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Aurore Bergé : "Il est toujours compliqué pour un parti d’être vraiment utile et efficace lorsqu'il est au pouvoir"
©Thomas SAMSON / AFP

Entretien politique

Bilan de six mois de présidence Macron, Europe, élections à la tête de LREM, tensions religieuses et deux ans après le Bataclan, la député Aurore Bergé revient pour Atlantico sur ce qui fait l'actualité.

Aurore Bergé

Aurore Bergé

Aurore Bergé, 23 ans, est chargée de mission de la fédération UMP des Yvelines.

 

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Atlantico : En ce 11 novembre, vous citiez ce samedi Clémenceau avec cette phrase : "Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous". Ces droits, quels sont-ils ?

Aurore Bergé : C'est le droit d'honorer leur mémoire. C'est quelque chose qui est essentiel en termes de transmission. Si la transmission n'est pas faite, on est sûr de ne pas les honorer mais aussi de nous condamner. Il est essentiel de se souvenir de 14/18. Il y avait beaucoup d'enfants dans la cérémonie à laquelle j'étais. Ils n'ont du fait de leur âge jamais connu de poilus. Il n'y a plus de source directe et c'est donc d'autant plus important de continuer ce devoir de transmission.

Emmanuel Macron, à l’occasion des commémorations du 11 novembre comme lors de sa rencontre avec le président allemand ce vendredi, a martelé sa confiance en l’Europe comme garantie de la paix entre les nations de notre continent. Mais au-delà des mots et des souhaits, après le Brexit, la Catalogne, les élections allemandes, autrichiennes ou italiennes, comment mener à bien un projet de relance et d’approfondissement de la construction européenne avec des partenaires en difficulté ou qui ne se reconnaissent pas dans la vision française ?

Déjà, par rapport à la question de l'Europe et de la paix, il ne faut pas oublier que la période que l'on vit est exceptionnelle sur le Vieux continent. Nous n'avons pas connu de conflits armés depuis 70 ans. Ce n'est pas si anodin que ça de rappeler le gage de paix que représente l'UE. Sur les difficultés des Etats, il y a des différences notables entre les pays. Le Brexit s'est fait de manière légale, en Espagne le référendum a été organisé sur des bases illégales. En Allemagne, les élections législatives ont vu une arrivée plus massive de l'extrême droite au sein du parlement mais ont reconduit Merkel. Les situations sont variées et montrent l'intérêt de l'UE qui est d'arriver à être unis sur des fondamentaux. Ces situations montrent la nécessité d'avoir une Union européenne forte qui ne doit pas laisser passer les populistes qui contestent sa légitimité. Dans la campagne, on s'est retrouvé seul à défendre l'UE et à vouloir son approfondissement. On avait une ligne partagée entre les extrêmes et sur laquelle des membres du PS ou des LR les rejoignaient. Le discours de la Sorbonne ouvre justement un certain nombre de pistes sur l'approfondissement de la politique économique, migratoire, l'antiterrorisme… Ça a été des éléments clés du discours qui répondaient au besoin de souveraineté qui est ressentie par les citoyens.

Six mois après l’élection d’Emmanuel Macron, de quoi êtes-vous le plus fière ? Et à l’inverse, s’il y avait une chose à réaliser différemment, quelle serait-elle ?

Plus fière, c'est profondément ce que nous avions appelé le renouveau démocratique. Je pense profondément que l'Assemblée qui est la nôtre n'est pas un événement anodin. Lorsque l'on compare les photographies, on voit visuellement le changement qui s'est produit. Contrairement aux apparences, ce n'est pas anodin car cela s'est répercuté sur les politiques publiques que l'on peut voter. Une des premières loi que nous avons voté est celle sur la confiance dans la vie politique. Elle met fin aux emplois familiaux, permet le contrôle des indemnités de fin de mandat, l'instauration de peines d'inéligibilité… Sans nous, sans cette nouvelle assemblée, cette loi n'aurait jamais existé.

Peut-être que mon regret a été de ne pas suffisamment mettre en valeur ce que l'on a réalisé dans un temps aussi court. En six mois, j'ai rarement vu une majorité qui allait aussi vite sur des réformes d'ampleur et qui en plus a mis en valeur des nouveaux visages. Je pense que si j'ai été élue, c'est aussi parce que les autres personnes qui étaient candidats incarnaient quelque chose de nouveau. Nous nous sommes appuyé les uns sur les autres pendant la campagne des législatives aussi pour montrer ce qu'allait être cette assemblée.

