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Un referendum au Kurdistan sous le feu croisé des tensions entre les Etats-Unis et l'Iran
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Autonomie kurde

Le probable oui massif qui risque de résulter de ce référendum devrait provoquer de nombreuses tensions internationales mais surtout national, Bagdad ayant promis de sévir.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : 5 millions de kurdes irakiens étaient appelés aux urnes ce lundi 25 septembre, afin de se prononcer sur l'indépendance du Kurdistan. Quels sont les enjeux régionaux de ce référendum ? Comment expliquer les divers positionnements des grands acteurs de la région, notamment dans un contexte de haute tension entre Téhéran et Washington ?

Emmanuel Dupuy : La tenue effective de ce référendum, lundi 25 septembre était redoutée, en effet, depuis son annonce en juin dernier, par de nombreux états, en premier lieu desquels l’Irak elle-même et les voisins limitrophes du Kurdistan irakien que sont la Turquie et l’Iran. Longtemps repoussé, ce référendum, voulu ardemment par le Président du Gouvernement du Kurdistan irakien (GRK) et Président du parti Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), Massoud Barzani, semble ouvrir une période empreinte de profondes interrogations et annonciatrice d’une nouvelle phase d’instabilité. 

Ce calendrier contraignant pour la Communauté internationale et le voisinage régional advient alors même que la lutte contre Daesh semblait montrer son efficacité, alors que les derniers bastions de l’EI semblent sur le point de tomber sous les coups de boutoir conjoints des peshmergas kurdes, des unité de mobilisation populaire (Al-Hachd al-Chaabi), de l’armée irakienne, appuyée par les forces spéciales de plusieurs pays occidentaux, engagées pleinement sur le terrain, comme est hélas venue le démontrer, le décès d’un membre du 13ème Régiment de Dragons Parachutiste.  

Qu’adviendra t’il, en effet, dans les prochains jours, à l’issue du scrutin, qui devrait voir une large victoire du Oui ? 

L’omni-puissant président du GRK a tenu a indiquer que le vote - dont l’issue laisse peu de doute - s’inscrivait dans un « long processus de dialogue (avec le pouvoir central de Bagdad) après le référendum, un an, deux ans » voire plus…

Néanmoins, la boîte de pandore est désormais ouverte. 

Les réactions du voisinage ne se sont pas faites attendre et laissent entrevoir une situation inextricable pour le futur état kurde. Un Kurdistan indépendant pourrait-il d’ailleurs survivre alors qu’il dépend en garde partie de la bonne volonté politique et de l'entente économique avec ses voisins ? 

L'Iran a annulé, il y a quelques jours, tous les vols en direction des trois principales villes et gouvernorats qui composent la région du Kurdistan autonome - Erbil, Duhok et Souleymanieh. Téhéran n’a pas hésité à mettre en garde vertement son voisin, en laissant le soin aux « sécuritocrates », les généraux Qassem Soleimani, chef des gardiens de la Révolution et Mohammed Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes d’indiquer aux autorités d’Erbil que l’indépendance constituait une « ligne rouge »  à ne surtout pas franchir. Désormais, la réaction de Téhéran est à attendre avec appréhension, alors que les accords de sécurité entre les deux pays vont très certainement être rompus et que Téhéran a fait comprendre à Erbil que le soutien de Washington à l’agenda du GRK ne lui convenait nullement. Washington cherche ainsi à appuyer les peshmergas de Barzani en Irak, comme un  contre-poids du soutien de Téhéran au Hezbollah en Syrie. Cependant, ni Washington, ni Paris, ni Berlin ne semble enclines à soutenir l’aventure indépendantiste kurde.

Il convient aussi de se souvenir que l’actuel président kurde irakien est le fils du général Moustapha Barzani, qui fut un des fondateurs de l’éphémère et fragile République de Mahabad, qui ne résista pas plus d’un an, entre janvier et décembre 1946, en territoire iranien, avant d’être mise au pas par l'avant-dernier Shah d’Iran, Reza Shah. 

