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La Droitisation tranquille de l'Allemagne
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Evolutions

L'AFD (Alternative pour l'Allemagne) pourrait faire son entrée au Bundestag ce dimanche, à l'occasion des élections législatives allemandes. Ce serait un séisme pour le pays.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Pour la première fois depuis 1950, un parti qualifié "d'ultra-nationaliste" par le New York Times, l'AFD, serait en passe d'être représenté au Bundestag. Que révèle cette ascension de l'AFD de l'évolution politique du pays ? En quoi est-elle synonyme d'une lente droitisation de l'Allemagne ? Ce phénomène s'étend il à l'ensemble des partis politiques ?

Rémi Bourgeot : Lorsque l’AfD a été créée en 2013, le parti était focalisé sur l’opposition à l’euro. Sur la base de ce qui semblait être un parti d’euro-sceptiques à tendance plutôt technocratique, le mouvement s’est réorienté vers une ligne anti-immigration dure depuis 2015. Derrière le thème très général de la souveraineté, il semble que plusieurs tendances se mêlent au sein du parti. Sur la question de l’euro les partisans de l’AfD reprennent les arguments conservateurs allemands habituels, mais sans les recouvrir de la traditionnelle tonalité fédéraliste européenne. Sur la question de l’immigration les choses se corsent.

Les conditions dans lesquelles la politique d’accueil de 2015 a été décidée par le gouvernement d’Angela Merkel ont été critiquées bien au-delà des cercles de l’extrême droite, mais l’AfD se fait le porte-parole de cette contestation et conduit tous les partis à durcir leur position sur le sujet. Il n’y a là rien de très surprenant. Les choses vont plus loin cependant avec l’AfD, au-delà de la seule question migratoire.

On voit monter un discours, en fait depuis les débuts du mouvement, qui rompt avec le consensus allemand d’après-guerre bannissant l’expression raciste et antisémite dans la sphère publique. On assiste notamment à un jeu sur l’usage de termes à connotation nazie (comme Überfremdung pour désigner la prétendue relégation des allemands de souche). L’évolution du parti est marquée par les scandales liés à des déclarations révisionnistes. Si au sein du mouvement une partie (peut-être majeure…) ne soutient pas ces points de vue, on constate une volonté de ne pas condamner ces déclarations, au-delà même des cercles qui les produisent. L’AfD n’est pas un simple parti eurosceptique motivé par les questions économiques ou par le manque de concertation dans la politique migratoire.

On retrouve plus généralement désormais le thème du rejet du sentiment de culpabilité dans le débat allemand, comme cela a été rendu manifeste par le récent succès de librairie de Finis Germania (« la fin de l’Allemagne » en latin approximatif) et sa promotion par certains membres de l’establishment médiatique et littéraire, avant qu’on ne finisse par se rendre compte que son contenu était inacceptable. L’auteur, Rolf Peter Sieferle, historien et ancien conseiller du gouvernement d’Angela Merkel sur les questions climatiques, qui a mis fin à ses jours l’an passé, n’était pas particulièrement associé à l’extrême droite. Son pamphlet, volontiers révisionniste et profondément antisémite, dépeint les Allemands comme un peuple de damnés, victimes d’une Histoire prétendument écrite par les vainqueurs anglo-saxons. Sous couvert d’aphorismes pseudo-nietzschéens, il va jusqu’à mettre sur le même plan l’inconfort lié pour les Allemands à la culpabilité historique et l’horreur endurée par les victimes de la Shoah.

Il faut souligner que l’AfD, bien qu’elle ait le vent en poupe auprès d’une partie grandissante de l’électorat, est détestée par une très large portion de la population allemande du fait notamment de sa rhétorique et de l’image qu’elle risque de donner de l’Allemagne. Donc on ne peut pas dire que l’AfD représente le pays, bien que ses thématiques dépassent le cadre du parti. Néanmoins l’AfD, par ses thèmes et sa menace de performance électorale, a un impact clair sur la scène politique allemande. 

