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Votre éponge, cet incroyable nid à bactéries
©Tomas Castelazo / Wikipedia

Poisseux

Les vieilles éponges ne sont pas les instruments parfaitement propres que l'on croit. Leur manipulation peut être problématique et pose la question de la différence entre hygiène et propreté.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Les éponges seraient de véritables nids à microbes selon une étude parue dans la revue Scientific Reports. Qu'est-ce qui explique cette contamination d'un outil sensé faciliter le lavage ?

Stéphane Gayet : C’est l’occasion de rappeler ce que sont et ce que font les bactéries, encore appelées microbes. Ce sont des êtres vivants microscopiques, d’une taille moyenne de l’ordre de quelques millièmes de millimètres ou microns (micromètres). Observées dès la fin du 17e siècle grâce au tout premier microscope (Van Leeuwenhoek), ce n’est que dans la deuxième moitié du 19e siècle qu’elles ont été reconnues scientifiquement comme à l’origine de maladies (Pasteur). Cette démonstration de causalité et les succès médicaux qui ont ensuite été obtenus sur des maladies épidémiques comme le choléra, la peste, le typhus et la tuberculose, nous ont fait penser que l’on avait ainsi découvert « la » cause des maladies dites infectieuses.

Non seulement on a considéré un peu vite que les bactéries étaient de ce fait des ennemis à éliminer (« Le microbe : voilà l’ennemi », slogan publicitaire d’une entreprise de production de désinfectants généraux), mais de plus on s’est persuadé qu’elles venaient forcément de l’environnement et qu’il fallait par conséquent désinfecter celui-ci pour s’en protéger. Ces conceptions ont été largement démenties à la fin du 20e siècle. Il se trouve que les quatre maladies épidémiques meurtrières que sont le choléra, la peste, le typhus et la tuberculose sont des infections bactériennes pour lesquelles l’environnement joue un rôle important. Mais c’est un cas très particulier.

Aujourd’hui, dans les pays industrialisés à haut niveau de vie comme la France, le risque bactérien n’est pratiquement plus environnemental, si l’on excepte des maladies comme la légionellose (eau), les zoonoses (maladies qui passent de l’animal à l’homme) et certaines infections liées aux soins (infections nosocomiales dans les hôpitaux et cliniques). On peut affirmer que dans nos domiciles, le risque bactérien n’est pas lié à l’environnement et qu’il est non seulement vain, mais qui plus est toxique et dangereux pour la santé, de s’évertuer à le désinfecter. L’essentiel du risque bactérien est humain : la très grande majorité des infections bactériennes (dans les pays industrialisés à haut niveau de vie) sont dues à des bactéries du corps humain.

La découverte du rôle physiologique des flores cutanées et muqueuses (que l’on appelle aujourd’hui les microbiotes), constituées de bactéries utiles et même indispensables à notre équilibre vital, a complètement modifié notre regard sur ces bactéries que l’on considérait comme nos ennemies et qui sont finalement beaucoup plus souvent nos amies.

C’est encore l’occasion de se demander pour quelle raison on nettoie nos domiciles. Cette question peut paraître naïve, et pourtant… Nous nettoyons nos domiciles pour des raisons d’esthétique, d’odeur, d’ergonomie et de protection des matériaux. Mais ne parlons pas d’hygiène ! L’hygiène n’a rien à voir avec la propreté. L’hygiène est la branche de la médecine qui a pour objet la prévention des maladies ; or la propreté des locaux ne protège pas — sauf rares exceptions vues plus haut — des maladies. On ne le dira jamais assez : désinfecter son domicile (toilettes, salle de bain, cuisine…) ne protège d’aucune maladie et se montre de surcroît toxique du fait des produits chimiques volatils.

Pour en revenir à l’étude — remarquable par son niveau scientifique, mais très contestable par sa contribution réelle à l’hygiène — publiée dans la revue Scientific reports, il est parfaitement connu que les éponges sont de très bons milieux de culture pour les bactéries. Une éponge est un ustensile qui sert à nettoyer : il est attendu qu’elle soit chargée en salissures qui sont des nutriments pour la prolifération bactérienne. De plus, elle est toujours humide ; or les bactéries ont besoin d’humidité. De surcroît, la cuisine est l’une des pièces les plus chaudes avec la salle de bain. Les conditions sont donc réunies pour une prolifération bactérienne. Et alors ? L’impact sur notre santé peut être considéré comme tout à fait négligeable pour ne pas dire nul.