L’Iran, garde aussi un joker dans sa main, en donnant l’impression que son soutien actuel à Barzani et à son parti, pourrait être nettement moins conciliant à l’aune des prochaines élections présidentielles au Kurdistan irakien, qui ont été jusqu’ici repoussées, depuis 2015. Téhéran pourrait ainsi jouer avec les rivalités politico-militaires opposant historiquement, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) de l’ancien président irakien, Jalal Talabani et de l’actuel président irakien, Fouad Massoud et le PDK de Barzani. Entre les deux, la troisième force politique kurde, le mouvement Gorran (littéralement « le Changement ») dirigé par le Président du Parlement, Youssef Mohamed, interdit de séjour à Erbil depuis qu’il avait rappelé au président Barzani que son mandat arrivait à échéance en 2013, pourrait aussi être soutenu plus activement par Téhéran, et ce, afin de mettre la pression sur Barzani, pour qui le référendum du 25 septembre semble préfigurer sa volonté d’être réélu dans un scrutin qu’il ne peut plus repousser plus longtemps. 

D’ailleurs, si un relatif consensus semble se faire jour sur la « légitimité » au Kurdistan irakien quant à la tenue d’un référendum, c’est le calendrier imposé par Barzani qui divise tous les protagonistes. Youssef Mohamed - toujours personae non grata à Erbil depuis que le Parlement kurde ne siège plus depuis octobre 2015 - aura été le plus déterminé à critiquer le « momentum » du 25 septembre, alors que l’action militaire des peshmergas aura permis depuis 2014 et la guerre contre Daesh de conquérir 30% de territoires supplémentaires, en rognant sur des territoires essentiels à la survie économique de l’Irak, notamment la région pétrolière de Kirkouk, dont 40% des réserves de brut sont concentrés. Si l’indépendance devait être la conséquence du référendum de lundi dernier, nombreux sont les Kurdes a regretter de devoir perdre des positions acquises au prix de nombreuses pertes au sein des peshmergas  tant du PDK, du Gorran et de l’UCK.

Le Kurdistan irakien, semble aussi désormais naviguer à vue vis-à-vis de la Turquie dont dépend pourtant très largement son avenir économique, notamment quant à l’exportation de son pétrole via le terminal de Ceyhan sur la côte méditerranéenne turque. Ankara semble prompt à montrer à son voisin que la perspective de l’indépendance lui était intolérable. De possibles sanctions économiques, voire une éventuelle intervention militaire, à l’instar de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » en Syrie sont des options sérieuses pour Ankara, qui a décidé, de montrer sa détermination à briser les velléités d’indépendance de Massoud Barzani en procédant à plusieurs exercices militaires à la frontière entre la Turquie et le Kurdistan irakien, à l’est du Tigre. Le ministre de la défense turc a été plus explicite encore évoquant un geste « illégitime et inacceptable ». 

Néanmoins, faut-il voir une certaine forme de calcul politique de la part d’Ankara quant à une position « modérée » vis-à-vis des lendemains du référendum. En effet, Ankara qui cherche surtout à affaiblir le mouvement kurde sur son propre territoire, a toujours vu dans le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani, un soutien de taille contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) fondé par Abdullah Öcalan, que la Turquie détient en prison depuis 1999. Du reste, Ankara et Erbil collaborent parfaitement sur le plan économique.

Dans ce contexte, Téhéran et Ankara semble aussi se redécouvrir un agenda commun, celui de « contenir »  Washington dans la région, alors que la principale raison pour laquelle les Etats-Unis et Israël soutiennent « tacitement » la légitimité du référendum est justement de contraindre Téhéran dans ses frontières et de minorer son influence en Irak et en Syrie.

Quelles sont les positions européennes et françaises concernant le référendum ? Quelle est la grille de lecture des européens sur cette question, et à quelles logiques obéit-elle ?

Au-delà des intérêts des puissances régionales, la tension de la part des principales chancelleries occidentales est palpable. La récente 72ème Assemblée générale des Nations Unies à New York aura ainsi été l’occasion d’étaler une appréhension commune de Berlin, Rome, Paris et Londres. 

Chacune craint que son soutien militaire à Erbil - via les forces spéciales qui assistent les peshmergas sur le terrain, à l’instar de la Task Force Hydra composée de plusieurs centaines de membres du Commandement des Opérations Spéciales (COS) et dont hélas, l’adjudant du 13ème RDP, tombé au champs d’honneur, il y a quelques jours était issu - ne soit ainsi considéré comme un signe de soutien implicite à Massoud Barzani. La solution visant à temporiser le référendum - pour une période de trois années - proposée à l’ONU avait ainsi l’assentiment de tous. La fin de non-recevoir de Barzani a énervé, jusqu’au au sein même de l’administration américaine, exprimée par la voix quelque peu courroucée de l’Ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Halley, lors d’une récente réunion du Conseil de Sécurité.

