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Comme une ombre sur la démocratie... : 38% des Français se disent en faveur d’un régime autoritaire pour réformer la France et éviter le déclin
©Reuters

Exclusif

La tentation d'un régime technocratique a nettement reculé chez les Français par rapport à il y a deux ans alors que la tentation pour un régime autoritaire, elle, reste presque la même selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Quels sont les grands enseignements de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Il y a deux enseignements principaux. D'une part, l'attirance pour un régime de nature technocratique en France demeure importante, même majoritaire (55%). Lorsque l'on parle d'un régime technocratique, nous précisons bien "des experts non élus qui feraient des réformes impopulaires mais nécessaires".

Cela traduit le fait qu'il y a toujours ce sentiment chez les Français que la société est bloquée et que, pour la débloquer, il faudrait passer outre le processus démocratique. Cette mesure a toutefois fortement décrue par rapport à celle que l'on avait faite il y a deux ans. A l'époque, 67% des Français se déclaraient tentés par l'idée. On peut expliquer ce reflux de deux manières. La première c'est que ce sentiment d'une société bloquée a perdu du terrain depuis l'élection présidentielle de 2017. L'élection d'Emmanuel Macron aurait rouvert le jeu et l'homme a fait campagne sur sa volonté de réformer le pays en dépassant les clivages politique. De ce point de vue là, sans doute que la victoire de Macron a constitué une espérance ou une solution envisageable pour une partie de la population qui s'est dit qu'il allait s'y prendre différemment par rapport à ses prédécesseurs et que les verrous structurant ou structurels de notre société allaient sauter. Du coup, le recours à un régime technocratique perd de son intérêt.

La deuxième manière d'expliquer cette chute est aussi liée à cette élection d'Emmanuel Macron qui apparaît comme un personnage nouveau avec une image qui n'était pas celle d'un politique mais plutôt d'un expert venant de la société civile. Beaucoup d'éléments de langage mis en avant par la nouvelle équipe gouvernementale font référence à ce profil et c'est aussi valable pour les membres du gouvernement. Du coup l'aspect technocratique qui ne passerait pas par la case élection perd de son intérêt car nous sommes déjà parvenus via un processus démocratique à placer aux manettes une équipe qui correspond à ce profil-là.

Quand on regarde dans le détail on s'aperçoit que l'on a un très beau dégradé gauche droite avec les gens de LFI et du PS qui sont moins enclins à ce type du régime, LREM qui est divisée à 50/50 - certainement car une partie considère que des gens "technocrates" ont été élus et que ce n'est pas la peine de passer par des processus non démocratiques quand d'autres disent que cela ne va pas assez loin.

Cette opinion est encore plus répandue chez les LR à 76%. Cela renvoie à deux choses, sans doute la déception d'avoir été battus, et ensuite l'idée que plus que jamais il faut réformer le pays mais que ces réformes sont difficiles à cause d'une multitude de blocages. On voit le dépit de ces électeurs de Fillon qui étaient sur un programme de réformes assez profondes qui a été battu et qu'il faudrait sans doute passer dans l'idée à un système de technocrates non élus.

Le Front National est à 62%. C'est intéressant dans la mesure où les leaders de ce parti fustigent toujours la technocratie. Pour cet électorat frontiste, je pense que chacun voit dans la question ce qu'il a envie d'y voir, il entend "non élu" et quand il pense aux  réformes indispensables il pense certainement aux réformes migratoires. Donc répondre à cela c'est aussi dire "nous avons conscience que nos idées sont minoritaires et pour qu'elles soient appliquées il faudrait passer par une autre méthode".

Jérôme Fourquet : Sur la question de la tentation autoritaire, nous n'avons pas la même évolution par rapport à 2015. Il est intéressant de voir que les deux items ne se comparent pas de la même manière et que l'élection de Macron, même si elle a eu un effet certain sur la tentation technocratique n'a eu aucun effet sur la tentation autoritaire. Cette tentation demeure stable mais se situe à un niveau nettement moins élevé que la première tentation. Cela étant dit il y a 38% de sondés qui se disent favorables à ce que "la direction du pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire". Un nombre important de gens sont donc tentés par cette solution et on voit ici aussi un dégradé gauche-droite qui est encore plus linéaire que sur la question précédente où il y avait un creusement entre l'électorat LR et FN. Là, un sympathisant LR sur deux se déclare favorable à l'idée et 55% du côté des sympathisants du Front national. On voit bien que le rapport à l'élection, l'autorité et l'exercice du pouvoir, constitue toujours un élément de démarcation sur l'échelle gauche droite. Quand on explique que le clivage gauche-droite a disparu, on voit bien que ce n'est pas le cas sur ce type de questions. On voit des différences importantes.

