Qui sont ces électeurs tentés par le vote blanc ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Qui sont ces électeurs 
tentés par le vote blanc ?
©

Etude Ifop

Difficilement mesurable, le vote blanc touche essentiellement les jeunes et les femmes. Mais quel message politique veut exprimer cet électorat qui reconnaît l’élection mais refuse l’offre proposée ?

Frédéric Micheau

Frédéric Micheau

Directeur général adjoint d'OpinionWay et enseignant à Sciences Po, Frédéric Micheau est spécialiste des études d'opinion. Il est l'auteur, au Cerf, de La Prophétie électorale.

 

Voir la bio »

Le vote blanc consiste pour l'électeur à ne choisir aucun des candidats ou des listes en compétition dans un scrutin et à introduire dans l’enveloppe un bulletin vierge, conforme à la taille règlementaire. L'électeur qui souhaite voter blanc doit confectionner lui-même le bulletin qu’il glissera dans l’enveloppe. A la différence de l’abstention, le vote blanc, qui est une des formes de la participation électorale, reconnaît l’élection mais refuse l’offre électorale proposée.

Peu de données sont disponibles sur le vote blanc et sur le profil des électeurs y ayant recours. En avril 1998, l’Ifop a conduit une enquête[1] nationale, qui établissait que 36% des Français avaient déjà voté blanc ou nul. La fréquence déclarée de ce comportement électoral était assez basse : parmi les électeurs ayant déjà voté blanc, 16% déclaraient l’avoir fait « très rarement », 13% « quelques fois » et seulement 7% « souvent ». Ces électeurs exprimaient par ce geste « un refus des candidats en présence » (36%), leur « hostilité à l’égard de la politique » (35%) et, dans une moindre mesure, une « difficulté à choisir entre les candidats en présence » (20%).

La République ne fournit pas de bulletins blancs, dont elle ne reconnaît pas la valeur. Le Ministère de l’Intérieur ne comptabilise pas les votes blancs en tant que tels, mais les amalgame avec les votes nuls, c’est-à-dire les votes non conformes (bulletin annoté, rayé, ou déchiré, enveloppe vide ou comprenant plusieurs bulletins, …). Rappelons que les votes blancs et nuls ne sont pas considérés comme des suffrages exprimés. Cette comptabilisation indifférenciée des votes blancs et nuls a donné lieu à plusieurs revendications en faveur de la reconnaissance du vote blanc.

Des réflexions et propositions législatives ont ainsi pris pour objet cette réforme attendue et populaire. En 1998, une majorité de Français estimait souhaitable de comptabiliser le vote blanc parmi les suffrages exprimés (62%), de distinguer, dans le décompte des suffrages, le vote blanc et le vote nul (62%) et de mettre à disposition des électeurs un bulletin blanc à côté des bulletins au nom des candidats (59%). Régulièrement évoqué dans le débat électoral, le sujet vient de rebondir avec la proposition de François Bayrou d'organiser un référendum de « moralisation de la vie publique», dans lequel il soumettrait aux Français la reconnaissance du vote blanc à toutes les élections[2].

A l’approche du scrutin présidentiel, et au moment où l’évocation de cette réforme resurgit, il est légitime de dresser le profil sociodémographique et politique des électeurs qui s’apprêtent à voter blanc.


Les difficultés méthodologiques d’appréhension du vote blanc

Cette tentative se heurte cependant à des problèmes méthodologiques importants.

D’abord, le questionnaire utilisé dans le cadre des sondages d’intentions de vote ne permet pas d’identifier clairement les réponses des électeurs tentés par le vote blanc. A la question « Si dimanche prochain devait se dérouler le premier tour de l’élection présidentielle, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? », les interviewés ont la possibilité de répondre « Vous voteriez blanc ou nul ». Cette réponse imparfaite contrevient aux règles élémentaires de la rédaction de questionnaire, dans la mesure où elle renvoie à deux comportements distincts : l’analyste se trouve dans l’impossibilité de séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire le vote blanc du vote nul. Comment dès lors expliquer le recours à cette question, traditionnellement utilisée par les instituts de sondage ? La question d’intention de vote cherche à reproduire le plus fidèlement la configuration du vote. Elle duplique ainsi l’indifférenciation entre les votes blancs et nuls opérée par les pouvoirs publics. Surtout, elle vise à mesurer les votes exprimés. Les résultats n'établissent jamais la proportion d'électeurs qui s'apprêtent à voter blanc : ils sont toujours présentés sur la base des personnes interrogées exprimant un choix entre les différents candidats.

