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Arnaud Ardoin : "Jacques Chirac est un homme qui a souvent renoncé à ses rêves"
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Biographe

Pour Arnaud Ardouin, qui publie cette semaine un ouvrage sur Jacques Chirac, l'ancien président était "à la fois pétri de liberté, totalement impertinent, et en même temps, totalement habité par le désir du pouvoir et de la réussite".

Arnaud Ardoin

Arnaud Ardoin

Journaliste reporter de télévision sur la Chaîne Parlementaire Assemblée Nationale (LCP-AN), Arnaud Ardoin anime et coordonne l’émission quotidienne « Ça vous regarde » traitant de tous les sujets de société. Après être passé par France 2, France 3, M6, il a aussi réalisé plusieurs documentaires et magazines TV.

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Atlantico : Dans votre livre, vous revenez sur le parcours de Jacques Chirac, une des personnalités politiques préférées des Français aujourd'hui. Mais derrière le vernis, sa véritable nature semble difficile à définir. Vous le décrivez d'ailleurs comme un "paradoxe permanent". Qui est le vrai Chirac ?

Arnaud Ardoin : Le vrai Chirac, c'est véritablement Jacques Toubon qui le définit le mieux. C'est "l'homme aux trois enveloppes" : l'enveloppe politique qui fait presque de lui un "clown" de la scène politique, le bateleur, le "personnage", l'homme du terroir, le grand bourgeois. La seconde est celle du professionnel, de l'homme consciencieux, de celui qui travaille. Malgré son image, il restait un homme très exigeant avec lui-même et avec les autres. Et le troisième homme est l'homme secret, l'homme psychologique et mystique, et là on touche à son noyau dur. C'est la partie la plus difficile à atteindre. J'ai essayé de la découvrir, de percer cette carapace, et je ne suis pas absolument certain d'avoir réussi ! L'homme politique a été disséqué sous toutes les coutures, on l'a aussi étudié sur le plan de sa relation à sa femme, il y a eu quelques ouvrages sur cette question. De mon côté, je me suis attaché à décrire l'homme dans sa dimension spirituelle et humaine, qui, à mon avis eu du sens dans son attitude politique. Le fait que cela soit un homme qui a souvent renoncé à ses rêves - le rêve d'être une sorte d'aventurier - cela a souvent eu une incidence dans son action politique. On a souvent dit de lui que c'était un homme qui ne savait pas trancher. Il était comme ça. Son attitude intime rejaillissait dans sa vie politique. C'était un homme angoissé, qui avait un vrai problème avec sa propre identité. Cela explique d'ailleurs les liens qu'il a entretenu avec les femmes, ce rapport boulimique, consumériste. Boulimique, car il se "remplit de nourriture". Un boulimique est quelqu'un qui comble ses angoisses par la nourriture. Jacques Chirac a, à mon avis, comblé ses angoisses par la "consommation" de femmes.

Pour Jacques Chirac, finir président, n'était-ce pas une sorte de déception par rapport à sa vocation première d'aventurier ?

C'est une question que je me suis posé. Il ne l'a jamais verbalisé le fait d'être déçu. Il y a eu tellement de compensations et de "joies" professionnelles. Mais c'est là tout le paradoxe de Jacques Chirac, c'est un homme qui a rêvé d'autre chose et qui finalement est devenu président. Cela peut paraître totalement bizarre, mais c'est un homme aux désirs contradictoires. Il est à la fois pétri de liberté, totalement impertinent, et en même temps, il est totalement habité par le désir du pouvoir et de la réussite. Je pense, sans faire de psychanalyse de bas étage, que cela tient de sa structure familiale. Chirac a, de toute évidence, subi la mort de sa sœur, qui s'appelait Jacqueline. Lui, on va l'appeler Jacques. Et il va être emprisonné par la mort de ce bébé. Sa maman va le sur-couver, jusqu'à l'étouffer. Elle en fait un enfant gâté -qu'il sera d'ailleurs un peu toute sa vie. D'un autre côté, son père était extrêmement sévère et exigent. Il y a donc cette dualité : cette volonté profonde de bien faire et de gagner –il finira président – mais il y a aussi l'envie de n'appartenir à personne, de faire ce qu'il veut. On a beaucoup étudié le Chirac sur le plan politique, mais je pense qu'il est très intéressant de mettre une grille de psychanalyse à l'homme pour obtenir un angle différent.

L'ancien chef de l'Etat a la réputation d'un séducteur impénitent. Mais au-delà des conquêtes, beaucoup de femmes ont joué un rôle stabilisateur dans sa vie. Quel était son rapport à la gent féminine ?

