserait à admettre la relégation physique. Il faut être conscient de cette symbolique. C’est vécu comme discriminatoire. D’autant plus que les décisions sont prises en haut, ailleurs, un ailleurs « qui ne connaît pas notre quotidien, notre état d’abandon". Les mêmes ressentiments et critiques surgissent toujours. Elles correspondent à une réalité qui n’entre pas dans l’équation de la rationalité décisionnelle actuelle.

L’attractivité d’un territoire repose sur une pluralité de facteurs, humains, financiers, d’infrastructures; sur la vision portée de son avenir. D’un strict point de vue politique, nous mesurons déjà les premiers risques : jeter l’électorat de ces territoires dans les mains des partis populistes. C’est déjà le cas.

Enfin, le risque ultime est le délitement de l’idée de nation avec des volontés de sécession. Le phénomène est très bien analysé par Laurent Davezies. Puisque certains territoires deviennent encombrants à la fois économiquement, socialement et politiquement, pourquoi rester solidaires avec eux ; pourquoi payer pour eux ? C’est une partie du phénomène catalan.

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