Il convient aussi d’avoir à l’esprit que les Européens, tout comme les Américains, considèrent que tant que Daesh n’aura été totalement chassé du territoire irakien, la mobilisation et la coopération de Bagdad et d’Erbil est essentielle. 

Il reste, en effet, deux poches de résistance de Daesh, qui engagent les forces spéciales irakiennes et  occidentales dans la région d’Akachat, riche en hydrocarbure, notamment en gaz, à la frontière avec la Syrie et ces dernières, aux côtés des Kurdes, dans la zone autour de la ville de Hawija dans la province de Kirkouk. 

Dans ce contexte, la France et l’Allemagne se font discrète sur ce dossier, alors même que les groupes de pression kurdes, particulièrement actifs dans ces deux pays, cherchent à alerter les opinions publiques sur la contradiction qui peut exister entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et du principe de l’auto-détermination et une Realpolitik qui fait d’un soutien, si fragile, soit-il à Bagdad la pierre angulaire de la stabilisation dans la région.

Du point de vue de l'Irak, quelles pourraient être, à terme, les conséquences du référendum ? 

Au-delà des réponses possibles sur le plan économique venant de Téhéran et Ankara, c’est surtout de Bagdad que le pire pourrait venir. 

La tenue du référendum, a d’ores et déjà été invalidé par un vote au parlement irakien, après que 80 députés aient saisi le Président du Parlement, Salim al-Joubouri pour dénoncer ce qui est désormais présenté comme une « provocation ». Le 12 septembre, ce même Parlement déclarait inconstitutionnelle l’initiative kurde.

Le premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi s’est montré menaçant ces derniers jours, n’hésitant pas à préciser qu’une action militaire contre le GRK à l’est du Tigre était envisageable. La pierre d’achoppement se cristallise, du reste, sur plusieurs zones « disputées » entre Bagdad et Erbil, à l’instar de la plaine de la Ninive, des villes de Mossoul et de Tal Afar et du Mont Sinjar, témoins du martyr des minorités chrétiennes et yezidis, que Bagdad et Erbil prétendent avoir défendu et libéré du joug de Daesh. Il est utile de rappeler, du reste, qu’au regard de la Constitution irakienne de 2005 que ces territoires « disputés » pouvaient justement être rattaché au GRK. 

Nombreux, sont ceux, qui s’interrogent sur les réelles desseins de Massoud Barzani, qui, en provoquant et en accélérant le processus d’indépendance, semble se priver à terme non seulement de la large autonomie dont jouit, depuis 1991, le territoire kurde irakien et ses 5 millions d’habitants, mais qui ne pourra plus récupérer les territoires conquis militairement, et ce aux dépens d’un pouvoir central éreinté par trois de combats contre Daesh et de forces armées qui ont subi de lourdes pertes dans ce cadre.

Ses opposants politiques, à l’instar de Youssef Mohammed ont ainsi ouvertement soulevé cette incohérence en indiquant que la position de Barzani n’aboutirait qu’à un « isolement »  vis-à-vis de la communauté internationale. C’est là, un argument qui a son importance, dans un contexte où les Kurdes reprochent justement à la Communauté internationale, de les avoir isolé et lâché, et ce, depuis le Traité de Lausanne de 1923, invalidant la promesse faite trois ans plus tôt, à l’occasion du Traité de Sèvres, de garantir un état aux Kurdes.

Tant à Bagdad, qu’à Souleimaniya, ville où l’influence de Talabani supplante celle de Barzani, jusqu’à certains cadres du PDK de Barzani, les voix se font ainsi de plus entendre pour dénoncer la manœuvre de Barzani visant à utiliser l’agenda du référendum et de l’indépendance pour assurer sa réélection. 

Le « Oui »  massif qui devrait sortir des urnes ne signifie ainsi pas obligatoirement un large consensus kurde sur l’avenir du territoire du Kurdistan irakien.

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