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Petite définition du Juppéisme à l'heure de l'explosion de sa galaxie
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

A posteriori

Entre le ralliement d'Edouard Philippe à Emmanuel Macron, de Virginie Calmels à Laurent Wauquiez, et la candidature de Maël de Calan à la présidence des Républicains, les juppéistes semblent faire le grand écart.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alain Juppé dit ne pas savoir ce qu'est le juppéisme, étant lui-même Alain Juppé. Entre le ralliement d'Edouard Philippe à Emmanuel Macron, de Virginie Calmels à Laurent Wauquiez, et la candidature de Maël de Calan à la présidence des LR, les juppéistes semblent faire le grand écart. Quelle leçon tirer de cette souplesse apparente des juppéistes sur ce qu'est le juppéisme ? 

Jean Petaux : Pas surprenant qu’Alain Juppé ne propose pas une définition « corsetée » et « systématique » du juppéisme. On aura l’occasion de préciser ce qui fait la particularité de cette sensibilité politique à droite et au centre, mais la principale de ses caractéristiques c’est justement de ne pas en avoir vraiment. Ou, en tout état de cause de ne pas être une pensée « fermée » avec ses « Dix Commandements ». Conçu comme un rassemblement, comme la plupart des mouvements gaullistes depuis l’origine, aussi bien sous de Gaulle lui-même que bien après sous Chirac (RPR) et sous Juppé (UMP), le « juppéisme » est, par définition, pluriel et composite. Il est donc naturel que des sensibilités différentes (voire « très différentes ») s’y soient trouvées réunies. C’est une lecture réductrice de considérer que les « juppéistes » font le « grand écart » en se partageant dans leurs soutiens. Une autre interprétation considèrerait plutôt que les sensibilités multiples qui ont pu entourer Alain Juppé, aussi bien à la fondation de l’UMP en 2002 mais surtout dans sa campagne des primaires de la droite et du centre, entre septembre 2014 et novembre 2016 se sont reconnues des affinités avec d’autres leaders politiques dès lors qu’Alain Juppé n’envisage plus d’être une personnalité politique nationale aux responsabilités primordiales.

Rassemblées autour d’une figure majeure de la droite et du centre-droit (Juppé), nombre de personnalités militant au sein de ce bloc politique ont pu considérer que pour poursuivre leur cursus honorum politique il leur fallait « updater » leur affiliation politique et partisane et se « recaler » (un peu comme on le fait pour une radio-balise ou pour un logiciel de navigation) sur une autre personnalité d’ores et déjà leader (c’est le cas d’Edouard Philippe) ou potentiellement chef (comme le fait Virginie Calmels) voire décider de « se mettre à leur compte » et de tenter de devenir le chef en fonction d’une vieille loi des groupes : « quand un pouvoir se ramasse autant être le premier à le ramasser ». C’est la stratégie de  Maël de Calan, sans doute un des acteurs parmi les plus prometteurs dans les années à venir.

Alors bien évidemment on lira chez certaines ou certains plus d’ambition affichée que de profonde réflexion philosophico-politique. Les écoles supérieures de commerce n’ont pas forcément vocation à produire de grands penseurs politiques. Mais il serait, là aussi, peu pertinent de reprocher à des actrices ou des acteurs politiques de rechercher la roue du vainqueur potentiel non seulement de l’étape du jour mais du classement général. Les joueurs, en politique, adoptent souvent à cette maxime : « J’ai des principes ! Mais s’il ne (vous) conviennent pas (pour gagner)… j’en ai d’autres ».

Etre adoubée par Alain Juppé en 2013 pour intégrer la liste de la majorité municipale bordelaise et être élue en mars 2014 ; obtenir la tête de liste aux régionales en Nouvelle-Aquitaine pour la droite et le centre en 2015 grâce au soutien sans réserve d’Alain Juppé ; tenir tête au même Alain Juppé pour refuser de se présenter sur la 2ème circonscription de la Gironde en 2017 ; soutenir Alain Juppé jusqu’au soir du second tour de la primaire mais passer très vite dans l’équipe Fillon, même si c’est pour y retrouver son compagnon qui est un de plus proches du candidat désigné par la frange la plus conservatrice et traditionnelle de l’électorat de droite ; tarder à quitter le team de campagne Fillon contrairement au « carré » des fidèles juppéistes alors qu’il était manifeste que François Fillon devait se retirer, début mars 2017… et aujourd’hui soutenir le plus à droite des candidats à la présidence de LR, détesté par Alain Juppé : tous ces « changements de quarts » pourraient amener à considérer leur auteur, Virginie Calmels, comme une pure opportuniste souffrant d’hypo-fidélité politique chronique. Ce serait une erreur pourtant de se limiter à cette appréciation. Qu’elle soit ambitieuse c’est incontestable. Qu’elle recherche le « bon cheval » pour gagner c’est humain. Que le goût du pouvoir lui tienne lieu de corpus idéologique c’est probable. Il n’y a rien de condamnable dans tout cela. La seule sanction qui vaut en politique c’est la réussite. Pour l’instant, dans son parcours politique personnel, cette juppéiste circonstancielle n’a rien gagné en propre. Plus que le risque de « claquage » (associé à l’image contestée du « grand écart ») c’est cette absence de réussite politique personnelle qui la menace le plus. Tant il est vrai qu’il vaut mieux être fort que faible en politique. Et la force ce n’est pas simplement des réseaux c’est aussi un « pactole » politique personnel.

Le Juppéisme est il en cela plus une méthode, une approche, qu'une idéologie ? Quelle est sa faiblesse en ce sens? 