Sa femme Bernadette a reconnu que "les femmes valsaient". C'est un fait, Jacques Chirac a eu beaucoup de femme dans sa vie. Il y a eu beaucoup de séductions rapides, des femmes qu'il chevauche "à la hussarde". Tout cela est vrai. Mais il y a aussi ces femmes, avec qui il a construit des histoires parallèles, et avec lesquelles il est allé puiser de la confiance, de l'énergie. Elles l'ont rassuré. Il en a "consommé" énormément, pour se prouver des choses à lui-même. Chaque femme était un terrain à conquérir. C'était une manière pour lui d'être libre C'est l'intime conviction que j'ai sur cette homme. Dans les bras d'autres femmes, il échappait au carcan bourgeois, de la tradition. Et il ne faut pas oublier ce côté "Chirac l'Africain", beaucoup plus polygame que monogame, et développant une philosophie très particulière.

Si sa carrière est exceptionnellement riche, rare sont ceux qui se revendiquent aujourd'hui du "chiraquisme" à l'exception de François Baroin et de quelques autres. Quel héritage politique laissera donc Chirac ?

Objectivement, je pense que, sur le plan de l'héritage politique, en termes de courant... il ne laissera pas de traces. En revanche, il va laisser une sorte de fluide subtil, humaniste, autour de cette espèce d'amour qu'il avait pour les autres. Cette façon qu'il avait de faire de la politique d'une manière simple. Ce qu'il va ressortir surtout, c'est d'avoir dit non à la guerre en Irak. C'est cela qu'il  restera de Chirac, c'est une évidence. On gardera aussi de lui une volonté affichée de faire côtoyer toutes les cultures entres elles, une sorte d'humanisme et d'universalisme. Et puis, il restera, même si ce n'est pas un courant politique, cette idée de porter beau et haut la France. Des millions de Français ont été fiers quand il a décidé de ne pas s'engager en Irak. Car les Français se sont dits : "c'est un homme de paix, il a une sorte de clairvoyance". Il va donc plutôt laisser une attitude qu'une somme d'idées politiques. Chirac était un homme très à part. Il a été libéral un temps, avant de faire une campagne très à gauche avec la fracture sociale, puis il a croqué la pomme. Il s'est beaucoup renié sur le plan politique. Cela dit, il avait un fil conducteur : les arts comme clef de la réconciliation entres les êtres humains. Une vision très noble. Politiquement, il a navigué au gré des circonstances. Il était un peu lassé des militants excité et des idéologues. Selon moi, ce n'était pas un idéologue. De plus, il a beaucoup caché sa philosophie, son amour des arts, il s'est beaucoup dissimulé. Il arborait une détestation des énarques, des élites et cultivait une sorte de stratégie de communication pour opposer Paris à la province, la campagne à la ville. Il a beaucoup joué avec son image. Mais il avait des véritables racines rustiques, et tout en jouant parfois le grand bourgeois, le noyau dur reste cet homme angoissé hésitant. Un individu qui avait des lignes de vie : les cultures, les humains, les personnes handicapées. Pour finir, il faut noter que très paradoxalement, le moment de sa vie qu'il a le plus apprécié est la guerre d'Algérie. Il a profondément aimé cette guerre. Non pas la guerre en tant que concept, mais en tant que outil d'épanouissement, qu'aventure. On en revient à ce Chirac qui a  cherché à vivre sa vie. Je pense qu'il possède en son for intérieur cette idée de "je ne n'ai pas vécu la vie que je voulais vivre". Malgré ses joies et ses succès, il y a chez lui cette tentation de Venise, cette volonté de s'isoler. 

Interrogée par le Parisien, Claude Chirac la fille de Jacques Chirac s'est exprimée sur la sortie de votre livre. Elle a notamment déclarée que la sortie de cet ouvrage était : " une démarche qui vient heurter de plein fouet les principes fondamentaux de dignité, de respect, de retenue qui ont toujours guidé l’existence de mes parents. Aussi bien de Bernadette que de Jacques Chirac et que, d’ailleurs, ils nous ont inculqué à ma soeur Laurence et à moi-même. Notre père nous a toujours dit qu’au regard des vraies souffrances des hommes, il était indécent d’étaler en public le moindre état d’âme. On se tient droit. Et donc, vous imaginez bien que jamais il n’aurait pu cautionner une telle démarche.". Comment réagissez-vous à ces propos ?

Je ne souhaite pas réagir aux propos de Claude Chirac Elle est libre de dire ce qu'elle veut.

Je laisse le soin aux lecteurs et aux journalistes qui prendront la peine de lire ce livre de découvrir qu'il est plein de pudeur et de respect pour Jacques Chirac. Les plus proches du président, presque 20 personnalités, ont accepté de répondre à mes questions et ont trouvé ce livre formidable.

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