Les enquêtes d’opinion montrent que le président de la République serait réélu avec plus de voix qu’il n’en a obtenu en mai dernier si la présidentielle avait lieu aujourd’hui et dans le même temps, seule une minorité de français lui accordent leur confiance. Comment passer de ce stade de préférence relative à une adhésion plus large qui permettait notamment de faire revenir à la politique les Français qui s’en sont mis en retrait ?

Je pense que ce qui paraît évident est qu'on les fait adhérer sur les résultats que l'on obtient. Ces résultats seront visibles sur la feuille de paye dès 2018. De la même manière, les Français des quartiers les plus défavorisés, lorsqu'ils ont emmené leurs enfants de CP à la rentrée, ont vu que les classes avaient été dédoublées, donc que l'on avait réussi à tenir cet engagement clé des 12 élèves par classe. Ils ont vu que l'engagement était tenu et qu'il y avait des résultats.

Je pense que, tout simplement, les gens attendent de voir des résultats et expriment une impatience très forte car il y a eu des attentes exprimées pendant la présidentielle qui étaient très fortes. Paradoxalement, il y avait une défiance extrêmement puissante et du coup c'était un peu l'élection de la dernière chance. On a ressenti ce sentiment pendant les législatives.

La République en Marche doit choisir son président cette semaine. Au-delà du choix d’une personnalité, quel doit être selon vous l’ADN du parti ? On peut vouloir être et de droite et de gauche dans un univers où la droite et la gauche ne s’étaient pas adaptées aux nouveaux clivages apparus sous l’influence de la mondialisation ou de la financiarisation du capitalisme par exemple, mais peut-on être à la fois conservateur et progressiste ?

Il n'y a aucun parti qui a réussi à être un parti vraiment utile et efficace lorsqu'il était au pouvoir. C'est toujours une équation compliquée. Qu'est-ce qu'un bon parti pour les Français ? Un parti efficace, un parti innovant, utile pour les Français quand il est au pouvoir. De ce que j'en ai vu dans les 10 ou 15 dernières années, je pense qu'aucun parti n'a réussi à faire cela. Notre idée eest qu'on arrive à garder ce qui a fait la réussite d'En Marche !, cette faculté à s'ouvrir de manière très large et à supprimer toutes les barrières à l'entrée traditionnelle dans les partis.

Dans les partis traditionnels, il y a de nombreuses difficultés à s'intégrer. Il faut payer une adhésion, se rendre dans un lieu physique, parfois des enquêtes de moralité...  Nous, il ne fallait pas que l'on fasse cela. L'entrée est gratuite, il y a la possibilité de créer soi-même son propre comité… Il faut garder cette distinction vis-à-vis des partis traditionnels.

Ensuite, c'est quoi un parti utile ? C'est un parti utile à une majorité qui est en capacité de prendre le pouls localement et faire remonter vite la manière dont les choses sont acceptées ou non, les loups qui pourraient exister dans les projets de loi, etc. Avoir une consultation large des Français a du sens, car ça permet de rencontrer une multiplicité d'acteurs près des réalités locales.

Sur la deuxième partie de votre question, déjà à titre personnel je ne me décris pas comme "progressiste" tout simplement car je ne saurais pas définir ce terme. Le progrès n'est pas une valeur en soi. C'est une notion extrêmement relative en fonction des époques et des lieux. De toute façon ce n'est pas comme cela que le mouvement se définit. Je ne pense pas que le nouveau clivage est entre conservateurs et progressistes. Qu'il y ait des conservateurs c'est une évidence. D'ailleurs conservateurs n'est pas une étiquette politique non plus, c'est juste le fait que les gens restent assis sur des effets de rente, refusent des réformes structurelles,  avec des hommes te des femmes politiques qui n'ont pas envie de heurter telle ou telle catégorie de population. On le voit lors du premier projet de loi de finance. On est soumis à un volume de sollicitation qui est délirant. A partir du moment où vous réformez, forcément vous touchez des catégories de population. Notre rôle en tant qu'élu n'est pas de répondre à chaque catégorie professionnelles car les intérêts sont divergents parfois contradictoires et peuvent nuire à l'intérêt général.

