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Tout drame sanitaire n’est pas un scandale… et la Dépakine n’est pas le Médiator
©Reuters

Tribune

De telles confusions, de plus en plus fréquentes, ne sont pas sans conséquences sur les relations médecin- malade, sur l’image de la médecine et sur notre propre santé.

Claude Huriet

Claude Huriet

Claude Huriet est professeur agrégé de médecine et ancien sénateur.

Ancien Président de l'Institut Curie, il est membre du Comité international de Bioéthique de l'Unesco et membre honoris causa de l'Académie nationale de médecine.

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L’affaire de la Dépakine rebondit. Les plaignantes préparent un recours collectif contre les laboratoires incriminés, et les médias s’empressent de titrer : « Dépakine : vers un nouveau scandale ? ».  Une fois encore, on confond les crises sanitaires, qui se sont multipliés au cours des 30 dernières années, les drames qu’elles ont engendrés, et les scandales dont les auteurs sont reconnus fautifs et doivent être sanctionnés. De telles confusions, de plus en plus fréquentes, ne sont pas sans conséquences sur les relations médecin- malade, sur l’image de la médecine et sur notre propre santé.

Dès que survient un accident médical, après avoir consulté Internet, on suspecte a priori l’incompétence du médecin, une faute médicale, une complicité entre « les acteurs » (laboratoires pharmaceutiques, prescripteurs, soignants…), et une légèreté coupable des pouvoirs publics. L’émotion et l’inquiétude toujours, l’indignation souvent, naissent immédiatement d’une médiatisation qui, faisant fi de la présomption d’innocence, anticipe sur les conclusions des enquêtes. Un drame douloureux devient un scandale, avec de fâcheuses conséquences, dont la moindre n’est pas l’apparition d’un préjudice d’angoisse… qui pourra d’ailleurs être indemnisé par la suite.

Plus grave, « ces scandales sanitaires à répétition » altèrent les relations entre des malades de plus en plus méfiants, et des médecins qui désertent une pratique de plus en plus judiciarisée. Ils sont incités à multiplier les examens dits complémentaires afin de prévenir le grief de ne pas avoir eu recours aux données actuelles de la science, sans parler du principe de précaution auquel le juge se réfère, hélas, de plus en plus souvent !

« La Dépakine n’est pas le médiator »

L’affaire du médiator est un scandale. Sept ans après le dépôt des premières plaintes, après que le produit eut été retiré du marché pour « tromperie aggravée, mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire… prise illégale d’intérêts, le parquet de Paris vient de demander le renvoi du groupe Servier devant le tribunal correctionnel. « L’affaire du médiator » est un double scandale : scandale sanitaire, si la responsabilité du produit est confirmée dans la survenue d’effets indésirables graves, y compris de décès, dont le nombre continue de faire débat ; un scandale judiciaire du fait de la durée de la procédure, de la difficulté d’établir les responsabilités et d’apporter des preuves certaines de liens de causalité.

La Dépakine est un drame, pas un scandale. Le Valproate de sodium est prescrit dans les formes graves d’épilepsie, caractérisées par des crises sévères et répétées. C’était, jusqu’à récemment, le seul médicament efficace en pareil cas mais il peut entraîner chez la femme enceinte des interruptions de grossesse et des troubles graves du développement fœtal dans 30 à 40 % des cas. L’évaluation du rapport bénéfice/ risque est particulièrement difficile dans de telles situations et la patiente doit faire un choix « éclairé » dramatique. À elle de décider : interrompre la grossesse ou interrompre le traitement.

La Dépakine n’est pas le seul médicament à poser ce dilemme. D’autres molécules utilisées en chimiothérapie, comportent les mêmes risques s’ils sont prescrits durant les toute premières semaines de la grossesse. Il faut prendre « des précautions additionnelles », comme le préconise l’ANSM pour le mycophénolate. Ce médicament, prescrit dans la prévention du rejet des greffes, ne peut être délivré à une femme en âge de procréer que si elle présente tous les six mois au pharmacien un formulaire d’accord de soins cosignés avec son médecin, dans lequel elle s’engage notamment à utiliser une double contraception pendant toute la durée de son traitement, après avoir effectué un test de grossesse. De telles contraintes sont difficilement acceptées voire même rejetées par les patientes. Alors, que faire ?

Tout drame sanitaire n’est pas un scandale. Les victimes d’un accident médical ont droit à une même compassion, elles doivent être accompagnées pour y faire face. Mais Il faut mettre un terme aux amalgames entre les conditions de survenue et les conséquences qu’engendrent les crises sanitaires, les drames consécutifs aux accidents iatrogènes et les scandales sanitaires.

Les crises sanitaires telles que le sang contaminé, la vache folle ou l’hormone de croissance, sont des accidents « sériels » et menacent l’état de santé de la population, et créent une situation d’urgence. Les accidents « iatrogènes » consécutifs à un acte médical (prescription d’un traitement, pratique d’un examen, interventions chirurgicales…) sont des drames, quel que soit leur degré de gravité. Alors que le médecin doit agir pour soulager et si possible guérir la personne qui lui fait confiance, un accident bouleverse toute la démarche médicale. Le malade en veut au médecin, le médecin s’en veut à lui-même. La compensation financière du préjudice, quand elle intervient, ne suffit pas à apaiser la conscience du médecin, ni la rancœur, ni les revendications de la victime et de son entourage. C’est alors que le drame peut virer au scandale si –et seulement si– il apparaît que l’accident était évitable et que des fautes ont été commises.

Il n’y a donc scandale qu’en cas de pratiques contraires à la morale, justifiant l’émotion et l’indignation.

Informer les patients et indemniser les victimes. La mise en cause du médecin a longtemps été fondée sur l’absence de recueil du consentement, ou sur l’insuffisante information du patient. Le préjudice subi par la victime d’un accident médical n’était indemnisé que si une faute pouvait être constatée et « le coupable » identifié.

Anticipant sur les dispositions de la loi du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et la qualité du système de santé », j’avais fait adopter par le Sénat, en avril 2001, une proposition de loi (n°221) « relative à l’indemnisation de l’aléa médical à la responsabilité médicale », qui reconnaissait, pour la première fois, l’existence d’accidents médicaux non fautifs. Il s’agissait de mettre un terme à la judiciarisation croissante de la médecine, tout dommage « grave et anormal » pouvant être indemnisé par la solidarité nationale. Les experts de l’ONIAM  (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), et des CRCI (Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation), parfois injustement vilipendés, remplissent au mieux aujourd’hui les missions que leur a confiées la loi.

Les progrès de la médecine, l’apparition de nouveaux traitements, les innovations technologiques et l’allongement de l’espérance de vie, peuvent donner l’illusion de la toute-puissance de l’homme et du médecin face à la maladie et à la mort

Lorsque survient une crise sanitaire ou un accident médical, c’est la stupeur, l’incompréhension, le doute, le soupçon, et parfois le scandale !

Il faut « savoir raison garder » et comprendre qu’en médecine, comme dans toute activité humaine, il n’y a pas de progrès sans risque.

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