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"Pas un Clint Eastwood" mais "inébranlable" : l'hommage de l'ex-patron du RAID à Bernard Cazeneuve
©Capture d'écran BFM TV

Bonnes feuilles

Jamais un chef du RAID n'aura dû faire face à autant d'attaques terroristes en quatre ans passés à la tête de la plus prestigieuse unité d'élite de la police. De 2015 à 2017, Jean-Michel Fauvergue s'est confié à Caroline de Juglart, journaliste à M6. Il raconte son histoire et celle de son unité de l'intérieur. Extrait de "Patron du RAID - Face aux attentats terroristes" de de Jean-Michel Fauvergue et Caroline de Juglart, publié aux Editions Mareuil. 2/2

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue

Jean-Michel Fauvergue a été chef du RAID de 2013 à 2017. Expert en sécurité, il a conseillé Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle. Depuis 2017, il est député de la 8e circonscription de Seine-et-Marne sous l'étiquette La République en marche.

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Vendredi 24 février 2017

Dans l’actualité… Le 3 février au matin, des militaires ont été la cible d’une attaque terroriste à la machette au Carrousel du Louvre, à Paris. Le quartier a été entièrement bouclé, les visiteurs confinés et sécurisés à l’intérieur du bâtiment, l’assaillant grièvement blessé dans la riposte. À Montpellier, l’arrestation de quatre terroristes menée par le RAID a permis de déjouer des attentats imminents et importants sur le sol français. En politique, soupçonné d’emplois fictifs concernant des membres de sa famille, François Fillon est pris dans une tourmente judiciaire. Aujourd’hui, le ciel est radieux. Je monte à l’étage et me rends au secrétariat du RAID, où je suis toujours très bien accueillie. C’est un endroit vivant, où les hommes et les femmes de l’unité passent facilement une tête, racontent une blague, cherchent une écoute après les moments difficiles… Les traits tirés, le Patron me reçoit à son tour. « On n’arrête pas d’être appelés en intervention ! J’étais l’autre jour à Montpellier. C’est tout le temps. C’est partout. »

Tout au long de votre carrière, vous entretenez des liens étroits avec ceux que vous appelez les « décideurs ». Autrement dit, les politiques. Aujourd’hui, vous tenez ici à leur rendre hommage. Pourquoi ?

Dans sa vie professionnelle, un commissaire de police rencontre beaucoup de femmes et d’hommes politiques, tant sur le plan local que national. Parfois même des ministres. Ce relationnel entre policiers et politiques est fondamental. L’un ne marche pas sans l’autre. Pour ma part, j’ai rencontré des préfets, des élus, de grands indépendantistes, des loyalistes et des ministres en Outre-mer, lorsque j’étais en poste en Nouvelle-Calédonie. Au Mali, j’ai passé une soirée avec Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et son épouse, Cécilia Sarkozy, à l’occasion de la réception qu’ils donnaient à l’ambassade de France… Depuis mon arrivée au RAID, je les côtoie davantage encore et, contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la plupart du temps, ce sont des personnes très investies dans leurs fonctions, soucieuses de la vie présente et à venir de leurs concitoyens. Qui luttent au quotidien. En 2015, les politiques ont fait face à des situations sans précédent dans leur vie d’homme et de femme. Après les attentats du 13 novembre, les craintes étaient très grandes. Alors que nous nous demandions tous où ça allait encore frapper et si nous arriverions à garder le contrôle, ils ont été d’un courage exceptionnel. La charge reposait essentiellement sur quatre personnes : François Hollande, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian. Tous ont su prendre les bonnes décisions pour lutter contre un terrorisme à la fois endogène et extérieur au pays. Voilà pourquoi je trouve toujours fort injustes les attaques distillées de façon insidieuse contre eux.

Le RAID est l’un des bras armés du ministère de l’Intérieur. Vos liens avec les politiques ont-ils été renforcés par les attentats ?

Évidemment. Chacun à notre niveau, nous avons vécu les mêmes drames : l’Hyper Cacher, le Bataclan, Magnanville, Nice, Saint Étienne- du-Rouvray… « Jamais, me confiera Bernard Cazeneuve après l’attentat de Magnanville, un ministre de l’Intérieur n’aura été autant impacté par des affaires de terrorisme et n’aura entretenu des liens aussi étroits avec le RAID et ses autres services d’intervention. » Mais ces liens entre Bernard Cazeneuve et le RAID se sont tissés bien avant la première série d’attentats. Le 13 juillet 2014, quelques semaines seulement après sa nomination, voulant en savoir plus sur nos compétences techniques et tactiques, le ministre de l’Intérieur vient nous voir à Bièvres. Après avoir suivi quelques-uns de nos exercices d’entraînement, nous avons eu une longue discussion sur l’évolution de la menace terroriste. Je lui parle alors du principe de non-réversibilité : « Désormais, face à des terroristes du type Merah, on ne pourra plus se permettre le luxe de négocier 20 heures ! Nous transformerons cette étape en une simple prise de contact. Et une fois le Top assaut donné, il faudra aller jusqu’au bout rapidement. Ce sera irréversible. » À ce moment-là, nous nous entraînons sur ces nouveaux process d’intervention. Il m’importe que le ministre le sache, le comprenne et ne nous oblige pas à négocier en cas de crise terroriste si cela est contraire à la sécurité. Cette discussion portera ses fruits six mois plus tard, le 9 janvier 2015, deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo. Les auteurs du massacre (les frères Kouachi) sont retranchés dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële tandis qu’Amédy Coulibaly retient de son côté 26 otages à l’intérieur de l’Hyper Cacher. Dans le cadre de la FIPN, j’ai le commandement total des opérations et autorité sur le RAID et la BRI. Lorsque Bernard Cazeneuve nous rejoint sur place, porte de Vincennes, je n’ai aucun mal à le convaincre. Il le sait, il l’a compris, la seule solution, c’est l’assaut. Des négociations ne nous mèneraient nulle part. De retour à l’Élysée, il en réfère au Premier ministre et au président de la République. Les politiques me font confiance. Ils valident toutes mes stratégies pour dénouer la crise.