Deuxième difficulté méthodologique, la faiblesse des effectifs de personnes interrogées envisageant le vote blanc. Un échantillon national représentatif de 1000 personnes comprend environ une dizaine de personnes déclarant vouloir voter « blanc ou nul », soit un nombre non significatif. Pour approcher le vote blanc, la meilleure technique consiste à isoler et cumuler les réponses « Vous voteriez blanc ou nul » dans une série d’enquêtes d’intention de vote. Depuis janvier 2012 et jusqu’au second tour de l’élection présidentielle, l’Ifop réalise une intention de vote quotidienne, dans le cadre d’un sondage glissant réalisé en ligne[3]. Ce dispositif de grande ampleur permet de disposer de plusieurs milliers d'interviews. En cumulant les données recueillies entre le 12 janvier et le 23 mars 2012, un échantillon de 18554 personnes a ainsi été constitué. Au sein de cet échantillon, ont été identifiés 1927 électeurs qui déclarent avoir l’intention de « voter blanc ou nul » au premier tour de la présidentielle de 2012. La taille de ce sous-échantillon offre la possibilité statistique de dresser le profil de ces électeurs d’une part, et de le mettre en perspective avec celui des électeurs exprimant leur intention de voter pour un candidat, soit 15192 personnes, d’autre part.

Ce nombre d’électeurs souhaitant voter blanc ou nul appelle une remarque immédiate : il correspond à 11% des votants, soit un taux très largement supérieur à ceux observés habituellement (1,81% en moyenne au premier tour lors des présidentielles de la Vème République). L’hypothèse d’une amplification brutale du vote blanc ne paraît pas pertinente pour expliquer ce taux, en l’absence de configuration électorale extraordinaire qui pourrait le gonfler artificiellement (comme ce fut le cas par exemple en 1969, avec l’absence de candidat de gauche au second tour. Cf. infra). Notons par ailleurs que dans notre cumul de données, le taux de personnes interrogées déclarant lors de la question d’intention de vote qu’elles « n’iraient pas voter » correspond à 2%, soit un score très éloigné de l’abstention anticipée. L’indice de participation établi par l’Ifop à partir de questions spécifiques sur la participation (et non pas à partir de la question d’intention de vote) révèle en effet que 29% des inscrits ont l’intention de ne pas aller voter au premier tour de l’élection présidentielle[4]. Par conséquent, l’hypothèse d’une sur-déclaration du vote blanc due aux abstentionnistes n’est pas exclure : plus acceptable d’un point de vue civique, la réponse « vous voteriez blanc ou nul » jouerait ainsi le rôle de prête-nom de l’abstention dans les enquêtes d’intentions de vote.

Ces obstacles doivent être présents dans la réflexion, mais ne sont pas rédhibitoires pour la méthodologie retenue (le cumul d’interviews), qui demeure, en dépit de ses imperfections, celle qui permet le mieux d’approcher le profil des électeurs tenté par le vote blanc.


Le profil socio-démographique

L’analyse de la composition de la fraction de l’électorat tenté par le vote blanc ou nul met en valeur des distorsions assez marquées par rapport à la population des électeurs exprimant un suffrage. Le profil des électeurs blancs se caractérise par une très forte sur-représentation des femmes : 67% des électeurs ayant l’intention de voter blancs ou nuls sont des femmes, contre 50% parmi les électeurs exprimant une intention de vote et 52% dans la population française. Le clivage générationnel est lui aussi particulièrement contrasté. 65% des électeurs tentés par le vote blanc ont moins de 50 ans, dont un tiers est âgé de 35 à 49 ans (32%, contre 26% des électeurs exprimant un choix). A l’inverse, la moitié des électeurs exprimant un choix est âgée de plus de 50 ans, dont 23% a plus de 65 ans, ce qui confirme le réflexe civique des seniors.

(Cliquez sur l'image pour agrandir)

En revanche, peu d’écarts de profil sont observés en ce qui concerne la présence des catégories socio-professionnelles supérieures dans l’électorat tentés par le vote blanc, qui comprend un peu moins de cadres et professions libérales (8% contre 10% parmi les électeurs exprimant un suffrage) et légèrement plus de professions intermédiaires (16% contre 14%). En revanche, parmi les catégories populaires, les ouvriers (15% contre 12%) et surtout les employés (23% contre 16%, soit 7 points d'écart) sont sur-représentés au sein des électeurs envisageant le recours au bulletin blanc. Ajoutons que 42% des électeurs intéressés par le vote blanc travaillent dans le secteur public (contre 36% des électeurs exprimant un choix) et 18% dans le secteur privé (contre 14%). Dernière différence très prononcée et en lien avec la répartition par âge des deux populations, on compte deux fois moins de retraités parmi les électeurs décidés à voter blanc (16% contre 31%).

(Cliquez sur l'image pour agrandir)

Enfin, seul point de convergence, la répartition géographique des électeurs qui envisagent le vote blanc est identique à celle des électeurs se prononçant sur l’offre électorale qui leur est proposée. 28% résident en zones rurales. 58% habitent dans des communes urbaines de province et 14% sont Franciliens.

