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La France devrait occuper une position de médiatrice dans la négociation du Brexit
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Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Hughenden Valley, 

Le 19 août 2017, 

Mon cher ami, 

Theresa May est rentrée de vacances. Les médias et tous les bien-pensants attendent sa chute. Pour eux, c'est une question de mois, voire de semaines. Les journaux sont pleins de sarcasmes sur les illusions du gouvernement, à commencer par les positions récemment exprimées par Philipp  Hammond, Chancelier de l'Echiquier, et Liam Fox, Ministre du Commerce, qui proposent un accord commercial intermédiaire entre la Grande-Bretagne et l'Union Européenne durant le temps que durent les négociations. Arrogance, naïveté etc....crient les observateurs: est-ce que le gouvernement britannique croit vraiment qu'il va pouvoir faire sortir la Grande-Bretagne de l'UE immédiatement, substituer aux actuelles relations commerciales une union douanière provisoire - et ainsi  pouvoir négocier de nouveaux accords commerciaux avec des pays tiers en même temps qu'il négocie le Brexit?   

Les élections législatives britanniques de juin 2017 ne disent pas autre chose que le Brexit un an plus tôt! 

Quel retournement! En janvier dernier, dans son discours de Lancaster House, le Premier Ministre avait proposé une position claire, de négociation dure, qui correspondait au rapport de force effectif: le peuple britannique ne comprendrait pas que ses dirigeants fassent semblant de sortir de l'Union Européenne. Et il faut bien dire qu'à Bruxelles, entre juin 2016 et juin 2017, on n'en menait pas large. Et puis est venue pour les dirigeants européens continentaux une "divine surprise", le pari manqué de Theresa May, favorite des sondages lorsqu'elle provoque une élection législative anticipée et qui perd, au bout du compte, sa majorité absolue à quelques sièges. 

Avant de parler du Brexit, il faut comprendre ce qui s'est passé lors de la dernière campagne électorale britannique. Après tout, Theresa May avait, jusque-là, astucieursement joué. Il est vrai qu'elle n'a pas été à l'aise, en campagne, s'est aliéné les personnes âgées, pourtant électorat acquis au Brexit; elle a fait face à un Jeremy Corbyn inspiré. Mais il faut aller au-delà des personnes. le phénomène essentiel, celui qui a fait rater la majorité absolue au parti conservateur, c'est le refus d'une partie de l'électorat populaire, qui avait voté pour le Brexit, de se rallier au parti conservateur. Ces Britanniques qui avaient pris l'habitude de voter pour l'UKIP, ont préféré voter travailliste, inspirés par la rhétorique hostile à l'austérité économique d'un Corbyn, que de serrer les rangs derrière leur Premier Ministre prêt à un Brexit dur. 

J'ai été comme vous frustré par la campagne ratée de Theresa May. Mais il n'est plus temps de regretter le passé. Il nous faut regarder froidement la réalité. L'électorat populaire n'a pas eu confiance dans la capacité du parti conservateur à défendre ses intérêts. Comme il y a 150 ans, il existe bien deux nations dans la société britannique: elles cohabitent mais s'ignorent mutuellement ou se marquent de la défiance quand elles sont obligées de dialoguer. La première nation est entièrement acquise à un monde ouvert et à l'économie mondialisée. L'autre nation rassemble tous ces Britanniques qui ont souffert de la désindustrialisation du pays, depuis les années Thatcher. Le Brexit a donné à la seconde nation une première occasion de s'exprimer clairement; mais le rejet de l'Union EUropéenne n'était que la moitié du problème. Voter Corbyn, en juin dernier, c'était envoyer un message on ne peut plus clair: nous ne rejetons pas seulement l'Union Européenne, nous rejetons la logique de la mondialisation libérale en général. 

La société britannique porte-parole de tous ceux qui veulent tourner la page du néo-libéralisme

Voilà pourquoi tous ceux qui se sont réjoui de l'échec de Theresa May, tous ceux qui sont persuadés, à Londres, à Bruxelles ou à Berlin, qu'il sera possible d'inverser le vote en faveur du Brexit, se trompent lourdement: Le vote du 8 juin 2017 est venu confirmer le vote du 23 juin 2016, il est porteur du même contenu: la société britannique est profondément ébranlée par quatre décennies de libéralisme économique; elle aspire à autre chose: un nouveau type de protection sociale; une modération du libre-échange; une immigration contrôlée; des investissements publics; la baisse des droits universitaires etc.... Peut-être des intrigues au sein du parti conservateur vont-elles conduire au renversement de Theresa May; peut-être l'Union Européenne voudra-t-elle, dans le cas où Madame Merkel est reconduite à la chanvcellerie allemande fin septembre, tenir la dragée haute à Londres et jouer la montre pour faire plier le gouvernement britannique. Mais cela ne changera pas les problèmes de fond. 