Preuve, une fois de plus, que tout repose sur la confiance ?

C’est exact. Confiance personnelle. Confiance hiérarchique. Confiance administrative. Confiance technique… Avec le recul, je suis persuadé que la discussion que nous avons eue à Bièvres a en effet beaucoup compté dans la résolution de cette crise. Si les politiques m’avaient répondu : « Non ! Ne donnez pas l’assaut. C’est trop risqué pour les otages », j’aurais obéi bien sûr mais, j’avoue, trouver une autre stratégie n’aurait pas été simple.

Vous semblez avoir une sincère admiration pour Bernard Cazeneuve.

Je vous l’ai déjà dit : on a tous besoin d’un chef. Pas forcément d’une bête de combat à la Clint Eastwood mais d’un chef dans lequel on se reconnaît. Bernard Cazeneuve est un homme à l’écoute, qui analyse très vite… Un ministre qui prend rapidement des décisions dans les situations les plus extrêmes et qui n’en dévie pas, même au plus fort de la crise. Il est inébranlable. Une fois l’action terminée, il défend ses troupes, quel que soit le résultat. En clair, il prend ses responsabilités et les assume. Il ne manque jamais non plus une occasion de récompenser ou de saluer les policiers. Il a beaucoup de profondeur, une empathie naturelle. C’est essentiel, l’empathie ! Ici, les hommes l’apprécient vraiment.

Il est vrai que le ministre s’appuie beaucoup sur le RAID, surtout depuis les attentats de janvier 2015.

Le ministre s’appuie sur nous, certes, mais il compte sur toutes les autres forces de police et de gendarmerie. Après les attentats du mois de janvier 2015, il cherche surtout à résoudre un problème qui est la quadrature du cercle : comment faire travailler toutes les unités d’élite ENSEMBLE en cas de crise majeure, sans tenir compte des compétences territoriales. Après les attentats du 13 novembre à Paris, il bataille encore plus fort et crée, en avril 2016, le SNI (Schéma national d’intervention). Sa mise en oeuvre est immédiate. Quelques mois plus tard, nous réalisons, GIGN, BRI-PP et RAID, un exercice commun d’intervention à la gare Montparnasse. Placée sous mon commandement, et médiatisée, l’opération se déroule bien. Une fois terminée, Bernard Cazeneuve nous retrouve sur place. Je l’accueille. L’espace d’un instant, nous nous retrouvons un peu à l’écart des autres et il me dit :

« Jean-Michel, je voudrais vous inviter à dîner à la maison avec Hubert Bonneau et Christophe Molmy. Rien que vous trois.

— Avec grand plaisir, Monsieur le Ministre.

— C’est donc entendu. Ma secrétaire vous appellera rapidement. »

Deux semaines plus tard, le chef du GIGN, celui la BRI et moi-même nous retrouvons tous place Beauvau, dans les appartements privés du ministre. « Quand j’ai annoncé à ma famille que je dînais ce soir avec les trois grands chefs d’intervention, elle a trouvé que j’avais beaucoup de chance ! », nous a-t-il dit, façon très polie de commencer la soirée et de nous mettre tous à l’aise. Il est ensuite question de sujets plus sérieux concernant la sécurité du pays. À la fin du repas, il nous invite à nous rendre dans son bureau où des parapheurs sont entassés en piles, la plupart à signer avant le lendemain matin. Là, il sort quelques albums personnels de photos, dont l’un concernant la prise d’otages à l’Hyper Cacher. Puis il les commente en tournant les pages : « C’est le moment où François Hollande prend la décision de l’assaut simultané. » « Ici, nous regardons tous les deux la télévision et nous voyons les otages libérés sortir… » Pour nous, chefs d’intervention, c’est un moment unique. Intime. Jamais nous n’aurions imaginé que le ministre de l’Intérieur conservait des albums photos de nos interventions… Pourtant, j’ai l’impression que quelque chose le chagrine. Mon intuition est bonne. Il tourne soudain son regard vers Christophe Molmy et moi et dit : « Pouvez-vous me dire en confiance ce qu’il s’est exactement passé dans la salle de maquillage du plateau de TF1 le soir même, après de l’assaut de Saint-Denis le 18 novembre ? » Ne voyant pas du tout à quoi il fait allusion, je lui réponds un peu bêtement : « On s’est fait maquiller. Pourquoi ?

— Ah oui ? Sauf que j’ai des informations sérieuses selon lesquelles vous vous seriez fortement disputés. Vous en seriez même venus aux mains… »

Christophe Molmy et moi nous regardons, sidérés.

« Mais à aucun moment, Monsieur le Ministre ! Jamais ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? »

On a beau le rassurer, je sens bien que notre éventuelle mésentente le préoccupe. À ses yeux comme aux miens, nous luttons tous dans le même sens, donc il faut que cela marche entre nous.

 Extrait de "Patron du RAID - Face aux attentats terroristes" de de Jean-Michel Fauvergue et Caroline de Juglart, publié aux Editions  Mareuil

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