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Pourquoi la levée de l’immunité parlementaire de Marine Le Pen est une faute politique
©AFP

A cogiter

La levée de l’immunité parlementaire qui vient de frapper Marine Le Pen (la même décision a été adoptée en septembre dernier pour Gilbert Collard) ne devrait pas provoquer un grand débat politique ou médiatique. Le sujet mérite pourtant discussion.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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La levée de l’immunité parlementaire qui vient de frapper Marine Le Pen (la même décision a été adoptée en septembre dernier pour Gilbert Collard) ne devrait pas provoquer un grand débat politique ou médiatique. Le sujet mérite pourtant discussion. Accepter de soumettre un parlementaire au verdict des juges n’est pas un acte anodin, surtout lorsque le motif de cette levée d’immunité concerne la possibilité de s’exprimer sur un sujet d’intérêt collectif. 

Le droit ou la politique ?

Ce qui est reproché à Marine Le Pen et à Gilbert Collard, c’est d’avoir diffusé en décembre 2015, sur leur compte twitter, des images très violentes d’exécutions organisées par l’Etat islamique. Ces images sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi puisque le Code pénal, dans sa partie consacrée à la protection de la personne humaine, considère que « le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit », des images relatives à des atteintes volontaires à la personne (torture, viol, etc.) relève de la complicité (article 222-33-3). Or, le même article précise que « le fait de diffuser l’enregistrement de telles images est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

Le but de cette disposition se comprend aisément, surtout à l’heure d’Internet. Mais on voit aussi que cette interdiction pose un problème puisque la loi met sur le même plan celui qui est complice d’un crime et celui qui entend le dénoncer. Conscient de ce risque, le législateur a prévu un régime dérogatoire : « le présent article n'est pas applicable lorsque l'enregistrement ou la diffusion résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice ». Cette dérogation soulève néanmoins deux difficultés. La première est de savoir quelles sont les professions qui ont pour objet d’informer le public. Les journalistes en font évidemment partie, mais sont-ils les seuls ? Ne faut-il pas aussi inclure toutes les personnes qui participent à l’animation du débat public comme les experts, les universitaires, les militants et, bien entendu, les élus.

La seconde difficulté est de savoir s’il est légitime de réserver la preuve aux enceintes des tribunaux. C’est là qu’il faut revenir sur le point de départ de cette affaire. Si Marine Le Pen a diffusé ces photos, c’est parce qu’elle a voulu répondre à une grave accusation du politologue Gilles Kepel, interrogé par Jean-Jacques Bourdin sur RTL, qui a fait un parallèle entre le djihadisme français et le Front national : « bien sûr, ce n’est pas la même chose, mais ce sont deux phénomènes qui participent un peu de la même congruence, ils se ressemblent » (www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/11/08/l-assemblee-nationale-leve-l-immunite-parlementaire-de-marine-le-pen_5212028_1653578.html). C’est donc pour répondre à ce qu’elle a considéré comme un « parallèle ignoble » que Marine Le Pen a publié les fameuses photos, auxquelles elle a ajouté un commentaire : « DAECH, c’est ça ». Certes, les juristes vont répondre qu’elle aurait dû se contenter d’engager une action en justice. Mais c’est là que réside le piège de la loi : dans l’obligation qui est faite de judiciariser le débat politique. Autrement dit, la loi interdit à une personne mise en cause au titre de sa fonction politique de se défendre autrement que devant les tribunaux. Cette judiciarisation forcée constitue un problème parce qu’elle conduit à confisquer le débat politique au profit des juges, privant ainsi les électeurs du droit d’être éclairé sur les tenants et aboutissants d’un enjeu important. Evidemment, nul ne peut savoir ce que décideront les magistrats, et il y a même de fortes chances pour qu’ils s’inspirent de la jurisprudence libérale de la Cour de cassation sur l’utilisation des images. Mais le problème est justement que c’est aux juges que revient le fin mot de l’histoire.

Cachez ces crimes

Au-delà du débat politico-juridique, un problème plus général se trouve posé : notre rapport à ces images violentes qui accompagnent la sanglante histoire du djihadisme. Depuis les attentats de novembre 2015, un mot d’ordre semble s’être imposé : cachez ces crimes que l’on ne saurait voir. Au lendemain du 13 novembre 2015, le garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira, a ainsi demandé de ne pas diffuser la terrible photo prise à l’intérieur du Bataclan, où l’on voyait un amas de corps dans une trainée de sang, et le ministre de l’Intérieur avait même enjoint aux réseaux sociaux de censurer cette image. Après l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, plusieurs médias (dont Le Monde, La Croix, BFM-TV) ont indiqué qu’ils ne diffuseront plus d’images des terroristes. Au Parlement, en septembre dernier, une proposition de loi a été déposée « visant à interdire la diffusion du nom de famille et des images des terroristes dans les médias ». En juillet 2017, lorsque Paris-Match a publié des images de l’attentat de Nice tirées des caméras de vidéosurveillance, le parquet a engagé des poursuites et la rédaction du journal a fait l’objet d’une perquisition, ce qui est une première dans l’histoire de ce magazine (http://www.parismatch.com/Culture/Medias/Communique-de-Paris-Match-1321478). Cette chasse aux images n’est pas seulement française. Lors de l’attentat de Barcelone, le 17 août dernier, la police espagnole a diffusé un communiqué à 17h45, soit moins de trente minutes après le communiqué annonçant qu’une attaque terroriste était en cours, qui demandait de ne pas diffuser les photos des victimes.

La convergence et la répétition de ces obsessions anti-images finissent par poser question. Ne vivons-nous pas une nouvelle crise iconoclaste ? Qu’est-ce qui se joue à travers ce refus ? S’agit-il uniquement d’un dégoût pour la mort ou les violences extrêmes ? En tout cas, une référence vient à l’esprit : le superbe film du Hongrois László Nemes, Le fils de Saul, sorti le 4 novembre 2015, quelques jours seulement avant les attaques de Paris (http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=237178.html). Dans ce film, qui relate le désespoir d’un homme employé dans les sonderkommandos d’Auschwitz, une brève scène relate les risques considérables pris par quelques déportés pour faire des photos du génocide.

Evidemment, la situation actuelle est très différente : les nazis avaient honte de leurs crimes et ils ont tout fait pour les cacher, alors que les djihadistes en sont au contraire très fiers et comptent même jouer sur l’hyper-violence pour frapper les consciences, tétaniser leurs ennemis, subjuguer leurs sympathisants. Cette stratégie ne saurait nous laisser indifférent ; elle doit évidemment nous inciter à faire un usage raisonné des images. Mais de là à vouloir les occulter, il y a un pas qui en dit probablement long sur les idéologies de notre temps. Car l’argument du respect des victimes paraît ici bien dérisoire. On rappellera pour mémoire l’histoire du petit Aylan, ce jeune syrien mort sur une plage turque en tentant de traverser la Méditerranée, dont la photo a circulé en septembre 2015 (http://www.lefigaro.fr/international/2016/09/03/01003-20160903ARTFIG00017-il-y-a-un-an-la-photo-du-petit-aylan-bouleversait-le-monde-entier.php). L’image de ce jeune corps allongé a été complaisamment diffusée par les médias pour émouvoir sur le sort des migrants, sans que personne ne songe visiblement à s’offusquer d’une telle exploitation. Cette différence de traitement est sans doute de bonne guerre, mais elle en dit long sur les choix de notre temps. Une société se devine aussi à travers les morts qu’elle entend glorifier ou oublier. 

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