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Mais que peut-on vraiment espérer de la création d'une "police de sécurité du quotidien" ?
©JACK GUEZ / AFP

Quand c’est flou…

Gérard Collomb a annoncé que la "police de la sécurité du quotidien" – une police de proximité promise par Emmanuel Macron - commencera à être déployée "dès la fin de l'année". Une initiative qui pourrait avoir de vraies conséquences sur le sentiment d'insécurité, mais dont les contours restent encore très flous.

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : Dans une interview donnée au Figaro, le ministre de l'intérieur Gerard Collomb a fait part de sa volonté de créer une police de "sécurité du quotidien" d'ici à la fin de l'année, répondant ainsi aux promesses de campagne d'Emmanuel Macron sur la création d'une police de proximité. Quelles sont les résultats d'expérience française en la matière, quelles en sont les avantages et les inconvénients ?

Mathieu Zagrodzki : La question est vaste. La principale expérience de police de proximité a été la période 1997-2002. C'est la période de la gauche plurielle sous Lionel Jospin. Elle a beaucoup été brocardée car jugée laxiste et inefficace par une large partie de la droite.

L'idée de la police de proximité est de faire travailler la police sur des périmètres plus petits, de préférence à pied car cela facilite le contact avec les gens et de traiter des questions trop souvent négligées par la police, en l’occurrence tout ce qui touche à la petite délinquance et aux incivilités. Le problème de la police de proximité telle qu'elle a été menée à l'époque, c'est qu'elle a été généralisée trop rapidement. On est passé d'une phase expérimentale dans quelques zones pilotes déclenchée vers 1998 à une généralisation à tout le territoire français (plus de 400 circonscriptions) en l'espace de deux ans. C'était beaucoup trop rapide et précipité, la raison en étant l’approche de différentes échéances électorales (notamment les élections municipales de 2001).

Quel bilan en tirer ? La principale critique qui a été essuyée était que les chiffres de la délinquance entre 2000 et 2001 étaient mauvais. Mais il faut nuancer cela par le fait que ces chiffres ne sont pas nécessairement ce qu'il y a de plus fiable pour évaluer le niveau de sécurité d’un pays car ils sont dépendants des pratiques d’enregistrement. Ensuite, cela nécessitait de démultiplier les points d'accueil de la police à travers le territoire en ouvrant des postes de police de quartiers. Mais en faisant cela vous devez nécessairement mettre de gens à l'accueil. Et lorsqu'ils sont à l'accueil, ils ne peuvent pas être sur le terrain. Cela a conduit à une forme de paradoxe. Le but initial était de rapprocher la police de la population et de mettre plus de gens sur la voie publique alors qu'en réalité la création de postes de police de quartier est allée à l'encontre de cet objectif-là.

En observant les résultats à l'international, on constate que la police de proximité ne fait pas baisser la délinquance. En revanche elle a des effets significatifs sur l'image de la police et sur le sentiment d'insécurité. Ce qui n'est pas négligeable car améliorer l'image de la police enclenche un cercle vertueux : plus les gens trouvent la police légitime plus ils vont être susceptibles de collaborer avec elle et d'apporter un soutien plus ou moins actif aux forces de l'ordre. C'est le bienfait principal de la police de proximité. 

Cependant, Gerard Collomb n'a pas précisé le contenu de ce que sera cette police de proximité. N'y a-t-il pas une confusion entre les "a priori" qui concernent une telle police et ce qu'elle pourrait être en réalité ?

Oui, c'est évident. Pour le moment le contenu est assez vague mais il l’était déjà pendant la campagne. De plus, les termes employés ont beaucoup changé. On a assez peu utilisé le terme de "police de proximité" car il est connoté assez négativement. Mais on a entendu parler de police de quartier ou de police de sécurité quotidienne ; chacun y projette un peu ses fantasmes et je pense qu'au moment où nous parlons le gouvernement n'a pas encore une idée très précise de ce qu'il va faire.

D'ailleurs, les déclarations de Gérard Collomb dans l'interview du Figaro sont extrêmement vagues. Il donne une date, la fin de l'année, mais n'explique absolument pas sur quoi va reposer cette police de quartier. Aura-ton de nouveaux postes de police de quartier ? Va-t-il y a voir de nouveaux policiers à pied ou sera-ce avant tout de la « répression de proximité », avec la mise en place de nouvelles contraventions et d’un pouvoir d’injonction pour les policiers afin de lutter contre les incivilités ? Il n'y a pas vraiment pour le moment de contenu concret qui nous permettraient de commenter ou d'analyser de façon affinée.

Alors que le ministère de l'Intérieur doit faire face à une réduction de son budget à hauteur de 525 millions d'euros pour cette année, tout en déclarant souhaiter engager des effectifs supplémentaires, et dans un contexte où les effectifs de police se plaignent de leurs conditions de travail, n'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer une telle police ? Comment peut-elle s'inscrire dans le budget du ministère ? Qui pourrait payer le prix de l'arbitrage ?

Il s'agit d'une réflexion globale stratégique à mener sur la manière dont on emploie les forces de l'ordre en France. Au niveau des effectifs nous sommes certes un peu à flux tendus mais c'est parce que les policiers sont mobilisés sur des missions liées à l'urgence terroriste comme la surveillance de lieux sensibles, ce qui prend beaucoup de temps. Rappelons que la Police nationale totalise à ce jour 19 millions d’heures supplémentaires.

Néanmoins si on regarde la moyenne européenne en termes de densité policière et de ratio policier par habitant, la France est plutôt dans la norme. On ne fait pas partie de pays les mieux lotis mais nous ne sommes pas en-dessous de la moyenne non plus.

On note plusieurs problèmes. Premièrement, il y a eu au cours des quinze dernières années beaucoup de variations dans le recrutement de policiers, des hausses d'effectifs suivies de baisses puis de hausses à nouveau. Il n'y a pas vraiment de cap en termes de stratégie d'emploi des effectifs. Ensuite il y a, à mon sens, mais aussi au sens de nombreux autres spécialistes et praticiens, l'emploi de policiers à des taches qui ne devraient pas relever de leurs fonctions. Beaucoup de choses chez nos voisins britanniques par exemple ont été confiées à des agents administratifs : tout ce qui concerne l'accueil téléphonique, physique, la gestion des plannings… Ce n'est pas du ressort des policiers, alors que c’est le contraire en France, où des policiers s’occupent de choses de ce type alors qu’ils ont été formés à la procédure pénale, au tir, aux gestes d’intervention ou à l’utilisation de la radio.

On pourrait recruter plus de personnels administratifs –ce qui est plus rapide et moins couteux que de former des gardiens de la paix. Cela permettrait de retrouver un peu de marge de manœuvre pour remettre des policiers sur le terrain. Je pense qu'il y a là un énorme chantier à ouvrir. De toute façon, nous allons être obligés de mener cette réflexion étant donné les coupes budgétaires que vous mentionnez. Je ne vois pas beaucoup d'autres manières de le faire si l’on veut augmenter les effectifs comme promis et fournir aux forces de l’ordre équipements et locaux dignes de ce nom.

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