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Obligation de déclarer ses identifiants électroniques : une atteinte conséquente aux libertés à l'efficacité douteuse
©Reuters

Loi anti-terroriste

Les députés viennent d'adopter une loi oblige​ant​ toute personne ​"​à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics »​ à déclarer tous ses identifiants électroniques.​

Rayna Stamboliyska

Rayna Stamboliyska

Experte en gestion des risques et des crises, Rayna Stamboliyska travaille avec des entreprises et organisations internationales pour les aider dans leur développement. Son travail et parcours sont intimement liés au numérique, ses enjeux et sa gouvernance, autant au niveau international qu’à celui de l’individu.

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Atlantico : Quel est le risque d'une telle mesure semblant reposer sur une définition plutôt floue d'un comportement? Une telle loi ne risque-t-elle pas d'être entendue de façon extensive ?

Rayna Stamboliyska : La condition concernant le comportement est complétée par une autre : les autorités devront également démontrer que le suspect est "en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme" ou encore que le suspect a soutenu, diffusé ou adhéré "à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes". Disons donc que la disposition légale est plutôt cadrée.

Quant aux débordements possibles de la loi, il faut l'appréhender au delà de cet élément seul. Ainsi et de façon plus large, ce qui est à craindre est l'extension d'une répression administrative et le rétrecissement des pouvoirs de la justice. De nombreuses déclarations lors de l'audition à l'Assemblée font craindre le pire comme intentions et démontrent une détermination à balayer du revers de la main ce qui fait ce pays : le respect des droits fondamentaux.

Enfin, si l'on considère l'obligation qui a fait beaucoup de bruit dernièrement, à savoir que tout suspect devra fournir ses identifiants électroniques, elle fait partie des mesures individuelles de contrôle et de surveillance. Au-delà du réalisme de la mesure, il s'agit encore de comprendre l'esprit de la loi (donc, de s'extraire de l'anecdote pour voir the big picture). Comme souligné ailleurs, le point central de ce projet de loi est ces mesures-là. Elles cristallisent le transfert des assignations de résidence et autres perquisitions administratives caractéristiques de l'état d'urgence, dans le droit commun.

Une telle loi est-elle simplement réaliste ?

Pour l'instant, il est encore un peu tôt. Si l'on regarde de plus près l'obligation de fournir ses identifiants par ex., on constate qu'il y a une tentative de garder la chèvre entière et le loup rassasié : ainsi, le suspect devra fournir la liste complète de ses identifiants, mais pas les mots de passe, ce qui serait contraire à l'obligation légale de préservation du secret des correspondances.

Cette mesure, inexistante sous l'état d'urgence, pose cependant des problèmes au regard de la Constitution. En effet, fournir ses identifiants est censé fournir des éléments concrets pouvant contribuer à la constitution de preuves pénales. Or, en France, on n'est pas tenu à s'auto-incriminer. Il existe par ailleurs d'autres principes légaux qui visent justement à agir en garde-fous et à contenir des velléités de criminaliser à tout va.

Pour savoir donc si les mesures sont réalistes, il faut attendre la version définitive de la loi et de voir comment elle interagit avec l'éventail de lois sécuritaires/de renseignement/etc. déjà en vigueur. Au-delà de l'aspect réaliste, cependant, c'est l'utilité et l'apport de ce genre de texte qui sont importants : rend-on la lutte contre le terrorisme plus efficace -- et donc, le pays plus sûr -- en empilant des couches légales ? Il serait en effet périlleux de confondre sécurité réelle et sentiment de sécurité : si passer des lois plus draconiennes les unes que les autres participe à augmenter le sentiment de sécurité, c'est nettement moins probable quant à la sécurité réelle.

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