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La prostitution réduit les viols, une nouvelle étude le prouve (à nouveau)
©Reuters

Cause à effet ?

Une récente étude montre que la légalisation de la prostitution coïncide avec une baisse du nombre d'agressions sexuelles.

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans est psychiatre, chargé de cours à Paris V et à Paris VII.

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Atlantico : Dans une récente étude (ici, en anglais), des chercheurs ont prouvé que la légalisation de la prostitution coïncide avec une baisse du nombre d'agressions sexuelles. Quel crédit apporter à cette thèse ? Il semble que les études selon les pays se contredisent. Le rapport au viol et à la prostitution est-il différent d'un pays à l'autre ? Quid de la France ?

Dr Jean-Roger Dintrans :Les études considérées semblent valides, « robustes » comme on dit dans les sciences dures, et il faut donc considérer leurs résultats comme crédibles et dignes de questionnement.

Mais les questionnements sont nombreux et demandent beaucoup de finesse et d’élaboration car la matière traitée - faisant partie de la sexualité et du commerce d’une activité physique considérée comme un « commerce du corps » -  est par nature extrêmement complexe et délicate.

Il est d’ailleurs nécessaire de faire un certain nombre de remarques préalables.

Ces remarques seront déjà un début de réponse à la question des différences culturelles entre pays et en particulier de ce qui pourrait être extrapolé de ces études à la situation en France.

La première remarque est le contenu du mot « prostitution ».

Si l’étymologie de (se) prostituer  « se placer devant, s’exposer aux yeux » (Robert, dictionnaire historique d’A. REY) a été directement emprunté au latin vers 1380, le terme de prostitution, qui l’a précédé (1250-1300),  a été, lui, emprunté au latin chrétien où il avait le sens de « profanation, débauche » et a donc dès le départ été porteur d’un jugement de valeur très péjoratif.

Dans les deux cas de figure néanmoins, le sens principal a été de désigner le fait d’avoir des activités sexuelles par intérêt, le « fait de livrer son corps moyennant rémunération » (idem).

Or, selon les conditions « d’exercice » de cette activité, le terme de prostitution peut recouvrir des réalités apparaissant aux antipodes les unes des autres :

 - L’activité sexuelle contre rémunération peut être libre et choisie (c’est de ce type d’activité que traitent ces études) : leurs acteurs souhaitent être appelés « travailleu-r- ses du sexe » ;

- L’activité sexuelle contre rémunération est encore néanmoins (et en particulier dans les pays où elle est prohibée), dans la majorité des cas, une activité exercée sous la contrainte (d’individus ou de réseaux mafieux) : la dénomination la plus pertinente, est, dans ce cas, celle « d’esclaves sexuel-le-s ».

Ces deux formes d’activités ne peuvent évidemment aucunement être ramenées l’une à l’autre.

Et par exemple la question de savoir si la prostitution permet de faire diminuer le nombre des viols perd tout son sens (ou voit à l’évidence que la réponse est non) dans les contextes où la prostitution est contrainte, car chacun de ces rapports sexuels - même si la prostituée est explicitement consentante et si le client la voit comme telle - doit être comptabilisé au nombre des viols ( il n’est pas question ici du vécu subjectif des personnes concernées mais de la catégorie à utiliser pour une réflexion philosophique/éthique/sociétale).

La prostitution permet-elle vraiment de sortir certains individus de leur "misère sexuelle" (ces personnes qui, sans le monnayer seraient dans l'incapacité d'avoir un rapport sexuel) ?

Concernant la situation de certaines personnes, le terme de misère sexuelle (et il serait utile de ne pas la dissocier de la misère affective),  est appropriée et constitue une réalité qui touche un grand nombre d’hommes (et aussi de femmes, même si c’est alors le versant affectif de la relation qui semble plutôt  être  invoquée par celles qui en parlent).

Ce sont des personnes auxquelles des caractéristiques psychologiques (manque d’estime de soi, traits de personnalités rendant difficile la construction des relations) et physique, conjugués à un statut défavorisé (en général socio-professionnel), font obstacle durablement à la possibilité d’entretenir des relations avec un partenaire.

Le cas des personnes handicapées en est certainement l’exemple paradigmatique.

Le recours à des rapports sexuels (il serait peut-être pertinent de dire « affectivo-sexuels », d’autant que ce qui est demandé ne concerne parfois pas même le « génital ») semble  apparaître, à beaucoup d’entre eux-elles, comme hautement désirables et souhaitables (on parle dans ce cas, pour éviter toute stigmatisation liée à la dénomination, de demande de recours à un-e «assistant-e sexuel-le).

Mais cette question de rapports (affectivo- ?) sexuels contre rémunération, comme en témoigne dès l’origine l’étymologie française du mot prostitution, soulève nombre d’interrogations philosophiques et éthiques, et mobilise extrêmement puissamment de nombreux courants idéologiques car elle touche, ainsi que je le disais au début, une « matière » (la sexualité) infiniment complexe et fondamentale ( au sens de fondement de l’individu humain et de fondements des sociétés humaines):

- Quelles sont les implications pour l’individu et/ou la  structure sociale de considérer comme licite l’usage « commercial » de son corps ?

Quelles ont les implications pour l’individu et /ou la structure sociale de « penser » la sexualité comme pouvant être une activité « commerciale » comme toute autre ?

Pour ne retenir que deux formulations/questions parmi de nombreuses autres.

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