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Parti radicalisé, passerelles avec l’extrême-droite... : les définitions traditionnelles de ce qu’est la droite (et de là où elle s’arrête) ont-elles encore un sens à l’ère de la mondialisation ?
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Alors que les Républicains se choisissent un président, les inquiétudes de possibles dérives sont vives. Mais les schémas du monde d’avant peuvent-ils décrire les défis d’aujourd’hui ?

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot est historien et directeur de l'Institut d'histoire sociale

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Atlantico :  Dans un entretien pour l'opinion lundi 09 octobre, Laurent Wauquiez a notamment déclaré : « Je connais par cœur la musique, car on l’a déjà jouée à Nicolas Sarkozy. Pour décrédibiliser la droite, on clame tout haut que c’est l’extrême droite et, emballez c’est pesé, dans la sphère médiatique ». Dans le Figaro, Gérald Darmanin, qui souhaite rester chez les républicains, accuse de son côté Laurent Wauquiez d’ouvrir des passerelles idéologiques entre la droite et l’extrême droite.  Au-delà du cas de Laurent Wauquiez, la droite ne devrait-elle pas réexaminer le cas de l’extrême droite non pas par complaisance pour ce le parti, mais afin de prendre en compte le contexte politique contemporain ? Hormis, le rapport à la légalité républicaine, ces sujets ne sont-ils pas devenus au cœur des défis posés par la mondialisation et la crise migratoires à l’Europe et à la France ? Comment la droite peut-elle s'inscrire dans une pensée républicaine et démocratique tout en prenant en compte le monde d'aujourd'hui ?

Maxime Tandonnet Je suis de l’avis que « la droite » devrait faire sa révolution culturelle et repenser de fond en comble la politique, le sens de la vie politique. 2017 a donné lieu à un renouvellement de la classe politique. Un grand coup de balai a été donné par l’électorat. Un big bang s’est produit.  Les anciens visages ont disparu. Une nouvelle génération est arrivée au pouvoir. Ce fut le tour de force de LREM de récupérer ce mouvement à son profit. Pourtant, rien n’a vraiment changé sur le fond des choses. On le voit bien : personnalisation médiatique du pouvoir à outrance, tyrannie de la communication et des polémiques, narcissisme, obsession des sondages, pensée unique dominante, sur l’Europe, les phénomènes migratoires, l’autorité de l’Etat. Franchement, le débat d’idées n’existe plus.  Le pays semble anesthésié, indifférent, désabusé, comme revenu de tout. Le message de la droite, ou des « républicains modérés » doit être de réhabiliter la politique en la ramenant aux seules réalités, au goût de la vérité et du débat démocratique, sur tous les sujets, au sens de l’action et du gouvernement pour le bien commun. Bref, arracher la politique aux limbes de la communication à outrance, sous toutes ses formes, pour la ramener sur la terre ferme en rouvrant  un débat libre et démocratique, sans tabous, sur les grands sujets de fond, l’Europe, les frontières, la démographie, les banlieues, la politique industrielle, l’énergie, l’avenir de l’école, la sécurité des biens et des personnes, notamment face au terrorisme, l’unité nationale contre le communautarisme, voilà quelle est la vocation de la droite aujourd’hui. 

Pierre Rigoulot :Réexaminer le problème de l’extrême-droite n’est pas seulement d’une grande utilité pour la droite sur le plan tactique. C’est indispensable aussi sur le plan stratégique.

Sur le plan tactique parce que des millions d’électeurs mécontents, inquiets, insatisfaits de ce que leur ont offert récemment les partis classiques,mais déçus aussi par leFront National, sont en déshérence. Je ne vois pas en quoi il ne faudrait pas ouvrir des passerelles idéologiques. Tout dépend dans quel sens on les prend, ces passerelles, après tout  !Si d’anciens électeurs du FN se tournent vers la droite classique, il faut s’en réjouir, c’est tout. A condition, bien sûr, que cette droite classique reste globalement ce qu’elle est, il est important qu’elle montre à ces gens déçus par l’agressivité d’une Marine Le Pen qu’ils trouveront avec la droite classique un cadre politique dans lequel on ne confond pas adversaire et ennemi. Et il faut leur montrer qu’avec la droite classique, la référence nationale reste entière sans pour autant vouloir mettre à bas l’Europe. Ce sont là deux passerelles importantes !

Réexaminer  le  problème de l’extrême droite va beaucoup plus loin. La place non négligeable qu’elle occupe maintenant dans le paysage politique, en France et ailleurs, montre que certains problèmes n’ont pas été réglés de manière satisfaisante par les autres partis. L’extrême droite s’en prend à Bruxelles et à des centres de décision dont nous sommes éloignés géographiquement et affectivement. Ce discours a trouvé des échos parce que les gens ont besoin de souveraineté, d’appartenance à un groupe qui fasse corps imaginairement avec les centres de décisions. Il n’y a pas (en tout cas pas encore) de souveraineté européenne. Il est normal que des gens aspirant à faire corps avec le centre de décision, à se sentir impliqués et responsables, rejettent l’Union européenne vu la façon dont elle fonctionne. Voilà ce que nous apporte une réflexion sérieuse sur l’extrême droite. La droite est-elle bien placée pour en tirer de bonnes conclusions ? C’est une autre affaire.

La dénonciation, j’ai presque envie de dire la phobie de l’immigration par l’extrême droite oblige aussi à réfléchir à une nouvelle approche du phénomène. C’est une réaction primaire, et un point de vue étroit mais l’un et l’autre ne sont-ils pas compréhensibles ? La France, c’est un certain nombre de lois et de règlements. Mais c’est également un mode de vie que nous n’avons aucune raison d’abandonner, même s’il choque certains nouveaux arrivants. La France, c’est encore un type de scolarité que nous devons garderet nous devons aider ceux qui n’osent plus parler de Darwin, des Croisades ou de la Shoahde manière mesurée au collège. Il y a un combat intellectuel à mener, à l’école notamment, pour rendre la démocratie, la démocratie française notamment, attrayante. Voilà à quoi mène une réflexion sur l’extrême droite. Mon conseil n’est d’ailleurs pas seulement valable pour la droite qui se reconnaît dans Wauquiez mais pour toutes les forces politiques.

Historiquement, l’extrême droite, c’est la tentation pour des régimes plus autoritaires voire même le renoncement à La République.  C'est aussi le refus de l’immigration ou de la diversité par principe. Est-ce toujours le cas ? (L’extrême droite, c’est aussi le rejet de l’Europe et le rejet de la finance « apatride »…) concrètement, qu’est-ce que l’extrême droite aujourd’hui ? Quels propos peuvent correspondre à des passerelles effectives vers l’extrême droite ? 

Pierre Rigoulot : L’extrême-droite, vous en rappelez bien les thématiques préférées, défend l’idée d’une société étroitement unie, d’une souveraineté nationale non négociable face à des pouvoirs qui lui semblent artificiels comme l’Europe (encore que l’Europe, sa monnaie et la complémentarité qu’elle institue sont des faits contre lesquels de nombreux représentants de ce courant n’ont guère envie d’entrer en guerre : une certaine utilité pratique est reconnue). Elle veut un gouvernement de type autoritaire avec une justice plus sévère.  Un parti de droite trouvera inévitablement des échos dans l’extrême-droite si elle lance des passerelles comme la dénonciation des groupes qui font passer la lutte des classes avant l’intérêt national, le refus de l’immigration illégale ou clandestine,  ou la critique de la lourdeur voire de l’opacité des institutions européennes. Voilà encore des passerelles respectables !

Maxime Tandonnet : Le problème de la notion d’extrême droite, c’est qu’elle a deux sens aujourd’hui. D’une part, ce terme sert à diaboliser tout ce qui ne coïncide pas avec l’idéologie dominante, fondée sur l’individu-roi, le libre arbitre individuel absolu, l’argent comme valeur suprême, le rejet de l’autorité, de la nation, des frontières. D’autre part, la notion d’extrême droite a bien une signification historique, qui reste valable : elle se fonde sur le culte du chef, la haine comme mode de fonctionnement, en jetant l’anathème sur des personnes ou des groupes de personne et en appelant à leur lynchage, la négation d’une éthique de respect d’autrui avec des comportements anomique comme la démagogie, la calomnie, le mensonge systématique, les manipulations, la trahison, etc. Contre Laurent Wauquiez, la notion d’extrême droite est uniquement utilisée pour le diaboliser comme elle l’est très souvent dans la vie politique française. On en arrive à banaliser la notion d’extrême droite qui ne devrait s’appliquer qu’à des situations bien précises : culte du chef, discours de haine contre des personnes ou des groupes, comportements anomiques caractérisés (violence, mensonges, démagogie, calomnie, trahison, etc.) Les notions d’extrême droite et d’extrême gauche se rejoignent d’ailleurs à bien des égards… 

À l’inverse, privilégier un discours identitaire tout en laissant de côté les questions économiques ou les questions de gestion de la France ne fait-elle pas basculer Laurent Wauquiez vers une forme de populisme ?

Maxime Tandonnet : Il est bien évident que la maîtrise de l’immigration n‘est pas un concept d’extrême droite, en aucun cas. Sinon, quasiment tous les ministres de l’Intérieur depuis les années 1990 seraient d’extrême droite. Il faut faire en sorte que les flux migratoires soient conformes aux capacités d’accueil du pays sur le plan de l’emploi, du logement, des services sociaux,  et s’assurer que les nouveaux arrivants pourront vivre dignement tout en aidant au développement des pays d’origine. En quoi une telle politique serait-elle d’extrême droite ? Par ailleurs, les sondages (CEVIPOF 2017), montrent que 70% des Français se sentent avant tout Français, davantage Français qu’Européens ou que résidants de leur région. Tenir compte de la fierté d’être Français n’est évidemment pas non plus un concept d’extrême droite. Le problème de la droite, ou des républicains modérés, c’est de ne plus se laisser intimider par l’accusation d’extrême droite qui est une manière de vouloir les faire taire ou les obliger à se conformer à l’idéologie dominante, la pensée unique et de rentrer dans le rang. Le terme de populiste est quasiment équivalent, comme concept diabolisateur, à celui d’extrême droite, de réactionnaire ou de fasciste, ce dernier étant un peu démodé en ce moment. On en revient à une idée ancienne selon laquelle le peuple, serait une notion négative. Ainsi les adversaires du suffrage universel, en 1850, dénonçaient la « vile multitude » pour tenter de l’abolir. Pourtant, tenir compte de ce que pense le peuple, la nation, sur les grands sujets du moment, aux termes de débats où toutes les idées peuvent s’exprimer ,cela n’a rien de choquant et cela s’appelle la démocratie. Si la droite, ou plutôt, les républicains modérés devaient avoir un mot d’ordre, c’est celui de démocratie à refonder.  

Pierre Rigoulot :C’est une facilité dans laquelle il ne devrait pas tomber. Les gens ont besoin d’être fiers de leur identité, de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, c’est vrai et c’est très important.  S’il s’en tenait là, il risquerait en effet de tomber dans une sorte de populisme. Mais on n’oublie pas longtemps les questions économiques et celles qui touchent à la gestion du pays. Ce sont ces questions qui nous rattrapent ! Mieux : il faut paraître les dominer. Encore une leçon très involontaire de l’extrême droite dans notre pays. Mme  Le Pen a payé très cher ses hésitations sur l’euro lors du fameux débat des présidentielles contre Emmanuel Macron…

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