Deuxième point à souligner, de la même façon dont on relativise la pérennité du clivage gauche droite pour, par exemple défendre l'idée qu'il y a des convergences entre la radicalité de gauche et celle de droite, on voit très clairement que là-dessus il y a des écarts majeurs entre les aspirations de l'électorat FN et Insoumis. On parle de tentation tribunitienne, d'un césarisme de gauche pour Mélenchon et on voit que son électorat est très majoritairement attaché à l'importance du scrutin. Il n'y a pas d'appétence pour un césarisme de gauche révolutionnaire aujourd'hui à gauche puisque ce n'est que 21% de l'électorat qui est tenté par l'instauration d'un système autoritaire.

Cette tentation autoritaire est-t-elle à interpréter come une crise de l'efficacité des pouvoirs publics ou est-ce qu'il faut plutôt y voir une profonde fatigue de la démocratie qui se manifeste dans un monde qui apparaît comme étant de plus en plus autoritaire ?

Jérôme Fourquet : C'est en partie une crise du résultat qui peut expliquer la tentation technocratique qui est très forte. Quand on regarde comment cela se structure politiquement, on voit que cette tentation autoritaire exprime aussi des penchants autoritaires qui sont plus répandus dans certaines cultures politiques. Ce n'est pas que le dérivé de quelque chose c'est une réalité en soi qui peut s'alimenter, se nourrir par le contexte actuel qui est anxiogène. A la fois sur le plan intérieur avec le terrorisme et la question migratoire mais aussi sur le plan extérieur dans un contexte d'incertitude géopolitique.

Face à cela, il y a une partie importante de l'électorat qui dit qu'on serait mieux armés si on avait un pouvoir autoritaire fort qui permettrait de faire face à Poutine par exemple mais aussi capable d'assurer l'ordre dans une société en proie à une série de tensions. 

Comment expliquer ce constat d'un recul de la tentation d'un  régime technocratique ?

Edouard Husson : La technocratie, c'est l'Etat du XXè siècle. Littéralement, il s'agit bien du pouvoir des techniciens, des experts. Les historiens en ont bien identifié les origines dans la France des années 1930. La technocratie, c'est un régime d'administration qui correspond à la deuxième révolution industrielle, celle qui naît avec le pétrole et l'électricité dans le dernier tiers du XIXè siècle. C'est l'époque des très grandes entreprises, de la hiérarchisation et de la centralisation forte des structures. La technocratie est à l'Etat ce que le management est aux entreprises du XXè siècle. Les spécialistes de sciences sociales ont décrit ce moment où le pouvoir des actionnaires diminue et celui de la bureaucratie d'entreprise augmente. Les années 1870-1970  représentent aussi nun siècle de mise en cause de la démocratie, dont les fascismes et les communismes sont l'expression la plus spectaculaire. Dans les années 1970 commence ce qu'on appelle la "troisième révolution industrielle"; c'est essentiellement et d'abord une révolution de l'information. Les capacités de stockage et de diffusion de l'information deviennent telles que l'intérêt des organisations centralisées diminue, le nombre des secteurs dans lequel l'Etat intervient est remis en cause. Margaret Thatcher et Ronald Reagan lancent l'ère des privatisations. Mais il y a une tendance bien plus importante, bien décrite par les sciences sociales: la diminution de la taille moyenne des entreprises; la remontée en influence de l'entrepreneur et l'actionnaire et la baisse d'influence du manager ou du technocrate. 

