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En Syrie, la France continue de miser sur le mauvais cheval
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Stratégie perdante

Dimanche, "Les amis de la Syrie" se réunissent en Turquie. Aucune solution ne semble se profiler. La France est montée en première ligne dans l'opposition internationale au régime de Bachar al-Assad. Pour mobiliser l'effort populaire sur place, Paris a tout misé sur le Conseil national syrien. Une entité sulfureuse et non représentative qui ne parvient pas à dégager d'unité nationale dans la révolte. Pendant ce temps, les djihadistes montent en puissance.

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l'équipe EMAM de l'Université François Rabelais (Tours).

 Il est également l'auteur de "Syrie : pourquoi l'Occident s'est trompé" aux éditions du Rocher,  "Voyage chez les Chrétiens d'Orient", "Histoire et identité d'un village chrétien en Syrie" ainsi que "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord".

Il anime en parallèle le site Les yeux sur la Syrie.

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Alors que le Congrès des « Amis du peuple syrien » se tient ce dimanche à Istanbul, on peut rétrospectivement s’interroger sur la position de la France quant à la crise syrienne depuis maintenant près d’un an. Une action diplomatique qui se voulait en apparence avant-gardiste, dans la foulée du « succès » libyen et qui semble largement avoir manqué sa cible. La question qui se pose est maintenant est de savoir s’il est possible de faire volte-face.

Dès les débuts du conflit, la diplomatie française, sans doute persuadée d’un chute rapide du régime, a encouragé une montée aux extrêmes, suivant en cela le régime lui-même, débarrassé d’avoir à compter sur une négociation avec des interlocuteurs crédibles, issue de l’opposition intérieure. Dès le départ, il y a eu de la part du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé une erreur d’appréciation fondamentale. Tout se passe comme si la diplomatie française avait sciemment et au mépris de ce que tous les observateurs, y compris au Quai d’Orsay prévoyaient,  sous estimé la capacité de résistance du régime, soudé autour de l’assabiya alaouite et disposant d’une armée mal équipée mais bien entraînée.

Ce que n’ont pas vu aussi les Occidentaux c’est que l’environnement régional immédiat, notamment la proximité de l’Irak a joué et continué de jouer un rôle largement dissuasif dans l’attitude majoritairement attentiste voire loyaliste de la population syrienne, y compris parmi la bourgeoisie sunnite. Le spectre du terrorisme et des affrontements entre communautés en Irak a ainsi servi de repoussoir et chaque nouvel attentat à Damas ou à Alep vient rappeler cruellement cet engrenage de la violence. Pour les voisins immédiats de la Syrie, y compris Israël, toute intervention étrangère était également à exclure, en raison des résonnances territoriales de la question kurde, de la présence des chiites, etc.

Mais alors pourquoi avoir feint de tout essayer? Est-ce pour se rattraper de n’avoir pas vu venir le « printemps arabe » au Maghreb et dans l’ivresse court-termiste du succès libyen que la diplomatie française s’est lancée dans une surenchère volontariste ? Auprès du Conseil de Sécurité d’abord pour une intervention militaire dont Russes et Chinois avaient clairement indiqué qu’ils ne voudraient pas : après les entorses  au droit international commises sur le terrain par les forces de l’Otan à la résolution 1973 en Libye, il était évident qu’après avoir eu l’impression d’être flouées, la Russie et la Chine refuseraient de donner un blanc-seing aux Occidentaux en Syrie.

Dès les débuts de la révolte en Syrie, certains observateurs ont mis en garde contre le risque de guerre civile en cours tandis que la France ne voulait voir dans les insurgés syriens que des « révolutionnaires » et des activistes. Il lui a fallu près d’un an pour admettre et reconnaître à demi-mots que l’opposition armée à Bachar el Assad était totalement multiforme, surtout pas le fait unique d’une « Armée syrienne libre » aux contours assez flous mais de plus en plus le fait de groupes armés d’inspiration djihadiste. Sans doute que la situation chaotique qui règne dans la Libye « démocratique » post-Kadhafi a pu faire réfléchir les responsables français, mais que de temps perdu ! Et quelle illusion de feindre que les aspirations démocratiques des Syriens pourraient être portées sur les fonts baptismaux par des puissances aussi peu crédibles sur le plan des droits humains que les Saoudiens et les Qataris. La diplomatie française a ensuite en janvier 2012, à la suite de l’Arabie Saoudite, fait tout pour enterrer et faire passer pour un échec la Mission des Observateurs de la Ligue Arabe, mission certes imparfaite mais qui donnait un autre son de cloche sur la réalité du terrain.