Quel aveuglement des élites britanniques et européennes continentales, quand elles déplorent le Brexit! Ce que les votes britanniques de 2016 et 2017 ont révélé, se retrouve partout en Europe. Les sociétés n'en peuvent plus de quarante ans de politique  néo-libérale. Partout s'exprime un électorat attisé par des populistes de droite ou de gauche, qui rejette la primauté des considérations financières sur tous les autres enjeux économiques, qui croit à la solidarité nationale et qui attend, dans tous les domaines, plus de protection de son gouvernement.  Malheureusement, les populistes n'apportent pas les bonnes réponses aux inquiétudes de l'électorat; tout l'enjeu des années qui viennent va être de faire émerger, partout, des partis ayant une solide assise dans les élites mais capables de répondre aux inquiétudes populaires. Le socialisme n'a jamais été....ma tasse de thé; mais je vois bien, en revanche, ce que pourrait faire un parti conservateur résolu à réintégrer politiquement la nation marginalisée. Il faut reconnaître à Theresa May qu'elle a posé les premières pierres d'un renouveau du parti conservateur britannique; qu'elle n'ait pas réussi du premier coup ne doit pas nous faire renoncer à l'objectif. Bien au contraire, au vu de son échec relatif de juin dernier, il faut se demander comment le parti conservateur devra s'y prendre pour retrouver la confiance du peuple. 

Substituer un partenariat Paris/Londres à l'axe franco-allemand

L'enjeu n'est pas seulement de politique intérieure. La différence entre un conservateur et un populiste tient en particulier à ce que le premier sait que son pays a besoin du reste du monde. J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire mais vous l'entendrez encore et encore. Mon pays a besoin d'alliés en Europe pour s'en sortir. J'aimerais tant que votre gouvernement comprenne l'intérêt qu'il aurait à se poser en position de médiateur entre Londres et Bruxelles dans la querelle du Brexit. La Grande-Bretagne et la France sont deux vieilles nations amoureuses de la liberté chacune à sa façon. Dans un moment où il s'agit de reconstruire la liberté de nos nations, tout devrait les rapprocher. Qu'a gagné la France à son tête-à-tête souvent exclusif avec Berlin? Un carcan monétaire et les nombreuses déchirures sociales qui s'en sont suivies, une perte du sens de son éminente vocation politique, un rétrécissement du regard au moment où il faudrait, au contraire regarder loin. Qu'a gagné la Grande-Bretagne à soumettre à ce point sa politique à celle de Washington? Le maintien de sa puissance financière mais aux dépends de ses équilibres sociaux; un enfermement dans une vision excliusivement occidentale du monde; un accès malaisé à l'Asie, dont la route passe aujourd'hui par Moscou, Téhéran ou Ankara. 

La France comme la Grande-Bretagne ont en commun de devoir trouver un équilibre entre leur position en Europe et leur aspiration à de plus vastes horizons. L'Allemagne est comblée lorsqu'elle organise l'Europe; l'Italie se vit comme au point de rencontre d'un axe industriel "lotharingien" et de l'espace méditerranéen. Mais la France et la Grande-Bretagne, elles, ont une vocation mondiale en même temps qu'une assise européenne. Et s'il est vrai qu'aujourd'hui regarder vers le monde, c'est regarder vers l'Asie Centrale et vers le projet chinois "One Belt. One Road", alors Londres et Paris devraient y aller ensemble, coordonner leur action. Et si la France est celle qui y emmène activement l'Union Européenne, bien des contradictions seront surmontées. 

Mon cher ami, je me fais peu d'illusions. La connaissance de mon pays dans vos milieux dirigeants est très lacunaire, mélange de clichés historiques et de tourisme londonien. Je ne crois pas qu'on sache beaucoup plus apprécier le potentiel de la politique française depuis le 10 Downing Street. Votre si jeune président est encore à son illusion franco-allemande et il ne semble pas penser que la France ait une carte à jouer en contribuant à faire aboutir rapidement le Brexit, pour l'intérêt de tous. Notre Premier Ministre ne pensera pas spontanément à Paris pour renforcer son jeu en Europe. Mais les grandes transformations sont celles qui ont été longtemps préparées: commençons dès maintenant à imaginer ce nouveau partenariat entre Londres et Paris qui pourrait non seulement aider à trouver une heureuse issue au Brexit mais, à plus long terme, faire renaître l'Europe comme un acteur politique sur la scène mondiale. 

Bien à vous, 

Votre dévoué Benjamin Disraëli

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