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L’explosion de la dette des ménages britanniques est-elle l’étincelle qui provoquera la prochaine grande crise financière ?
©Reuters

Explosif

C'est peut-être l'angle mort du Brexit : une dette des ménages exhorbitante et peu de raison d'être rassuré sur les conséquences qu'un tel trou dans le portefeuilles des Britanniques pourrait avoir...

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Pourquoi la dette des Britanniques inquiète-t-elle les investisseurs au point de voir le FMI adresser un avertissement au Royaume-Uni, parlant même de risque de crise économique ?

Jean-Paul Betbèze : En fait, le FMI vient d’adresser un avertissement au monde entier dans son Global Financial Stability Report d’octobre, et les Britanniques l’ont largement pris pour eux ! Le Rapport sur la stabilité financière dans le monde, que le FMI vient en effet de publier, combine le chaud et le froid. Le chaud, c’est l’idée que la situation économique s’améliore partout. « Le renforcement du système financier mondial se poursuit grâce aux politiques d'accompagnement exceptionnelles, à l'amélioration des réglementations et à la reprise conjoncturelle de la croissance. La solidité des banques dans bien des pays avancés continue de s'améliorer… » écrit ainsi le FMI. 

Le froid suit aussitôt. « Mais… la poursuite de la politique monétaire accommodante - nécessaire pour soutenir l'activité et stimuler l'inflation - entraîne aussi un accroissement de la valeur des actifs et de l'effet de levier », ajoute en effet l’institution. Il a bien fallu des politiques monétaires très accommodantes, avec des achats massifs de bons du trésor par les banques centrales, pour éviter le pire, puis pour faire repartir la machine. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’en général la reprise est assez faible, notamment dans les pays avancés, toujours peu inflationniste, avec en même temps une montée de la dette publique (en partie aux mains de la Banque centrale) et de plus en plus de la dette privée. Les taux bas ont ainsi permis une augmentation des endettements globaux, publics et privés, chez les entreprises et les ménages, dont certains sont et restent fragiles. La reprise pourrait ainsi dérailler en cas de montée des taux. Les politiques monétaires actuelles, qui ont beaucoup fait baisser les taux, ont aussi caché l’importance des risques pris par certains, dans leur quête éperdue du rendement. Si le risque a ainsi pu baisser dans les banques, il est monté dans les entreprises et surtout chez les ménages. L’endettement des ménages, pour le logement ou le crédit à la consommation soutient ainsi la croissance à court terme, mais il accroît d’autant les risques bancaires et boursiers en cas de retournement.

C’est alors que cet avertissement sonne fort à Londres. L’endettement logement y atteint en effet l’équivalent d’une année de revenu des ménages, plus la dette hors logement, qui atteint 40% de leur revenu, selon la Banque d’Angleterre (Financial Stability Report, juin 2017). Au total, la dette des ménages anglais atteint 1,4 fois leur revenu annuel, contre 1,5 fois au maximum de l’avant-crise, en 2007. Depuis, le désendettement a à peine eu lieu. Il repart depuis le Brexit. Et les études de la Banque d’Angleterre montrent que les pays où les ménages sont relativement trop endettés par rapport à leur consommation, s’exposent à de plus fortes chutes de consommation en cas de retournement conjoncturel ! Message FMI plus message de la Banque d’Angleterre : la surprise ne sera pas permise.

Quel serait le point de rupture qui permettrait de voir cet endettement dégénérer en crise économique aujourd'hui ? Avec quel effet sur l'Europe ?

La poursuite de la croissance britannique a un contenu surtout politique, à la suite du Brexit. En effet, tout doit être fait pour soutenir la croissance au Royaume-Uni. D’abord, le Brexit, qui devait conduire à une crise, a mené au contraire à une dépréciation de la livre de 15%. Cette dépréciation a soutenu l’export et freiné l’importation, donc la croissance. On se doute que cette dévaluation importe de l’inflation, à 2,9% d’inflation aujourd’hui, contre un objectif de 2%, et avec un taux d’intérêt à court terme à 0,25% et à 1,4% pour le rendement public à 10 ans. La Banque centrale a donc laissé ses taux très bas, fait en sorte de ne pas soutenir la Livre (la croissance toujours), pendant que les revenus réels baissaient (-0,8%). Dans ce contexte, les ménages britanniques freinent leur épargne, s’endettent pour le logement et surtout pour la consommation. La dette est en fait la réponse des ménages britanniques voulant maintenir leur niveau de vie par rapport au Brexit. Le Royaume-Uni fait ainsi face à un double risque : le Brexit lui-même, et la dette des ménages, qui en est le reflet.

Le point de rupture est donc double : celui de la normalisation des taux d’intérêt, lente, par la Banque d’Angleterre, celui des conditions de mise en place du Brexit. Evidemment, un fort ralentissement de l’économie sera interprété comme un échec du Brexit ! Qu’il s’agira (bien sûr) d’attribuer à l’Europe.

Quelles sont les solutions qui s'offrent à l’exécutif britannique aujourd'hui ?

Il paraît aujourd’hui dans l’impasse. Il demande du temps, ou demandait du temps, et acceptait le principe de payer pour ses engagements : projets européens en cours, salaires et retraites. La presse britannique parlait ainsi de 20 milliards d’euros, chiffre démenti par les autorités, alors que l’Europe parle d’un minimum de 60 milliards, pouvant aller à 100. Evidemment le bill est symbolique et met Theresa May en risque. Le temps passe et presse. 

Les banques et organismes financiers commencent des migrations et déposent leurs nouveaux statuts sur le continent. Les vrais problèmes concernent les salariés non anglais (quelle situation, quelles lois…), les chaînes de production industrielles (dans l’aviation par exemple), la frontière avec l’Irlande et les accords de défense et d’échanges d’informations sensibles.

Une politique du pire affaiblirait gravement le RU, et il n’est pas impossible qu’il préfère un grand bargain à la logique de négociation actuellement en cours, où les aspects géopolitiques sont sous le boisseau. D’où sa lenteur. Mais la position de Theresa May s’effrite, notamment dans son propre parti, surtout si la situation économique continue d’empirer. Le jeu du Brexit est un jeu perdant-perdant, et il semble bien que les ajustements et échanges politiques seront décisifs. Mais on comprend que chacun devra redéfinir ses objectifs, notamment l’Europe, et les liens entre eux. Les inquiétudes actuelles sur la dette et l’économie sont la preuve d’une fragilité perçue. Pas sûr qu’elles suffisent. Le tir à la corde continue.

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