Tous les Etats, toutes les sociétés n'ont pas pris ce tournant au même rythme. La France se caractérise par une résistance marquée de la technocratie aux tendances de l'époque.  Les technocrates français ont trouvé dans la construction européenne un moyen de prolonger leur emprise sur la société française alors que c'était plutôt leur déclin qui était annoncé. Le tournant de 1983 a rarement été interprété pour ce qu'il était véritablement: un choix technocratique en faveur de l'Europe supranationale et de la mondialisation technocratiquement organisée; alors que le sens de l'époque était dans le réveil de la démocratie, la décentralisation et l'avènement d'un nouvel entrepreneuriat. La montée de l'abstention et du populisme ne s'expliquent pas autrement que par le décalage croissant entre la domination d'une technocratie qui de fausse alternance en cohabitation entend maintenir le cap d'une poilitique qui ne doit pas être structurée en termes d'alternatives. Le paradoxe, c'est que les dysfonctionnements de la démocratie, largement liés au règne des experts, renforcent dans un premier temps l'idée selon laquelle l'intervention des experts est légitime, dans un raisonnement tautologique. 

Le fait le plus étonnant, lorsque l'on regarde les résultats du sondage, en 2015 comme en 2017, c'est le fait que plus on va vers la droite de l'échiquier politique plus la technocratie est plébiscitée. Le Front National, parti populiste, est en même temps le plus fasciné par les experts. Votre sondage montre une baisse, et même une chute, en deux ans, du prestige de la technocratie, qui correspond à l'esprit de l'époque, même si la France y entre avec un délai; mais la baisse, qui concerne tous les courants politiques, ne remet pas en cause l'asymétrie droite/gauche. Il semblerait qu'être de droite dans la France de 2017, c'est rester plus fasciné par le règne des experts.  

Au contraire la tentation autoritaire elle n'a baissé que de deux points. Comment explique-t-on cette tentation ? Crise de l'efficacité des pouvoirs publics ou profonde fatigue de la démocratie dans un monde qui semble de plus en plus autoritaire ? 

Edouard Husson : Il faut bien souligner une différence: la tentation autoritaire était dès le sondage de 2015 bien inférieure à la tentation technocratique. En fait, les Français se sentent bien dans les institutions de la Vè République, où un président puissant semble bien allier la démocratie et la technocratie. Evidemment, on voit bien le pouvoir d'attraction d'un Sarkozy ou d'un Macron, à la personnalité forte. A l'inverse, on peut supposer que, le côté "Flamby" est ce qui a coûté le plus cher à Hollande au point de l'empêcher de se représenter. 

Je voudrais cependant, si vous le voulez bien, nuancer votre appréciation de ce qui se passe dans le monde. Je ne crois pas que l'on assite à une "profonde fatigue de la démocratie dans un monde qui semble de plus en plus autoritaire". Le monde est traversé de tendances contradictoires. Nous évoquions à l'instant la construction européenne comme ayant prolongé la durée de vie du règne des experts bien au-delà de leur fin annoncée par la révolution informatique et l'apparition d'internet. L'hypertrophie du complexe militaro-industriel américain et le réseau des grandes organisations internationales ont joué un rôle équivalent partout où les Etats-Unis voulaient établir leur influence. Il ne faudrait pas, pourtant, en tirer des conséquences erronées concernant le reste du monde. Le régime à la Napoléon III de Poutine est largement une réaction de la société russe aux pressions exercées par l'Occident sur la Russie depuis les années 1990. Si l'Iran n'avait pas été mis aussi longtemps au ban des nations, la transition du totalitarisme vers la démocratie serait plus rapide. Et l'on sent bien comme la Chine est à la fois fière et inquiète de constater l'augmentation rapide des effectifs des classes moyennes: elles sont le vivier dans lequel puisera une révolution chinoise. 

Pour revenir au coeur de la question, les votes britannique et amériicain de l'année dernière donnent bien des indications convvergentes avec l'enquête dont nous parlons concernant la société française. Le Brexit l'a emporté largement par rejet du 'règne des experts" bruxellois.  Quant à Trump, son élection reflète le besoin d'autorité en même temps que le recul de la confiance mise dans les experts. 

Le sondage que nous commentons donne des indications très claires à tous ceux qui exercent ou veulent exercer des responsabilités politiques dans notre pays. On comprend par exemple qu'Emmanuel Macron puisse s'appuyer sur la droite quand la gauche lui fait défaut: l'électorat de droite est a priori plus fasciné par le côté "expert" et la forte personnalité de l'actuel président de la République que l'électorat de gauche. Mais ceci nous dit ausi quelque chose sur la droite française, qui semble rester largement à l'écart des grandes évolutions du siècle. 

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