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Une guerre économique mondiale a commencé : celle des GAFA pour conquérir votre attention et ne plus la lâcher à leurs concurrents
©wikipédia

The Silicon Throne

Lors d'une conférence organisée par le Wall Street Journal, Michael J. Wolf (spécialiste de l'économie des nouveaux médias et GAFA) a déclaré que la guerre entre les grandes firmes de la tech était déclarée. Leur terrain de bataille : le temps disponible de leurs clients qu'ils veulent conquérir encore et toujours plus.

Gilles Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek, l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCH.tv, la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux loisirs.

Il est le co-auteur, avec Marc Geoffroy, de l'ouvrage iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

Vous pouvez suivre Gilles Dounès sur Twitter : @gdounes

 

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Atlantico : Les entreprises Google, Amazon, Facebook ou Apple sont en concurrence plus que jamais pour être à la pointe de la technologie et des médias. En quoi l'arrivée de l'assistance vocale ou de la réalité virtuelle ou augmentée va-t-elle faire faire évoluer cette concurrence ?

Gilles Dounès : La conférence de Michael J. Wolf lors de l'événement organisé par le Wall Street Journal décrit une concurrence exacerbée des géants du Net, notamment Google, Amazon, Facebook ou Apple mais également Microsoft qu'il ne faut pas enterrer trop vite, qui se bousculent en cherchant à bénéficier de relais de croissance sur le secteur d'Internet et de ses contenus. Wolf table sur une croissance annuelle de 4,1 % pour les revenus générés par les accès à Internet, ainsi qu'au contenu payant, pour un total de 1,7 trillion de dollars (1 700 milliards) à l'horizon 2021. Dans cette optique, tout le monde se bat pour conserver le chaland au sein de sa sphère d'influence, à travers l'interface utilisateur la plus commode possible.

La partie a d'ailleurs commencé depuis un bon moment : Apple propose ainsi un assistant personnel multilingue sur l'iPhone 4S depuis déjà six ans, développé à partir d'une application-tierce lancée en 2010. Google va relativement rapidement proposer un concurrent un an plus tard, et c'est désormais également le cas de Microsoft depuis deux ou trois ans. En ce qui concerne la réalité virtuelle où la réalité augmentée, Google s'est déjà essayé à l'exercice avec les Google Glass avec peu de succès, et Facebook commence à présenter des contenus satisfaisants avec son Oculus. Apple préfère privilégier la réalité augmentée à travers l'écran de l'iPhone, sans s'interdire quoi que ce soit.

Mais si l'attention des commentateurs est essentiellement retenue par l'arrivée des nouveaux assistants personnels électroniques avec tout d'abord écho par Amazon, puis Google Home et bientôt HomePod d'Apple dans un premier temps aux États-Unis et au Royaume-Uni à la fin de l'année, il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'une nouvelle bataille autour du modèle économique, déjà ancien, de l'iPod : 

- l’appareil électronique (ici l'assistant personnel dans le salon)
- l’accès rapide aux contenus (ici les réseaux wi-fi et les accès hauts débit, la fibre notamment)
- l’exhaustivité ou presque du service, appuyée sur la commodité de l'interface utilisateur.

Ce nouvel épisode est également permis par l'augmentation considérable de la capacité de calcul des puces dites « neuronales », à la fois dans les serveurs, mais également dans le terminal : c'est en tout cas la solution retenue par Apple avec le processeur A11 Bionic, qui équipera dans un premier temps l'iPhone 10, avant d'être vraisemblablement généralisé à ses successeurs et à la gamme professionnelle de l'iPad.

Enfin, il ne faut pas oublier la voiture, de plus en plus connectée et de plus en plus gourmandes en intelligence artificielle à mesure qu'on lui demandera d'être davantage propre et autonome.

L'enjeu aussi est celui du temps que les utilisateurs/consommateurs sont prêts à disposer pour la technologie et les médias. Comment les GAFAM exploitent-ils cette ressource ? 

L'étude dont il est question fait état de 12 heures quotidiennes passées en moyenne par les utilisateurs devant des écrans, tous canaux confondus, ordinateurs, consoles, tablettes, smartphones et bien entendu téléviseur. Comme d'habitude, ce n'est d'ailleurs pas les moyennes qui sont pertinentes en l'occurrence mais bien les écarts types, sachant que les 25 % des utilisateurs les plus assidus monopolisent à eux seuls 61 % du temps passé devant les écrans. En ce qui concerne le jeu, ces 25 % de « super-utilisateurs » représentent 70 % du temps de jeu, très majoritairement dans la plage des 18–24 ans.