Pour moi les conservateurs sont ceux qui appréhendent les projets de loi en se disant "est ce que ce projet de loi me permet de heurter le moins possible telle ou telle catégorie de population qui m'est favorable". Ça pour moi c'est du conservatisme.

Comment construire un logiciel politique qui permette au mouvement de jouer pleinement son rôle de creuset sociologique et politique ? Le rôle de courroie de transmission de la pensée complexe du Président est-il compatible avec le rôle de contrôle et de proposition que sont censés remplir des partis qui fonctionnent dans une démocratie représentative ?

On le définit déjà par rapport à notre ADN qui s'est construit pendant les campagnes. Notre identité est simple, nous sommes pro européens, pro-libéral et en même temps à la recherche d'une justice sociale. C'est ce que nous sommes en train de faire avec une méthode pragmatique. Quand je vois que l'on a passé le dernier quinquennat à essayer de savoir s'il fallait 4 jours ou 4,5 jours d'école par semaine... Nous, ce qu'on a dit, c'est qu'à partir du moment où l'un et l'autre ne sont pas défavorables aux enfants, on va laisser la décision aux territoires. Les maires consultent les enseignants, les parents, parfois enfants pour décider. C'est une approche pragmatique qui nous définit bien.

La verticalité est forcément incarnée par le président. C'est comme cela que notre République fonctionne et cette verticalité est attendue par les Français. Notre rôle au sein du Parlement c'est de se souvenir à quoi sert le Parlement. La constitution dit qu'il vote la loi, évalue les politiques publiques et contrôle l'action du gouvernement. Les trois sont mis au même  plan. Or, il y a eu un primat extraordinairement puissant uniquement sur la partie législative. C’est-à-dire qu'un parlementaire est un bon parlementaire uniquement du moment qu'il légifère. C'est comme cela que les Parlementaires se sont vus et c'est comme ça qu'ils ont été vus. On s'est moins intéressé à des parlementaires qui prenaient vraiment part à leur rôle de contrôle du gouvernement ou celui de l'évaluation de la dépense publique.

Il faut rééquilibrer cela. Il faut d'autant plus le rééquilibrer qu'on a l'ambition quand même de passer en début de mandat des réformes essentielles. Quand vous regardez l'agenda de 2018, vous avez la réforme d'apprentissage, la formation professionnelle, réforme de l'assurance chômage, réforme des retraites,  de la procédure pénale, des politiques d'immigration, du bac de l'université… Rien que ça c'est d'une densité importante qui justifie qu'à l'issue de ces textes qui ont été adoptés on puisse se saisir de nos prérogatives en termes de contrôle et d'évaluation.

Les procès en droitisation que vous dressez souvent à votre ancien parti Les Républicains vous valent une certaine animosité chez les sympathisants demeurés proches du parti. N’est-il pas un peu dangereux d’un point de vue démocratique de délégitimer les discours de ses opposants en les renvoyant à une dangerosité supposée : ça n’est pas la même chose de combattre des arguments ou des idées sur le fond que de considérer qu’ils n’ont pas leur place dans le champ du débat démocratique ? Comment éviter autrement une vie politique où ne subsisteraient qu’Emmanuel Macron et des partis extrêmes ?

Je ne les délégitime pas. Délégitimer voudrait dire qu'ils n'ont pas de légitimité à s'exprimer, qu'ils n'ont pas le droit de s'exprimer. Je n'ai jamais dit ça, ils ont le droit de s'exprimer et d'exprimer des idées. Moi, j'ai le droit aussi de caractériser ces idées. Le simple fait que Laurent Wauquiez, qui va très probablement devenir le futur président des Républicains, a le besoin de se justifier sur ses possibles alliances avec l'extrême droite montre l'ambiguïté de ses positions. Vous ne posez pas ces questions matin midi et soir à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé. Ce n'est pas un hasard si ces questions lui sont posées.  Le procès en légitimité en démocratie est dangereux. Ils sont légitimes à être à s'exprimer mais moi j'ai le droit de combattre leurs idées. Je sais pourquoi je suis partie des Républicains et je ne suis pas la seule. Les électeurs surtout sont partis.

Les prières de rue qui prennent place dans certaines villes françaises sans réaction des pouvoirs publics alors que dans le même temps, le conseil d’Etat interdit les crèches de Noël dans les mairies, ça vous inspire quoi ? La France devrait-elle mieux assumer son héritage chrétien, non pas d’un point de vue religieux mais d’un point de culturel et politique, la laïcité étant elle-même une valeur d’inspiration profondément chrétienne ?

