Mea culpa d'Eva Joly : Un homme politique doit-il vraiment reconnaître ses faiblesses ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les excuses en politique, force oufaiblesse ?
Les excuses en politique, force oufaiblesse ?
©Reuters

Eva culpa

Lors d'un déplacement mercredi dans le bassin d'Arcachon, Eva Joly a déclaré avoir été "très mauvaise" en ce début de course à la présidentielle. Une bourde de plus ?

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : En déplacement en Gironde ce mercredi, Eva Joly a déclaré "Quand je vois que le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français et l’écologie la dernière, je me dis que j’ai été très mauvaise et que je n’ai pas réussi à me faire comprendre". Un candidat à la présidentielle peut-il dévoiler ainsi ses défaillances?

Jean-Luc Mano : Il n'y a pas de règle intangible : un candidat peut reconnaître une ou des erreurs, mais Eva Joly reconnaît ici que l'erreur, c'est elle, ce qui est totalement contre-productif. En disant cela elle avoue ne pas savoir pratiquer la politique. Cela ne peut pas donner envie (même aux plus déterminés) de voter pour elle puisqu'elle admet qu'elle n'est pas le bon choix.

Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une certaine cohérence dans la campagne d'Eva Joly : tout est baroque ! Et cela depuis le début : les Verts ont choisi la plus mauvaise candidate possible, qui fait la plus mauvaise campagne possible. De plus, ils ont mis en place la plus mauvaise stratégie qui consistait à appeler les électeurs à voter pour eux afin de constituer un parti de poids. Puis ils ont finalement conclu un accord préalable avec le PS. Ils avaient déjà pris les dividendes avant de faire l'investissement.

En ces temps de crise où les français ont besoin de quelqu'un d'extraordinaire pour venir à bout de leurs préoccupations, est-ce une bonne stratégie de communication politique de se montrer semblable à ses électeurs ?

Le principe de l'élection, c'est qu'on cherche quelqu'un qui n'est pas fondamentalement différent de soi mais mieux que soi : c'est une sélection. On cherche à élire celui qui a les qualités d'engagement, de disponibilité, pour nous représenter, pour parler, etc... que nous n'avons pas. On choisit toujours celui dont on imagine qu'il a des aptitudes supérieures aux nôtres.

Montrer une certaine humanité peut être d'avouer avoir certaines faiblesses, tant que ces dernières ne sont pas constitutives de sa personne. Ce sont en fait des moments de faiblesse qu'il faut avouer. Cela n'enlève en rien le côté extraordinaire du politique.

Dans l'émission des "Paroles et des Actes" diffusée le 6 mars sur France 2, Nicolas Sarkozy est revenu sur les erreurs de son mandat : le Fouquet's, "casse-toi pauv' con", la tentative de nomination de son fils à la tête de l'Epad, etc. Le mea culpa de Nicolas Sarkozy diffère-t-il de celui d'Eva Joly ?

Qu'un politique reconnaisse des erreurs dans son magistère, mandat ou mandat électif, c'est utile et nécessaire. Nicolas Sarkozy l'a fait un peu tard dans la campagne mais il n'avait plus le choix. Quand l'erreur est admise par tous, qu'elle est de notoriété publique, vous ne pouvez plus prétendre au fait que ce n'était pas une erreur au risque d'être accusé d'autisme, de superbe ou d'arrogance.

Dans l'intervention de Nicolas Sarkozy, la subtilité était de dire  "J'ai compris, j'ai appris", ce qui était d'ailleurs la thématique du discours de Villepinte. Il y reconnait des erreurs de comportement qui ont créé du ressentiment contre lui. Il faut donc qu'il casse cette image. Il met ses erreurs à son passif et appuie sur le fait que ce n'est pas un handicap puisqu'il a appris de ses faux pas. En nuançant son propos sur le fait qu'il s'agisse d'erreurs et non de faiblesses, il affirme une certaine force.

Ceci est très différent de la démarche entreprise par Eva joly qui ne parle pas de rectifier le tir. En somme, elle avoue qu'être en campagne est une posture qui ne lui convient pas. C'est comme quelqu'un qui s'engagerait dans le 100m nage libre et qui, une fois sur le plongeoir, avouerait ne pas savoir nager.

"Sur la question de l’insécurité, j’ai pêché par naïveté", c'est la confession qui était faite par Lionel Jospin en 2002 .Y a-t-il des défauts qui sont inavouables en politique ?

Employer le terme de naïveté a été terrible pour Lionel Jospin. On ne peut pas déclarer avoir été naïf sur une question aussi cruciale que l'insécurité. D'autant moins si on ne rectifie pas avec rudesse et une forme de radicalité sa ligne politique. Une fois la faute reconnue, il faut faire comprendre à son public que l'on va être en rupture avec ses anciens comportements, cette notion de rupture est très importante.

Il n'y a rien d'inavouable, la seule chose difficile à gérer est la question des excuses.

Lionel Jospin - encore lui - l'a appris à ses dépens. Lorsque dans cette même campagne, il a décrit son concurrent Jacques Chirac comme "vieilli, usé, fatigué ", il a commis une faute de campagne qui l'a contraint à présenter des excuses. Ce moment fut un moment de bascule dans la campagne qui l'a mis en difficulté.

Les détracteurs sont toujours présents pour relever les erreurs des uns et des autres. Est-ce alors au politique de faire son autocritique ?

Les Français se demandent : " le politique qui a commis une erreur que tout le monde a vu, sait-il aussi qu'il a commis une faute ?" On en vient à juger de la lucidité que le politique a sur lui-même.

Si on prend l'exemple de Nicolas Sarkozy, beaucoup de gens, avant d'aller voter pour lui, ont besoin de savoir si traiter quelqu'un de "pauv' con" représente pour lui la fonction présidentielle.

Après ses déclarations en off sur Jacques Chirac, Lionel Jospin s'est perdu en excuses et auto-flagellation, déclarant que ces propos ne lui ressemblaient pas, etc. L'auto-flagellation ne sert à rien. D'autant plus que les gens ne croient pas le politique sur parole et ont besoin de voir la transformation qui suit. En réalité, c'est la séquence qui suit l'erreur qui est importante.

Les excuses publiques sont-elles une nouveauté en politique ?

En effet, ce phénomène est très récent et deux raisons l'expliquent.

Il y a aujourd'hui des moyens de diffusion des interventions politiques qui sont démultipliés. Ainsi une erreur devient automatiquement une erreur publique. Le "casse toi pauv' con" de Nicolas Sarkozy a été vu des millions de fois à la télévision, sur internet, etc...alors qu'il y a trente ans, il n'aurait pas été vu du tout puisque les chaines de télé n'auraient pas diffusé cette séquence.

De plus, les temps changent, nous ne sommes plus dans les années 80 où l'on magnifiait uniquement les hommes forts, les yuppies, les gens comme Bernard Tapie qui gagnaient beaucoup d'argent. Nous ne sommes plus dans la logique du gagnant absolu et cela même en dehors de la politique. Aujourd'hui, les électeurs recherchent un candidat qui présente une forme d'humanité, c'est-à-dire un peu de fragilité, mais en même temps beaucoup de robustesse. Mais surtout, ce candidat ne doit présenter aucun signe de faiblesse.

Propos recueillis par Axelle Ewagnignon

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