Contrairement à ce qui est écrit dans cet article, les espèces bactériennes mises en évidence dans les éponges ne sont pas des espèces pathogènes, mais des espèces opportunistes qui ne donnent des infections qu’en réanimation, soins continus ou services d’hématologie et de cancérologie : Acinetobacter et bactéries apparentées. Elles ne représentent pas un risque infectieux à domicile, sauf exception très particulière liée à un état d’immunodépression sévère ou d’hospitalisation à domicile avec un cathéter veineux ou une sonde urinaire.

Faut-il s'en inquiéter ? Quels sont les risques ?

Les bactéries environnementales qui se développent sur et dans les éponges, comme les bactéries du genre Acinetobacter et de genres apparentés, sont des bactéries environnementales dont le pouvoir pathogène est très faible ou même négligeable pour les personnes immunocompétentes, c’est-à-dire avec un état de santé globalement satisfaisant et stable. On peut y trouver également, comme le montre l’étude citée en référence, des bacilles du genre Pseudomonas. Ces dernières sont des bactéries de l’eau et des milieux humides, dont le pouvoir pathogène est également très faible. On peut affirmer que ces bactéries des éponges ne constituent pas une menace pour notre état de santé. Une réserve doit simplement être faite pour les enfants en très bas âge et surtout ceux qui sont fragiles, ainsi que pour les personnes très âgées et maladives.

En revanche, ces bactéries qui prolifèrent dans les éponges peuvent dégrader les éponges, donner lieu à une coloration noirâtre ou verdâtre et parfois, mais moins souvent, produire des odeurs désagréables. Quoi qu’il en soit, les éponges parallélépipédiques (rectangulaires) ne sont plus de supports de nettoyage que l’on recommande. Précisément en raison du fait qu’elles restent en permanence humide, qu’elles se colorent et qu’elles se détériorent de ce fait. Il est mieux d’utiliser d’autres supports de nettoyage, comme des brosses ou des lavettes en microfibres. Il suffit d’observer le personnel des entreprises de nettoyage et d’inspecter leurs chariots d’entretien : en pratique, ils n’utilisent plus d’éponges parallélépipédiques. C’est un support un peu désuet à dire vrai.

Les brosses, paille de fer ou autre objet permettant de récurer et laver sont-elles elle aussi concernées ?

Le cas des éponges épaisses est vraiment particulier. Aucun autre support de nettoyage ne leur est comparable. Tous les autres supports ou presque peuvent être nettoyés — car comment nettoyer une éponge ? – et séchés. Les éponges ont connu leur heure de gloire à l’époque où une célèbre entreprise française a réussi à fabriquer un objet de synthèse reproduisant assez bien la couleur et la texture de ces animaux marins dont le squelette léger et poreux constitue « l’éponge naturelle », si agréable pour la peau.

L’étude citée en référence porte sur les bactéries des éponges. Mais elle passe sous silence les champignons microscopiques. Or, ils sont plus gênants dans l’environnement que les bactéries. Ils se développent vite, colorent et dégradent presque tous les supports sur lesquels ils prolifèrent. De plus, et c’est là un point très important, ces champignons microscopiques émettent des spores qui passent dans l’air et peuvent, non pas nous infecter — à moins d’un terrain très immunodéprimé —, mais irriter nos muqueuses oculaires, nasales et respiratoires et être de cette façon à l’origine d’allergies, du moins s’il existe une prédisposition à celles-ci. Or, les allergies progressent à grande vitesse dans nos pays industrialisés à haut niveau de vie. Il existe de plus en plus d’enfants souffrant d’asthme bronchique allergique ou de rhinite allergique (« rhume des foins »). C’est dire que, si l’on prend un point de vue, non pas infectieux, mais allergique, alors, oui, la prolifération de certains microorganismes vivants comme les champignons (et les acariens : « allergie à la poussière de maison ») constitue un risque pour notre santé. Et d’une certaine façon, les éponges peuvent participer à ce risque.

On peut retenir qu’il faut lutter contre les sources d’humidité persistante, car les développements microbiens (mais aussi les larves de certains insectes) qu’elles favorisent peuvent nuire à notre santé, mais beaucoup plus sur le plan allergique qu’infectieux. En cela, les éponges parallélépipédiques ne sont pas à conseiller.

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