Cette question ne m'inspire pas du tout car le parallèle est assez étonnant. Je pense que le conseil d'Etat a raison lorsqu'il dit que la laïcité doit s'exprimer partout. Si l'on veut être dans une république laïque il faut qu'elle s'exprime partout.  Au sein d'un service public il doit y avoir une neutralité (reconnue par nos plus hautes juridictions). Ça ne me choque pas qu'il n'y ait pas de crèche au sein des mairies.

La religion a toute sa place au sein des églises, ou parfois à cause des traditions au sein de places publiques, etc. Mais la mairie, c'est par excellence le service public où chacun doit s'y reconnaître et s'identifier. De la même manière que je n'ai pas envie d'être reçue par des agents de service public qui exposent leur religion, je n'ai pas envie d'être reçue au sein d'une mairie qui arbore une crèche de Noel. Cela ne veut pas dire non plus qu'il ne faut pas combattre les prières de rue qui sont de fait illégales.

Je ne vois pas non plus où la laïcité est une valeur d'inspiration chrétienne. La Turquie est un des premiers Etats qui a fait le choix de la laïcité. Je ne crois pas qu'ils soient spécialement chrétiens. La question de la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans notre pays a été une querelle avec des affrontements qui ont été idéologiquement durs et sévères.  Nous sommes une République qui est une République laïque. C'est notre Constitution et pas notre héritage religieux. Nous avons des hommes et des femmes qui se sont battus  pour considérer qu'il fallait séparer l'Eglise de l'Etat. Que l'on soit de fait dans un héritage judéo-chrétien c'est une évidence. Mais que culturellement ce soit cet héritage qui ai permis la laïcité la question est assez étonnante.

Ce lundi, cela fera deux ans que les attentats du Bataclan ont été commis, au-delà de la menace sécuritaire que pose le terrorisme, quand certains comme Manuel Valls dénoncent la lâcheté ou l’aveuglement qui ont permis la montée d’un antisémitisme du quotidien et le développement d’un islam politique « séparatiste » qui ne reconnaît pas les valeurs de la République et ne souhaite pas s’intégrer au creuset national, trouvez-vous que la critique est bienvenue ou excessive ? Emmanuel Macron devrait-il selon vous s’emparer des défis que posent les aspirations de certains au multiculturalisme ?

Il  a une montée du communautarisme. Du fait de ce communautarisme, il y a malheureusement la montée d'un antisémitisme dans nos quartiers. Le fait que la stèle en hommage à Ilan Halimi ai à nouveau été profané est odieux.  J'avais lu le livre qu'Emilie Frèche avait écrit avec la mère d'Ilan Halimi. A la fin de ce livre, sa mère expliquait qu'elle souhaitait que son fils soit enterré en Israël en disant "je ne veux pas qu'un jour on puisse aller cracher sur sa tombe". De fait c'est ce que ceux qui vont profaner la stèle font. C’est-à-dire profaner sa mémoire. Je pense que malheureusement on a pas été assez attentifs à un certain nombre de signaux assez puissants. Ce qu'il s'est passé pour Ilan Halimi, avec Mohamed Merah… On aurait tous dû se sentir concerné par Halimi, par ces enfants tués à bout portant et pris pour cible car ils étaient juifs.

Nous n'avons pas pris la mesure de cela. Ou en tout cas trop tardivement car il y a eu Charlie Hebdo, l'Hyper Casher, puis le Bataclan. Il ne faut pas baisser la garde sur ce qui sont des expressions quotidiennes de racisme, d'antisémitisme d'homophobie… Je pense que l'on a un peu trop baissé la garde face à cela et la montée des communautarisme quel que soit leur nature. D'ailleurs c'est ce que fait Emmanuel Macron. Ce qu'il incarne les discours qu'il prononce sont l'expression de ce qu'est la République. La référence à Clémenceau n'est pas anodine. Il se place face à cet héritage. Je n'ai aucun doute sur la politique qu'il souhaite mener sur cette question-là, c'est à dire le combat contre le communautarisme et le refus du multiculturalisme. Il n'a jamais été dans cette veine idéologique. Bien au contraire. Tout dans son discours, sa personnalité ou les propos qu'il peut tenir le démontre. 

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