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Les enfants, une affaire de femmes ? Pourquoi l'homme a été "dépossédé" de son titre et de son rôle de père
©Reuters

Bonnes feuilles

C'est au moment où ils veulent affirmer leur paternité que le constat s'impose : les pères sont une espèce en voie de disparition. Comment la société réagit-elle à cette évolution, en particulier sur les plans politique et juridique, car la vraie question est peut-être : quelle autorité l'Etat conservera-t-il lorsque le père qui la symbolisait aura disparu ? Les pères : une espèce en voie de disparition ? N'ont-ils pas déjà disparu ? Extrait de "Au nom des pères" de Marc Mangin, publié aux Presses de la Cité. 1/2

Marc Mangin

Marc Mangin

Marc Mangin a été journaliste pendant trente ans, spécialiste des questions asiatiques. Il est également photographe et auteur d'une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels Chine, l'empire pollueur (Arthaud, 2008), une série de récits de voyages : Tu m'as conquis tchador (2010), La Voie du bœuf (2011), Au sud de la frontière (2014), et un roman, Le Théorème d'archipel (2015) ou bien encore Au nom des pères (2017). 

 

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Faire de l’enfant une affaire de femmes a dépossédé l’homme de son titre et de son rôle de père – il devient le « géniteur » – au bénéfice du premier éducateur venu ; l’attachement n’a d’ailleurs plus guère d’importance puisque le sentiment d’appartenance n’est plus reconnu comme essentiel. Le père a perdu son unicité, un autre peut le remplacer ! Le beau-père serait un second père ou un troisième, quand bien même la relation n’atteindra jamais le degré d’exigence qui caractérise celle d’un enfant avec son père et réciproquement.

Tout ceci n’est finalement pas si nouveau. Depuis l’entrée en vigueur du « Code Napoléon » en 1804 – socle du Code civil moderne –, le père est le mari de la mère : Pater is est quem nuptiae demonstrant (« L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari », affirme, aujourd’hui, son article 312), restant fidèle en cela au vieil adage romain de l’Antiquité, dont tout le monde connaît le sens : mater semper certa, pater semper incertus (« de la mère on est certain, du père on l’est moins »). La « tentation matriarcale » de l’institution judiciaire, pour reprendre la formule de Karen Isère, journaliste à Psychologies Magazine, profite du fait qu’en droit, le père n’existe pas vraiment. Il ne prend véritablement corps qu’au moment de la séparation, à l’heure de fixer le montant de la pension alimentaire, « la gamelle paternelle », comme l’appelait l’Empereur. La première phrase que m’adressa la juge aux affaires familiales, au printemps 1995 à Paris, disait tout : « Vous avez succombé aux charmes d’une jeune fille des îles, vous allez payer maintenant. »

Ce n’est pas tant l’enfant, mais la mère qui fonde le père. Elle dit qui est le père, géniteur ou non. Une enquête réalisée en 1980 à Paris, par deux équipes de l’Inserm, faisait apparaître qu’environ 10% des pères, dans la capitale française, n’avaient pas de lien de sang avec les enfants dont ils pensaient être les géniteurs, nés de relations extraconjugales. Sur son blog, Jean-Pierre Rosenczveig, l’actuel président du tribunal pour enfants de Bobigny, retient lui d’autres chiffres des années 1980, obtenus au Centre du droit de la famille (université Jean-Moulin, Lyon 3) par l’équipe du professeur Rubellin-Devichi, qui recoupent ceux de l’Inserm : en France, au moins 5 à 10 % des enfants n’ont aucun lien de sang avec l’homme qui pense être leur père. Une autre étude américaine, datant du début des années 2000, concluait à un taux de non-paternité moyen de l’ordre de 3 % dans les pays occidentaux, avec des différences notables entre les campagnes et les villes, mais aussi en raison de l’influence religieuse. En 2016, dans le magazine Marie Claire, Marie-Alix Brucker citait les chiffres du département de génétique humaine de l’université de Californie, pour qui, aujourd’hui, dans les pays occidentaux, 15 % en moyenne des enfants ne seraient p as ceux des pères qui pensent l’être, et les femmes, plus que les hommes, écrit la journaliste, trouvent ce chiffre tout à fait acceptable. On retiendra surtout que le chiffre a doublé en vingt-cinq ans et pas nécessairement en raison des progrès scientifiques et d’un recours plus fréquent aux tests génétiques. D’ailleurs, quand c’est possible et pour éviter de rajouter à la douleur des familles, la médecine légale préfère les empreintes dentaires aux tests ADN pour identifier le corps des victimes de catastrophes. Tout comme l’Education nationale ne recommande plus aux professeurs de suggérer à leurs élèves de comparer leur groupe sanguin à celui de leurs parents…

Au père biologique se substitue un père « social » identifié par une « fonction », un « rôle » qui permet surtout d’établir une norme – adaptable, comme toute norme, en fonction des besoins et du moment – avec son corollaire : des objectifs. Le père « social » est un père par défaut ; il remplit une case dont l’organigramme social ne peut p as encore se passer, mais il est interchangeable. S’il suffisait, pour être père, de partager le quotidien d’une mère, comme le stipule le Code, alors se poserait la question : « Mais de qui est-il le père ? » Au lieu de remettre en question les principes hiérarchiques qui la fondent, la société préfère régler la contradiction par élimination. Le père pose problème ? Supprimons le père et le problème sera résolu. Si la nouvelle définition du père – la définition seulement – s’est adaptée à l’évolution des mœurs, elle ne répond pas aux interrogations de l’enfant alors que tout, dans son corps, désigne son géniteur comme son père. Même Sartre avait fini par l’admettre : les Schweitzer étaient grands, les Sartre petits !

La distinction opérée entre « géniteur » et « père » – et bientôt, avec la GPA, entre « génitrice » et « mère » – crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le père n’est pas et ne peut pas être une simple figure d’attachement. Les pères ne le pensent pas une seule seconde. Jean -Paul Sartre l’a parfaitement saisi lorsqu’il évoque son déchirement entre la sensation de liberté qui fut la sienne entre sa mère et son grand -père, d’une part, et la frustration de n’avoir jamais trouvé personne pour lui imposer de limites. Les juges aux affaires familiales n’échappent pas à cette contradiction psychotique lorsqu’il s’agit d’acter le divorce d’un couple. De quel droit imposent-ils au géniteur le paiement d’une pension alimentaire due par le père, si l’un n’est pas l’autre ? De quel droit la maintiennent-ils dès lors que la mère, de nouveau en ménage, offre un nouveau père à l’enfant ? Parce que le géniteur est le père « légitime » ?

Extrait de "Au nom des pères" de Marc Mangin, publié aux éditions Presses de la Cité.

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