Plus féminin, plus jeune, comprenant plus d’employés, le profil des électeurs déclarant vouloir voter blanc ne se superpose pas complètement à celui des abstentionnistes, confirmant la différence de nature entre le vote blanc et l’abstention : le rejet de l’offre électorale n’implique pas par principe le refus de la participation.


Le profil politique

Cette spécificité des électeurs envisageant le vote blanc se manifeste également à travers leur profil idéologique et politique. Dans ce domaine, l’analyse de la proximité partisane des électeurs tentés par le vote blanc est instructive. Conformément à sa nature, le vote blanc est un vote qui ne se reconnaît pas dans la structuration de l’offre électorale actuelle : 71% des électeurs tentés par le vote blanc déclarent se sentir proches d’aucune formation politique (contre seulement 17% parmi les électeurs exprimant un choix).

(Cliquez sur l'image pour agrandir)

Cet éloignement vis-à-vis des formations politiques ne semble pas devoir se réduire sous l’effet de la conjoncture électorale. Sans surprise, les électeurs tentés par le vote blanc se montrent très faiblement intéressés par l’élection présidentielle. Seuls 40% d’entre eux se déclarent intéressés par l’actualité autour de la campagne électorale, dont seulement 8% « très intéressés », alors que le niveau d’intérêt des Français s’établit à 69%[5]. Le désintérêt concerne donc une large majorité de ces électeurs (60%).

Plus qu’une indifférence structurelle, ce détachement vis-à-vis de l’élection semble ponctuel, comme le montre l’analyse de l’itinéraire politique des électeurs envisageant le vote blanc pour 2012. Un tiers d’entre eux (34%) déclarent avoir voté blanc premier tour de la présidentielle de 2007, et un quart (23%) lors du premier tour des élections régionales de 2010. Le vote blanc systématique ne concerne qu’une fraction des électeurs qui envisagent de voter blanc en 2012 : parmi ceux-ci, seuls 13% ont voté blanc lors du premier tour de la présidentielle de 2007 et des élections régionales de 2010.

Comment ces électeurs vont-ils se comporter au second tour de l’élection présidentielle ? L’intuition conduit à penser que le vote blanc du premier tour se perpétue au second. Le vote blanc peut s’analyser comme un signe d’insatisfaction à l’égard de l’offre électorale soumise au choix des électeurs. Dans le cadre d’une élection à deux tours comme l’élection présidentielle, cette insatisfaction devrait logiquement être tout aussi voire plus élevée au second tour, où l’offre par nature se réduit à un duel, qu’au premier tour. Historiquement, lors des différentes élections présidentielles de la Vème République, cette configuration a toujours été respectée. En moyenne, la proportion de vote blancs et nuls s’établit à 4,07% des votants au second tour, contre 1,81% au premier tour. Un taux de record de 6,42% a même été observé au second tour de l’élection de 1969, qui opposait Georges Pompidou à Alain Poher, deux candidats de droite.

(Cliquez sur l'image pour agrandir)

Notons cependant que, dans le cadre de l’élection présidentielle de 2012, parmi les électeurs « blancs » du premier tour, 18% voteraient pour François Hollande et 12% apporteraient leurs suffrages à Nicolas Sarkozy au second tour, tandis que 70% déclarent ignorer ce que sera leur comportement. Autrement dit, une part minoritaire mais importante des électeurs tentés par le vote blancs (30%) refuse de choisir au premier tour, mais accepte de se prononcer au second, adoptant ainsi la maxime de l’élection présidentielle : « Au premier tour, on choisit. Au second, on élimine ».



[1] Sondage Ifop réalisé pour le Parti Radical auprès d’un échantillon de 954 personnes représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par téléphone les 9 et 10 avril 1998.  

[2] Discours prononcé le samedi 25 février 2012, à Paris : « Dans le cadre de toutes les élections, le référendum instituera la reconnaissance du vote blanc car voter blanc, ce sera désormais un vote exprimé. »  

[3] Ce dispositif appelé rolling poll est une enquête d'intention de vote en continu : quotidiennement, 300 à 350 électeurs sont interrogés en ligne. La vague du jour est cumulée avec celle des deux jours précédents pour constituer un échantillon d’environ 986 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Au sein de cet échantillon est extrait un échantillon de 928 personnes inscrites sur les listes électorales. La représentativité de l'échantillon est assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne (CAWI - Computer Assisted Web Interviewing).  

[4] Sondage Ifop pour le Journal du Dimanche réalisé auprès d’un échantillon de 1005 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par téléphone du 15 au 16 mars 2012.

[5] Rolling Ifop-Fiducial pour Europe 1 et Paris Match réalisé auprès d’un échantillon de 875 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 932 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne (CAWI - Computer Assisted Web Interviewing) du 11 mars au 13 mars 2012.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !