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Entre mondialisation et crise des migrants, l’attachement à “l’Heimat” fait son grand retour en Allemagne
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Heima sweet heimat

Après avoir longtemps ignoré l'aile droite de son parti, Angela Merkel fait face à une montée du conservatisme importante en Allemagne. Et les premiers effets s'en font ressentir.

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico.fr : Avant de constituer son nouveau gouvernement, Angela Merkel vient d'accepter de limiter à 200 000 par an le nombre de réfugiés pour répondre aux exigences conservatrices de son parti. Le concept de "Heimat" (patrie) semble bénéficier d'une renaissance acquise sur une anxiété croissante sur la migration et la mondialisation. En quoi ce compromis sur l'immigration est-il révélateur de ce phénomène ?

Jérôme Vaillant : En raison de la défection du SPD qui a fait le choix de s’installer dans l’opposition, Angela Merkel a accepté le principe de consultations avec le parti libéral (FDP) et les Verts en vue de négocier avec eux un contrat de gouvernement porté par une majorité aux couleurs de la Jamaïque (noir pour les chrétiens-démocrates, jaune pour les libéraux et vert pour les Verts). Mais elle savait que de telles consultations n’avaient de sens si elle réglait au préalable le différend qui l’oppose depuis des mois au parti frère bavarois, la CSU, et à son président Horst Seehofer. Libéraux et Verts attendaient d’ailleurs des chrétiens-démocrates qu’ils se mettent d’accord sur une position commune avant d’engager des pourparlers.

Au risque de mécontenter fortement les Verts qui ne veulent pas entendre parler de seuil-plafond pour le nombre de réfugiés à laisser entrer à l’avenir en Allemagne, Angela Merkel a trouvé dimanche soir un terrain d’entente avec la CSU de Horst Seehofer qui ne voulait pas renoncer à un seuil plafond (en allemand Obergrenze) de 200.000. Les délégations des deux partis frères qui forment au Bundestag un groupe parlementaire commun, ont trouvé l’habillage qui permet à la CDU comme à la CSU d’avoir le sentiment de ne s’être pas reniée, même si, à vrai dire, l’habillage apparaît passablement artificiel. Le terme de Obergrenze n’est pas utilisé et le seuil de 200.000 réfugiés par an connaît une exception de choix puisque, au nom du droit d’asile garanti par la constitution allemande, il peut y être dérogé en cas de situation exceptionnelle telle qu’un afflux imprévu de réfugiés, vérifié par le Bundestag. CDU et CSU sont par ailleurs d’accord pour intervenir dans les pays d’origine des réfugiés pour empêcher leur départ en combattant sur place les raisons conduisant au départ

Il s’agit d’un accord à la fois tactique et stratégique pour aboutir à la formation d’une coalition de gouvernement aux couleurs de la Jamaïque, par lequel Angela Merkel reconnaît le rôle essentiel qu’a joué la crise migratoire dans le revers électoral de son parti et dans la remontée de l’AfD. Ce faisant elle reconnaît aussi la nécessité de renforcer les frontières extérieures de l’Union européenne et si besoin de l’Allemagne dans un cadre Schengen à redéfinir. La notion de Heimat n’a pas joué un grand rôle dans l’affaire, il n’a pas d’ailleurs envahi le vocabulaire politique de la chancelière.

A quel point le Heimat est-il revenu au cœur de la vie politique allemande ?

C’est Helmut Kohl, chancelier chrétien-démocrate de 1982 à 1998, qui a remis, au début des années 1980, la notion de Heimat, en même temps que celles de patrie et de patriotisme, au goût du temps alors que celle-ci avait jusqu’alors plutôt mauvaise presse à gauche en raison des relents réactionnaires voire fascistes qui y étaient attachés. Aujourd’hui, le terme de Heimat est redevenu un terme du vocabulaire courant, accepté par la gauche comme par la droite, avec quelque réticences malgré tout par la gauche, l’idée première étant qu’il ne fallait pas laisser la nation, l’amour de la patrie et die Heimat, à la droite, un terme à vrai dire difficile à traduire, qui se rapporte à la terre natale, à la « petite patrie » et renvoie à l’idée de foyer, d’un toit familial assurant sécurité et protection. C’est dans ces multiples acceptions que l’on peut voir un retour de la Heimat ces dernières années en Allemagne.

La montée en puissance du parti d’extrême droite, l’AFD, n'est pas étrangère à la prise de cette mesure de limiter le nombre de réfugiés. Quel impact les législatives ont-elles réellement eu sur la position d'Angela Merkel ?

Jérôme Vaillant : L’entrée de députés AfD au Bundestag, attendue depuis les succès  de cette formation lors des élections régionales, en particulier dans les Länder de l’est, mais pas prévue avec cette importance de 12,6% des voix provoque en Allemagne une gauchisation des sociaux-démocrates qui envisagent, s’il faut en croire la nouvelle présidente du groupe parlementaire SPD, Andrea Nahles, de coopérer avec La Gauche (die Linke) dans l’opposition, et une droitisation des chrétiens-démocrates, réclamée à cors et à cris par la CSU mais aussi par l’aile conservatrice de la CDU et plus particulièrement par des ministres-présidents de Land tels que Stanislaw Tillich (Saxe) et Rainer Haseloff (Saxe-Anhalt). C’est pour eux l’occasion de ramener la CDU-CSU au centre droit dans la mesure où la social-démocratisation du parti par Angela Merkel l’aurait, selon eux, conduit trop à gauche et pour empêcher que s’établisse durablement à sa droite un parti d’extrême droite telle que l’AfD. C’est d’ailleurs le projet avoué de Frauke Petry, présidente de ce parti qu’elle vient cependant de quitter, d’occuper le terrain à droite de la CDU pour se profiler comme une nouvelle CSU mais étendue à l’ensemble du territoire fédéral, plus conservatrice et plus nationale que la CDU elle-même. En quittant l’AfD en signe de protestation contre la radicalisation d’extrême droite de ce parti, Petry court le risque de favoriser la radicalisation de l’AfD et d’y faire croître les tendances néo-nazies qui ne cessent de vouloir l’influencer.

Les résultats du 24 septembre dernier conduisent tous les partis à revoir leur position sur la question migratoire, Mme Merkel ayant déjà abandonné depuis des mois sa politique de bienvenue au profit d’une politique visant à réduire l’immigration dont les termes sont repris dans l’accord entre CDU et CSU. C’est pour tous les partis la tentative de reprendre à l’AfD les électeurs qui n’ont voté pour faire part de leur sentiment de ne pas être suffisamment écouté et de manifester ainsi leur protestation.

Sur quels autres sujets la chancelière allemande risque de devoir céder à l'avenir?

Jérôme Vaillant : A la tête de toute coalition gouvernementale, un chancelier ou une chancelière est, malgré l’autorité que lui confère la constitution en affirmant que c’est lui/elle qui détermine la politique du gouvernement fédéral, d’abord un modérateur entre tendances plus ou moins convergentes ou divergentes qui composent son gouvernement. On a pu voir ainsi Mme Merkel être plus libérale à l’époque où elle conduisait une coalition avec les libéraux (2009-2013) et plus social-démocrate quand elle conduisait une grande coalition (2005-2009 et 2013-2017). Si elle arrive à mettre sur pied une coalition composée outre des deux partis chrétiens-démocrates des libéraux et des Verts, elle sera plus que jamais auparavant dans l’obligation d’être un chef d’orchestre soucieux de rassembler et de ne pas opposer les partis gouvernementaux, sans pour autant renier à leur profit, ses compétences de base. Cela implique l’art du compromis, un art qui correspond au système institutionnel allemand et à la nature profonde de la chancelière.

En trouvant un premier accord avec la CSU sur une question essentielle pour le devenir du futur gouvernement, Angela Merkel sait qu’elle n’a pas encore le soutien des Verts qui ont déjà vivement critiqué cet accord sans toutefois le condamner définitivement. Elle doit s’attendre à des oppositions de la part de ces derniers sur les questions environnementales (entre autres, l’avenir des voitures diesel) et de la part des libéraux sur les questions budgétaires et la refondation de l’Europe. Chaque parti cherchera lors des négociations à faire passer autant que possible sa politique tout en se sachant obligé d’avoir des égards pour ce qui paraitra insupportable à ses partenaires. L’accord qui interviendra - s’il doit intervenir - pour former une coalition aux couleurs de la Jamaïque procédera d’un subtil compromis entre les positions et les postures des partis la composant. Et il n’aboutira que si elle a le sentiment de disposer d’une majorité fiable pour être élue chancelière par le Bundestag sur la base d’un contrat de gouvernement accepté par tous puisque il sera censé engager les partis de la coalition pour la durée d’une législature.

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