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Margaret Thatcher, la femme qui a lancé le néolibéralisme, Angela Merkel, celle qui en signe la fin
©Reuters

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Cambridge, 
Le 22 octobre 2017
Mon cher ami, 
Je vous écris un peu à la hâte, ce soir. J’ai passé une partie de la fin de semaine avec plusieurs ministres du gouvernement de Sa Majesté, à mesurer l’impact de l’entêtement bruxellois (permettez-moi de nommer ainsi ce qui relève de l’Union Européenne, qui est de fait de moins en moins habitée par l’esprit européen) à ne pas vouloir mener des négociations réalistes avec le gouvernement britannique. Nous étions réunis, hier, autour de Liam Fox, pour préparer avec lui la réponse cinglante qu’il vient de faire à votre président concernant ce qui ce passe vraiment dans les négociations. 
Je ne vous ferai pas l’injure de souligner que c’est le ministre du Commerce extérieur que l’on a envoyé pour répondre au président français. La fébrilité n’est pas du côté où on l’imagine. Quel contresens, au passage, de la part de votre président: la place de médiateur entre la Grande-Bretagne et l’Union est à prendre! Paris y gagnerait une influence énorme et marquerait des points face à Berlin. Pourtant, votre président préfère se faire le porte-parole de la Commission Européenne et d’une méthode très allemande de négociation: on n’avance pas tant qu’on ne s’est pas entendu sur le règlement de la dette britannique vis-à-vis de l’Union. Je ne donne pas cher de l’Union Européenne, assaillie de conflits internes, défiée par le corps électoral (vous avez vu l’enchaînement entre l’Autriche et la République tchèque: victoire de Sebastian Kunz dans le premier cas, d’Andrej Babis dans le second cas). Plus le temps va passer, plus la position britannique apparaîtra pour ce qu’elle est, raisonnable. Je suis d’ailleurs convaincu que Berlin, dès que le gouvernement de Madame Merkel sera constitué, occupera le vide laissé par Emmanuel Macron et fera plus ou moins discrètement signe à Londres.  Les négociations du Brexit commenceront véritablement au début de l’année prochaine, après de longs mois perdus par la faute de l’Union. 
Dans le train qui m’emmenait, tout à l’heure, de Londres à  Cambridge, mon esprit a vagabondé. Je songeais au récit que nous a fait hier David Davis des négociations sur le Brexit, nous exprimant le mélange d’ennui et d’étonnement qui le saisit chaque fois que ses interlocuteurs lui répètent, comme une litanie, l’ordre dans lequel la négociation est censée se dérouler: aucune négociation commerciale n’est possible tant que l’accord sur le règlement financier n’a pas été trouvé.  David se demande si la prochaine fois il ne se fera pas représenter par un hologramme...... On se dit d’abord qu’il y a beaucoup d’Angela Merkel là derrière. « Il n’y a pas d’alternative » a été une de ses formules favorites, au point de susciter contre elle un parti d’opposition conservateur (aux accents de plus en plus populistes) qui s’intitule « Alternative pour l’Allemagne ». Mais l’honnêteté oblige à dire que « There Is No Alternative » est une formule que Margaret Thatcher aimait utiliser aussi. Un membre du parti conservateur l’avait surnommée TINA, par dérision. 