D'autre part, l'étude fait référence à la population des États-Unis, qui historiquement passe beaucoup plus de temps et pratique beaucoup plus d'activités devant un écran allumé qu'en Europe, et singulièrement en France, même si de ce côté-ci de l'Atlantique il augmente inexorablement. Le phénomène du « multi écrans » Il est également apparu depuis des décennies, bien plus tôt que la multiplication des smartphones et des tablettes en tout cas, puisque l'on pouvait pratiquement trouver dès la fins des années 70 pratiquement un téléviseur pour chaque pièce, ou pour chaque membre de la famille, dans la plupart des foyers américains.

Ces précautions méthodologiques prises, chacune des multinationales va tenter de capter et de conserver au maximum l'attention et l'activité de ses utilisateurs en lui proposant d'autres services, à partir de son cœur de métier, grâce à la stratégie du confort d'utilisation que les aficionados de la marque à la pomme connaissent bien : 

« Puisque vous êtes pleinement satisfait de votre iPod ou de votre iPhone, pourquoi ne pas essayer un iPad, un iMac ou un MacBook Pro ? ». 

Ici encore, c'est l'interface – vocale – et l'exhaustivité du service qui vont être les points-clés de la réussite.

Facebook va tenter de grappiller du temps d'utilisation supplémentaire en proposant un réseau professionnel parallèle au réseau social qui est son cœur de métier, Google va chercher tout comme Apple à proposer un point d'entrée unique pour l'ensemble de ses services, dans une bataille dont l'enjeu est la publicité qualifiée ou le commerce, celui de ses propres produits ou celui de ses partenaires affiliés.

Le modèle économique oscille ainsi : 

– D’une part celui celui du centre commercial virtuel, typiquement une grande surface alimentaire, ainsi que des commerces connexes qui lui paient une redevance sous forme de  loyer, laquelle va se mettre à proposer de plus en plus de services (jeux, snack, cinéma, restauration) pour proposer une « expérience globale » aux familles le week-end ou le mercredi après-midi, 

– Mais d’autre part il penche de plus en plus vers celui du Concierge de Palace, popularisé par Apple dans ses Apple Store. Un revenu fixe, élevé, qui correspond à une prestation de base haut de gamme (l'assistant personnel familial prend ainsi la place de la chambre ou du salaire du Concierge), plus un intéressement (le pourcentage sur la vente commissionnée prend la place du pourboire ou du pourcentage éventuel sur la vente initiée par le Concierge, qui a valorisé son carnet d'adresses). 

C'est typiquement le modèle de Google, Apple s'efforçant au maximum d'orienter le client à l'intérieur de ses propres boutiques (les présentoirs ou les mini boutiques proposant divers produits sélectionnés de marques partenaires dans les Palaces).

Les entreprises de la technologie et du numérique investissent des milliers et des millions pour la recherche, l'innovation dans des domaines qu'elles soupçonnent porteurs d'avenir. Peut-on imaginer une des GAFAM être hors course ou ne plus pouvoir suivre le rythme de ses concurrents ?

Absolument pas pour des raisons financières, sauf si l'administration Trump fait dans ce domaine-là aussi n'importe quoi. Outre le capital d'attraction de leurs marques respectives, capables d'attirer les meilleurs cerveaux pour alimenter leur recherche et développement, les géants du Net disposent en effet de trésors de guerre colossaux accumulés par les filiales à l'international. En grande partie parce qu'ils ont échappé à l'impôt, à la fois comme en Europe du fait de l'optimisation fiscale, mais également aux États-Unis où ils étaient exemptés de taxes tant tant que ces profits générés de part le monde n'étaient pas rapatriés dans les comptes de la maison-mère. 

Les GAFAM disposent ainsi d'une manne considérable dans laquelle ils peuvent puiser pour consolider leur domination à l'international, et financer des infrastructures, sécuriser des approvisionnements en composants ou en services de pointe (comme la reconnaissance faciale de l’iPhoneX développée par une start-up Normande) , et bien entendu s'offrir au besoin de jeunes pousses prometteuses, lesquelles viendront enrichir leur offre concurrentielle… en supprimant au passage les éventuels concurrents de demain.

Tout l'enjeu est de fédérer autour de soi un écosystème – au sens biologique et écologique du terme – et d'en tirer parti au maximum, tout en privant ainsi dans la mesure du possible ses concurrents de ressources. Bien entendu, la plupart des acteurs subalternes vont tenter de travailler de façon transversale, en privilégiant la compatibilité avec les différents géants du secteur, mais la logique est bien celle-là : les ténors cherchent à faire le « rassemblement » autour d’eux, tout en s'efforçant de créer un standard de fait, au sommet de la pyramide.

Il est vraisemblable que l'on n’assiste à la perpétuation du système actuel le duopole entre Apple et Google pendant encore un petit moment, en attendant qu'il se passe quelque chose de nouveaux du côté des écrans de consultation, à la fois les plus grands (dans le salon, dans la salle de classe) et les plus petits (sur l'ameublement, l'électroménager ou les vêtements).

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