La dernière illustration de cette politique hasardeuse a été fournie cette semaine lors de la réunion de la Ligue arabe à Bagdad : est-ce parce que le sommet s’est terminé par une résolution condamnant toute ingérence internationale que les responsables français, dans le sillage de l’Arabie saoudite, qui n’a envoyé que des représentants de second rang, ont reconnu à demi-mots avoir été « déçus par tant de prudence ? » Et si la France avait aussi fait une erreur en soutenant le mauvais cheval dès le début, dans une configuration où la reconnaissance par la "communauté internationale", tient lieu de représentativité populaire ?

En effet, on ne peut qu’être étonné de la reconnaissance précipitée dès novembre 2011 du Conseil National syrien (CNS), reconnaissance certes à demi-mots (à ce jour, la France ne considère toujours pas le CNS comme représentant officiel de l’opposition syrienne mais seulement comme « interlocuteur légitime »). Le CNS ne devrait toujours pas être reconnu officiellement à Istanbul malgré les appels pressants du Qatar. Mais pourquoi avoir cessé tout dialogue avec d’autres groupes d’opposants et avoir clairement privilégié à la fois des Syriens émigrés en Occident de longue date, sans véritables contacts avec les réalités du terrain, favorables à une intervention étrangère que les Syriens rejettent vigoureusement et surtout permis aux Frères musulmans et aux puissances sunnites du Golfe d’exercer une large influence au sein de ce même CNS ?

Pourtant dès septembre 2011, s’était constitué autour de l’intellectuel Michel Kilo un groupe d’opposants historiques, tolérés par le régime. En voyage en France en octobre, le groupe avait sollicité en vain d’être reçu au Quai d’Orsay tandis qu’on lui refusait de donner une conférence de presse dans le Centre d’accueil de la Presse Etrangère. Est-ce parce que ce groupe d’opposants, qui ne sera pas à Istanbul ce dimanche, refuse la violence, l’ingérence étrangère ? Pourquoi s’être privé d’une opposition domestique, historiquement incontestée et prête à dialoguer avec le pouvoir?

Aujourd’hui alors que se tient ce congrès à Istanbul, les Occidentaux ont dû imposer des mesures cosmétiques pour obliger au CNS à masquer ses oripeaux islamistes tandis que sur le terrain, la France admet que les insurgés armés sont incontrôlables par ce même CNS et que l’infiltration djihadiste encouragée par le Qatar et l’Arabie saoudite risque de transformer la Syrie en terrain de jeu mondial pour les islamistes du monde entier. Les mesures programmatiques modérées imposées par les Occidentaux au CNS étant largement artificielles et dictées par les circonstances, beaucoup doutent qu’elles soient effectivement appliquées. Mais il est sans doute trop tard pour admettre que la solution passe par une médiation entre le pouvoir et une opposition domestique crédible. C’est d’ailleurs en partie un des buts officieux du plan Annan, visant à ce que la contestation se déplace sur le terrain pacifique et que le régime doive alors céder, à l’instar de ce qui s’est passé en Tunisie ou en Egypte. Si la France persiste à suivre la ligne jusqu’au-boutiste du CNS, on peut parier qu’elle fera tout, à la suite des Etats-Unis, pour torpiller le plan Annan qui avant même d’avoir connu un début d’application, a été déclaré inefficace et déjà obsolète. « La Syrie n'est pas la Libye », lançait Alain Juppé, au Conseil de sécurité, le 31 janvier 2012. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître que l’on s’est trompé.

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