Peut-être y a-t-il plus de points communs que ce qu’on croit entre la Dame de fer et la Chancelière. En traversant la campagne anglaise, j’ai bien dû m’avouer que la comparaison me déplaisait, à première vue. J’ai tout de même beaucoup plus de sympathie pour Margaret Thatcher mais je n’ai jamais pu adhérer complètement à sa vision du monde. Un vrai conservateur ne dira jamais « There is no such thing as society » (« La société, ça n’existe pas »); c’est impossible. La Dame de Fer avait raison  de mettre en cause les abus de l’Etat-Providence; mais en niant l’importance du lien social, elle a ouvert la porte à l’individualisme post-1968, qui a progressivement confisqué son programme et l’a transformé en « néo-libéralisme ». Margaret Thatcher, élevé dans un méthodisme strict, croyait à l’éthique du capitalisme; elle a pourtant ouvert la porte à tous les abus de la finance et à la désintégration partielle du corps social qu’elle a engendrée. De même, quand elle proclamait « There Is No Alternative », elle avait raison de plaider pour le retour à une conception saine du marché; mais elle donnait à tous les artisans du « consensus de Washington » la possibilité de faire avancer un programme mondialiste. Le Premier ministre britannique des années 1980 s’est brisée sur la conversion de son propre parti à l’européisme. En niant la société, la Dame de Fer avait fragilisé la nation face à tous ceux qui, dans son propre parti ou au parti travailliste acceptait la libéralisation de l’économie pourvu qu’elle fût déployée dans le cadre de l’Union Européenne en construction. En niant la politique, qui implique toujours une alternative, Margaret Thatcher, de même, a été prise à son propre piège: il était facile de lui expliquer qu’il n’y avait pas d’élément d’alternative à l’Union Européenne. 
Vingt-cinq ans plus tard, une autre femme politique domine les débats européens comme Margaret Thatcher en son temps. Elle est, comme la Dame de Fer, très marquée par son éducation protestante même si son christianisme est autant teinté de progressisme que celui de Margaret Thatcher l’était de conservatisme. Chez les deux femmes il est impossible de sous-estimer une passion à fond religieux pour une vision du monde qui doit constituer le socle de l’action politique. Angela Merkel a progressivement oublié le conservatisme social de la CDU et de la CSU au profit d’un « libéralisme » affirmé (au sens américain du terme). Elle n’est finalement pas si loin de la négation de la société telle que l’avait formulée Margaret Thatcher. Sous les mandats de Madame Merkel, l’Allemagne est devenue définitivement la championne du libre-échangisme. Mais c’est surtout le slogan TINA qui réunit les deux femmes. La Chancelière s’est fait une spécialité de présenter ses décisions politiques comme inéluctables et les seules possibles: si on la suit, elle ne pouvait pas faire autrement que d’imposer une cure d’austérité à toute l’Europe du Sud pour la sortir de la crise; ou de fermer les centrales nucléaires; ou d’ouvrir complètement les frontières aux réfugiés des guerres d’Orient et d’Afrique. 
Margaret Thatcher avait ouvert l’ère du néo-libéralisme. Angela Merkel la ferme, elle en est l’une des dernières représentantes. Tandis qu’elle s’obstine à vouloir construire une majoité dont le centre de gravité soit au centre-gauche, le monde change autour d’elle, L’Autriche ou la Tchéquie apportent la preuve que le continent est en quête d’un nouvel équilibre politique. Les deux chefs de gouvernement, la Britannique et l’Allemande, ont voulu, par leur parcours politique sortir définitivement du « socialisme » pour faire toute sa place à l’économie de marché. Mais Margaret Thatcher avait une page blanche devant elle; Angela Merkel est, elle confrontée, à la monté des inégalités en Allemagne et à la déstructuration potentielle du continent européen par le monétarisme et la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. 
L’entrée dans la gare de Cambridge a interrompu mon parallèle et vous me pardonnerez de ne pas avoir la virtuosité d’un Plutarque dans cette esquisse de« vie parallèle des femmes illustres ». Néanmoins, il me paraît essentiel de bien identifier où sont les failles du système néo-libéral qui est le nôtre depuis plusieurs décennies. L’absence de débat entre partis de gouvernement engendre, par réaction, le populisme et l’abstention. Il est temps de sortir de la négation du lien social et de réaffimer le caractère profondément sain de l’affrontement entre une droite et une gauche, entre conservatisme et progressisme, pour le bien de la démocratie. 
Très fidèlement
Votre dévoué Benjamin Disraëli

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