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Tournant : Les pays émergents 
veulent la Banque mondiale, 
mais qu’en feraient-ils ?
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Le casse du siècle ?

L'institution internationale élira son nouveau président le 20 avril. Face au candidat américain, une Nigériane et un Colombien, qui portent la voix des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard est économiste et consultant indépendant.

Sa thèse, rédigée à Sciences Po Paris et à l’université de Princeton, portait sur les méthodologies de notation souveraine. Il a été consultant pour l’International Finance Corporation (IFC), l’État de Sonora (Mexique), l’OCDE et la Banque mondiale.

Il est l'auteur de Les agences de notation (La Découverte, 2010) et de A Century of Sovereign Ratings (Springer, 2011).

 

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Atlantico : Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) présentent deux candidats à la présidence de la Banque mondiale, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala et le Colombien José Antonio Ocampo. Ont-ils une chance de l'emporter face au candidat américain Jim Yong Kim ?

Norbert Gaillard : L'issue du vote est connue. Jim Yong Kim sera élu, surtout depuis que la Chine a indiqué, dans la foulée de sa nomination in extremis par le président Obama, que ce choix allait dans la bonne direction. Il faut bien comprendre que, depuis 1945, les États-Unis et l'Europe se sont partagés les rôles : aux États-Unis la Banque mondiale et à l'Europe le Fonds monétaire international (FMI). Américains et Européens ont évidemment intérêt au maintien du statu quo. Si jamais les premiers perdaient la Banque mondiale, les seconds risqueraient de devoir abandonner le FMI à moyen terme. L'Europe votera donc en faveur de Jim Yong Kim. Idem pour le Japon et la Corée du Sud, dont est originaire le candidat américain. Si l'on additionne les droits de vote des États-Unis, de l'Europe des 27, du Japon et de la Corée du Sud, on arrive à... 50,6% !

C'est aussi pour les Américains une question de prestige et d'affichage politique. Si leur candidat était battu, ce serait un coup dur pour Obama dans l'optique de sa réélection. Les Républicains affirmeraient qu'il a été incapable de défendre les intérêts de la nation.

Les chances de Ngozi Okonjo-Iweala et de José Antonio Ocampo sont d'autant plus minces que les pays émergents demeurent divisés. Il y a trop d'intérêts divergents et de rivalités entre la Chine et l'Inde, l'Inde et le Pakistan, le Mexique, le Brésil et l'Argentine. Le Nigeria, pays pourtant le plus peuplé d'Afrique, a vu ses droits de vote réduits lors de la réforme de 2010 ! La candidature de Ngozi Okonjo-Iweala s'apparente donc à une volonté de "contester" une réforme perçue comme injuste. De son côté, le Mexique, qui avait présenté la candidature d'Agustin Carstens pour succéder à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI en 2011, tente de faire entendre la voix de l'Amérique latine. Il s'agit également de contrebalancer le pouvoir grandissant du rival brésilien.

Si un candidat des Brics était élu à la tête de la Banque Mondiale, concrètement, qu'est-ce qui changerait pour l'institution internationale et la politique qu'elle mène ?

Il ne faut pas se faire d'illusion. Les enjeux sont essentiellement d'ordre symbolique. L'élection d'une présidente ou d'un président africain, latino-américain ou asiatique à la tête de la Banque Mondiale serait un signe supplémentaire de l'influence croissante des pays émergents. Cependant, dans la vie quotidienne de la Banque Mondiale, un tel tournant aurait peu de conséquences.

Quel que soit le président de l'institution, les prêts consentis par la Banque Mondiale et ses diverses agences (l'International Development Agency, l'International Finance Corporation et la Multilateral Investment Guarantee Agency) aux Etats, collectivités locales et entités privées continueront de répondre aux mêmes exigences: favoriser la croissance économique, développer les infrastructures, réduire la pauvreté. Un éventuel changement de leadership ne modifierait en rien la raison d'être de la Banque Mondiale, ses objectifs et les moyens mis en oeuvre pour les atteindre.

Alors que les Brics représentent aujourd'hui plus de la moitié de la croissance mondiale, faut-il revoir les procédures de sélection de la Banque mondiale, qui réserve en général ce poste à un Américain ?

Les demandes des pays émergents sont légitimes. On pourrait imaginer, aussi bien au sein de la Banque Mondiale que du FMI, un système de présidence tournante qui concernerait les cinq continents et sous-continents suivants: Amérique du Nord; Amérique latine; Europe; Afrique; et Asie-Pacifique. Vu que les mandats à la tête de la Banque Mondiale et du FMI sont de cinq ans, aucune région ne serait écartée de la présidence de l'une des deux institutions pour une période supérieure à 10 ans. Je suis persuadé que ce type de réforme finira par voir le jour d'ici quelques années.

Finalement, les pays émergents ont-ils un intérêt à récupérer la Banque mondiale, ou peuvent-ils s'en passer et créer leurs propres structures ?

Les pays émergents ont tout intérêt à continuer leur lobbying pour augmenter leurs droits de vote et obtenir un jour la tête de l'institution. Rappelons que la réforme de 2010 a d'ores et déjà permis au Mexique, au Brésil, à l'Inde et à la Chine de porter leurs droits de vote de, respectivement, 1,17%, 2,06%, 2,77% et 2,77% à 1,68%, 2,24%, 2,91% et 4,42%. La dynamique est en leur faveur, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?

Mais ne soyons pas naïfs pour autant. Les Etats émergents ont bien d'autres moyens d'accroître leur influence économique et politique, via leur diplomatie, des dons, des prêts bilatéraux, des aides techniques, des investissements directs et des investissements en portefeuille, réalisés, par exemple, par des fonds souverains.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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