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 Ce que risque Laurent Wauquiez à vouloir trop gagner en misant tout sur cette France enracinée « que n’aimerait pas » Emmanuel Macron
©AFP

Présidence LR

Opposer Paris et la province, c'est la dernière stratégie affichée dans le JDD du très probable futur président des LR pour tacler Emmanuel Macron. Une tactique qui pourrait s'avérer payante. Ou pas.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Dans une interview donnée au JDD, le probable prochain président des LR, Laurent Wauquiez a semblé axer sa ligne politique dans une opposition entre province contre Paris, (France mondialisée contre France périphérique) déclarant​ par exemple​ ​qu'Emmanuel Macron ​​est "le plus parisien des présidents qu'on n'ait jamais eu"​. En quoi une telle stratégie politique peut elle être considérée comme habile, en quoi peut elle être risquée ?

Bruno Cautrès : Dans son interview au JDD Laurent Wauquiez s’est en effet présenté, à partir de sa position de président de la région Auvergne-Rhône Alpes, comme un élu de région qui connait bien la « vraie » France. On retrouve ici une stratégie de communication relativement classique qui consiste à opposer le pouvoir exécutif en place, présenté comme « parisien » et déconnecté des réalités et des profondeurs du pays, au parti d’opposition, présenté comme ancré dans le territoire et proche des « vraies » préoccupations des français. Cette stratégie est à double tranchant : elle tout d’abord assez habile mais elle comporte aussi sa part de risques. L’habilité consiste tout d’abord à forcer le trait sur l’une des critiques régulièrement faite à Emmanuel Macron, celle d’incarner un pouvoir vertical et « technocratique » qui a du mal avec la diversité des français dans leur rapport à la mondialisation, à la compétitivité et à l’efficacité voulue par le nouveau président de la République. L’habilité consiste aussi à essayer de prendre appui, au sein de la droite, sur les élus locaux : après tout, le réseau des élus locaux, par exemple les maires des villes de droite, constitue toujours pour LR un important point d’appui. D’autant plus qu’Emmanuel Macron est engagé dans un sérieux bras de fer avec les élus locaux. Le risque de cette stratégie est d’apparaître comme manquant de perspectives sur les questions économiques qui sont liées aux dimensions européennes, à la compétition économique internationale. Un autre risque est d’apparaître comme tourné vers une vision un peu « passéiste » où l’on oppose la France des « clochers » à celle des villes. On a vu au cours des dernières élections que les clivages territoriaux comptaient beaucoup ; la droite ne peut délaisser les aspirations des habitants des grandes métropoles, des grands centres urbains, si elle entend reconquérir le pouvoir en 2022.

Du point de vue des risques, ne peut on pas considérer qu'une telle approche pourrait produire un risque de "surcharger" sa campagne sur le thème de l'enracinement alors qu'une large partie de l'électorat n'a pas de vision aussi trachée sur la situation, faite d'une part de refus de la perte des traditions et des habitudes,​ mais également traversée par une envie d'ouverture et de modernité​ ?​ N'y a-t-il pas un risque de "cornerisation" de Laurent Wauquiez alors même qu'une part de la province est également sensible aux thématiques portées par Emmanuel Macron ?

C’est tout à fait cela. Les clivages territoriaux ne sont pas aussi tranchés et l’on a vu que si Emmanuel Macron avait incontestablement connu une forte dynamique dans les grandes villes, cela ne résumait pas totalement sa géographie électorale. Par ailleurs, les électeurs de la droite LR appartiennent aussi, en partie mais il s’agit d’une importante partie, à des catégories sociales aisées, des professions libérales, patrons, commerçants ou artisans, qui ne vivent pas tous « en région » ou dans une France éloignée des grands centres urbains.  Je ne pense néanmoins pas que Laurent Wauquiez ait comme projet de ne se présenter que comme le défenseur des « territoires » contre « Paris ». Il s’agit sans doute davantage pour le futur probable patron de LR de trouver un positionnement, un angle d’attaque, vis-à-vis d’Emmanuel Macron et il sera nécessairement conduit (au fur et à mesure que 2022 se rapprochera) à développer un programme de candidat à la présidentielle, forcément plus large. Tout ceci nous confirme néanmoins, comme je l’ai dit dans une précédente interview, que les municipales de 2020 seront la « balle de match » de la séquence 2017-2022, un baromètre extrêmement important ou une boussole : si Laurent Wauquiez parvenait à faire de ces élections un succès pour LR, alors on verrait une stratégie électorale bien connue sous la Vème République se déployer : une stratégie visant à montrer que le « local » préfigure la victoire nationale. Nous n’en sommes pas là….

A l'inverse, et du point de vue de l'électorat, quels sont les gains que Laurent Wauquiez pourrait espérer ? Quelle est la sociologie et la "taille" de l'électorat que la candidat à la présidence LR peut espérer séduire par une telle stratégie ?

Il ne faut pas exagérer l’importance de ces déclarations en vue de l’élection interne à la présidence de LR. Ce sont les militants qui vont voter et Laurent Wauquiez a déjà capitalisé sur son image d’un « redresseur de droite », je veux dire par là celui qui va permettre à la droite de « redresser la tête » après le traumatisme de la non-qualification de François Fillon au second tour de la présidentielle. « La droite qui n’a pas à s’excuser d’être de droite », tel est plutôt l’angle sous lequel Laurent Wauquiez va tenter d’obtenir le succès le plus large possible les 10 et 17 décembre. Son discours sur Emmanuel Macron comme « le plus parisien de tous les présidents » tente plutôt d’amorcer un rapprochement avec des catégories plus populaires, une fois élu président de LR : les milieux sociaux les plus durement touchés par le chômage, la précarité ou les effets négatifs de la compétition économique mondiale, n’ont pas vraiment d’attirance naturelle pour le programme économique classique de la droite. Ces catégories peuvent néanmoins se sentir laissées pour compte du programme de modernisation et de « transformation » voulu par Emmanuel Macron et le ressentir comme le programme par et pour une « France qui va bien ». Il ne sera pas simple néanmoins pour Laurent Wauquiez de combiner ces différentes dimensions et aspirations qui se contredisent en partie. Mais après tout, personne n’a dit que diriger un parti politique était une tâche simple, surtout après le grand « chamboulement » de 2017….

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