Le juppéisme est évidemment une idéologie, même si ceux qui en sont les principaux « adeptes » récuseraient sans doute le qualificatif. En fait, pour reprendre la réflexion d’Althusser : « L’idéologie est aussi indispensable que l’air aux hommes pour respirer ». Et l’auteur de « Lire le Capital » et « Pour Marx » de poursuivre : « La pire ruse de l’idéologie c’est de faire croire qu’elle a disparu ». Les tenants de la théorie de la « fin des idéologies » devraient réfléchir à la maxime althussérienne : leur théorie est une idéologie elle aussi.

Une fois que nous avons dit que le juppéisme est une idéologie nous n’avons pas avancé pour autant dans son éventuel compréhension.

La première qualité que l’on peut identifier au « juppéisme » c’est sa dimension « pragmatique ». Parce qu’il est un rassemblement, parce qu’il est ouvert et qu’il ne demeure pas accroché à des thèmes ou à des valeurs immuables et intangibles, le juppéisme s’adapte aux évolutions sociétales. Par exemple sur le « mariage pour tous » qu’il ne remet absolument pas en cause contrairement à une autre partie de la droite républicaine.

La deuxième caractéristique du juppéisme c’est qu’il se revendique clairement et authentiquement « de droite » dans le droit fil des héritages gaulliens, pompidoliens et chiraquiens. Les notions de « souveraineté nationale », de « rayonnement de la France dans le monde », « de liberté » (d’où il ressort une opposition principielle à l’égard du « socialisme » entendu comme système collectif ou collectivisant) ni ne se discutent ni ne se marchandent.

La troisième grande qualité du juppéisme c’est qu’il ne discute, ne transige, ne cède rien au Front National. « On n’hésite pas » à l’égard du Front National… Et s’il est un reproche qu’Alain Juppé a déjà fait à Laurent Wauquiez jadis c’est bien celui-là : les infuences « buissonniennes » pesant sur Wauqiuez ne sont pas acceptables. Le refus de ce dernier d’appeler à voter Macron après le 1e tour de la présidentielle de 2017 face à Marine Le Pen est, aux yeux d’Alain Juppé et des tenants les plus orthodoxes du juppéisme une faute rédhibitoire.

La quatrième grande caractéristique du juppéisme c’est une méthode et aussi une volonté. La méthode, au sens étymologique et en revenant au grec tant aimé de Juppé, c’est littéralement « meta-odos » : « le chemin au-delà » et « au-delà du chemin habituel ». C’est donc une manière d’aborder la réalité en essayant toujours de la transformer au terme d’un processus. Avec une force propre qui peut parfois paraitre pour de l’entêtement et plus encore une absence quasi-totale de prise en compte des oppositions.

Le « cinquième élément » du juppéisme et non le moindre, c’est la dimension européenne. Alain Juppé ne conçoit son action politique que dans un système ouvert qui est à la fois le « système monde » (objet d’un de ses cours à l’Ecole d’Admnistration publique du Québec pendant son « exil » et à Sciences Po Bordeaux à son retour) et un ensemble européen berceau fondateur de la période de paix que nous connaissons depuis 1945… quasi unique à l’échelle de l’fhistoire de l’Europe.

On le constate peu à peu en « reconstituant » en quelque sorte le juppéisme que celui-ci n’est pas très loin du macronisme même s’il s’en distingue par une différence discursive et rhétorique forte : au « en même temps de droite et de gauche » de Macron, Juppé répond par « de droite et du centre rassemblés ». Mais cela ce sont les mots … Dans les faits le juppéisme est un gaullisme originel, teinté de mendésisme pour la volonté et la capacité à choisir pour gouverner, agrémenté d’un pragmatisme fort, hérité de la longue proximité à Chirac qui permet d’adapter les solutions aux attentes, forgé par une rigidité formelle et sur le fond (conséquence d’un orgueil supérieur à la moyenne) qui peut produire quelques irréductibles fractures et puis surtout, articulé sur une diversité humaine qui n’interdit ni les ruptures ni les trahisons, parfois même les grandes déceptions. Avec, last but not least : une certaine inaptitude du « patron » (le juppéiste qui s’ignore…) à reconnaitre ses (quelques) erreurs. Incapacité qui devient presque totale quand il sait lui-même qu’il a fait tel ou tel mauvais choix.

Comment s'inscrit le juppéisme dans l'histoire de la droite francaise sous la Ve république? 

Ma réponse précédente traite, pour partie, cette question. Le juppéisme est dans la ligne des sensibilités politiques qui s’identifient à la droite et au centre dans l’ombre tutélaire incontestable et incontestée du général de Gaulle depuis au moins 1958 et le retour des gaullistes au pouvoir. Bien avant cela on peut aussi retenir dans le juppéisme l’influence d’un Clémenceau pour l’autorité, d’un Poincaré pour le sens de l’Etat, d’un Tardieu pour la modernisation de ce même Etat, d’un Mandel pour le goût du combat politique et d’un Jean Zay pour son courage indéniable.   Le juppéisme est à droite et le revendique. Mais cette droite est aux antipodes non seulement de la droite extrême qu’elle déteste et à l’égard de laquelle, tout comme le chiraquisme, elle n’a jamais rien concédé. Elle est aussi une droite ouverte aux « libéraux sociétaux » (sur le modèle du giscardisme rénovateur de la société française en 1974) et peu encline à s’ouvrir aux nostalgies passéistes et autres valeurs traditionnelles de la droite voire hermétique au néo-libéralisme économique d’un « Madelin » par exemple. Au regard de l’histoire de la droite française, le juppéisme est une assez bonne synthèse des différents types de droite. Il en incarne aussi  bien la modernité que la tradition ; la pérennité que les contradictions. C’est ce qui fait à la fois sa force et sa grande faiblesse.

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