L’analyse est compliquée par le fait que la notion de souveraineté n’a pas du tout le même sens jacobin qu’en France, bien que « Souveränität » ait une étymologie évidemment française. Cette notion a en Allemagne une forte connotation ethnique. Par ailleurs, alors qu’il semble que des tendances différentes cohabitent au sein du parti, la distinction entre un courant qui serait simplement eurosceptique et l’autre ultra-nationaliste ne passent pas complètement l’épreuve des faits. La cheffe de fil aux élections fédérales, Alice Weidel, économiste qui incarne une approche technocratique, a notamment été épinglée pour la sémantique à connotation nazie à laquelle elle a eu recours dans des e-mails. Il faut noter, par ailleurs, sur le plan personnel, qu’on n’a pas affaire à un mouvement « d’anars » qui joueraient avec les limites du politiquement correct. On voit au contraire des gens imperturbables, dont l’humour s’il existe est indétectable, tenir des propos glaçants.

Le système de grande coalition s’avère particulièrement néfaste. L’AfD profite de la tendance à l’unanimisme inhérent à ce système ; ce qui luit permet de capter des voix qui se dirigent traditionnellement vers le SPD notamment. En gros, si on critique Angela Merkel on critique l’ensemble du système politique allemand traditionnel, puisque plus aucune opposition substantielle ne se manifeste à l’intérieur du système. Un boulevard a ainsi été offert à l’extrémisme.

Quels sont les thèmes politiques qui ont été les moteurs de cette évolution politique du pays ? En quoi la "droitisation" allemande se distingue t-elle de celle qui a pu être constatée au sein d'autres pays européens ? 

Le principal thème sur lequel surfe l’AfD est évidemment la question migratoire et le manque de concertation dans la politique d’accueil, mais le phénomène est plus complexe et problématique, du fait de l’histoire du pays.

Sur le plan économique par ailleurs, certains conservateurs allemands manifestent leur attachement à la souveraineté monétaire et leur refus d’une quelconque solidarité budgétaire tout en déplorant les déséquilibres que l’euro a nourris en Europe, en empêchant tout équilibrage par le taux de change. C’est ce qu’on pourrait appeler le modèle « helvétique », une ligne tout à fait respectable du fait notamment de sa cohérence. Une autre ligne consiste à rejeter les transferts et toute forme de coordination macroéconomique sérieuse, tout en embrassant l’euro prétendument au nom de l’unification européenne. C’est la ligne centrale du système politique allemand. Emmanuel Macron est en train de se heurter à la réalité de cette conception nationale.

Le vieillissement de la population allemande et des spécificités culturelles ont conduit à un populisme austéritaire, porté aussi d’une certaine façon par le gouvernement et qui est à l’opposé des populismes que l’on retrouve en France, en Europe du Sud et dans le monde anglophone, qu’ils soient de droite ou de gauche.

Pour des observateurs français, en quoi est il possible de considérer que la lecture politique de l'Allemagne est faussée par une différence de perspective ? En quoi le processus de réunification allemande a t il pu conduire à un "retour à la nation" a t il été sous estimé ?

La question du modèle allemand nuit à l’analyse de l’Allemagne en France. Ses principaux promoteurs connaissent peu l’Allemagne, s’intéressent encore moins à la culture allemande et ont le plus grand mal à engager un échange intellectuel avec nos voisins. Il est assez déconcertant de voir les tenants français de cette ligne « germanolâtre » se produire devant des cercles franco-allemands et, par leur mélange de désinvolture et d’assurance déplacée quant à un modèle allemand idéalisé de la façon la plus abstraite, choquer aussi bien les Français que les Allemands. Les gens qui prônent le modèle allemand en France ont en général une certaine tendance à incarner justement les failles du système politico-économique français. Il leur est souvent assez difficile de saisir les failles ou même les atouts du système allemand, qui a su notamment préserver son industrie des errements bureaucratiques. Naturellement la question fondamentale de la compréhension de l’Allemagne réunifiée est négligée. Derrière la continuité de la République fédérale, augmentée des territoires de l’Est, a émergé une logique politique différente qui a modifié le fonctionnement de l’Europe en profondeur.

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