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Quand le futurologue en chef de Google tente de percer à jour l'algorithme suprême de nos cerveaux
©AFP

Internet

Recruté en 2012 par la société Google au poste très convoité d’ingénieur en chef, Ray Kurzweil professe des théories bien singulières sur le cerveau et l’esprit.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Un article paru le 3 juillet dans la revue en ligne futurism.com et accompagné d’une vidéo les évoque. Ray Kurzweil y explique que notre cerveau se composerait 

d’environ 300 millions de modules élémentaires dont chacun filtrerait un motif singulier. Les connexions synaptiques entre les neurones composant ces modules seraient figées, tandis que les connexions synaptiques entre les neurones de modules différents évolueraient au fil du temps, par apprentissage. Toujours d’après Ray Kurzweil, la présence de ces modules et leur organisation hiérarchique dans le néocortex caractériserait les mammifères supérieurs et serait le fruit de l’évolution. Et, il existerait un algorithme souverain générique et universel qui régirait la dynamique de ces modules. 

L’article ne nous apprend rien de précis ni sur cet algorithme, qui différerait quelque peu de l’algorithme d’apprentissage profond (Deep Learning) sans que l’on en sache plus, ni sur l’existence de ces modules, dont on annonce des confirmations empiriques mises en évidence par un grand projet européen de rétro-ingénierie du cerveau, qui doit certainement correspondre au Human Brain Project piloté par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne et auquel sont associées plus de cent équipes de recherche. 

Implicitement, si un tel algorithme souverain existait, il s’inscrirait dans le grand projet de Ray Kurzweil qui établit un parallèle si strict entre notre cerveau et l’ordinateur que nous serons assurés de télécharger notre conscience comme on télécharge un fichier de données d’ici moins de trente ans du fait de l’amélioration exponentielle des performances des processeurs.

Ray Kurzweil nous apprend aussi, dans cette vidéo, que sa conception modulaire du cerveau lui est venue en 1962, alors qu’il avait 14 ans, qu’il l’a décrite en détail dans son ouvrage How to create a Mind ? publié en 2012 et que c’est sur la foi de cette conception que Google l’a embauché en 2012. 

En tant que scientifique, je dois confesser que le manque d’arguments tangibles me désarme : ce qui est décrit ici relève plus de la fable et de la parole inspirée d’un visionnaire, que de la démarche rigoureuse et rationnelle d’un scientifique. Sans doute une telle conception n’a-t-elle rien d’impossible, en cela que l’on n’a pas démontré qu’elle ne se réalisera pas, mais, il n’y a pas non plus de raisons d’affirmer qu’elle adviendra, et encore moins de lui fixer un terme. Qui plus est, Ray Kurzweil est si assuré de la force de sa vision, qu’il ne prend même pas la peine de la confronter à d’autres approches.

Mais, ce qui paraît plus étonnant encore, c’est que, d’après ce qu’il affirme, il aurait été recruté par la société Google pour tenter de reproduire l’esprit humain à l’aide d’une machine. L’absence de fondements rationnels de ce projet laisse pantois. Dès lors, on peut légitimement se demander ce qui a vraiment motivé son embauche. Il est loisible de penser que les succès précoces que la société Google a rencontrés conduisent ses fondateurs à croire que tout est possible et, qu’en conséquence on peut, et même on doit, poursuivre des perspectives ambitieuses, quand bien même on n’en attendrait pas de retours immédiats. Mais, ce manque de rationalité ne correspond pas au comportement usuel des grandes firmes industrielles. De plus, on constate que cette fable étonnante racontée par un ingénieur médiatique, auteur de nombreux ouvrages destinés au grand public, rencontre un immense succès populaire qui rejaillit indubitablement sur la société Google. On peut donc se hasarder à penser que l’objectif de cette firme serait publicitaire, car cela en renforce la renommée. Mais, je crois que l’on doit aller plus loin dans l’analyse de la stratégie de Google : non seulement, cette société veut faire parler d’elle en faisant rêver, et en promettant l’immortalité qui découlerait du téléchargement de la conscience, mais de plus, elle veut occulter ses pratiques quotidiennes, centrées sur une utilisation abusive des données personnelles. 

Qui plus est, nous pensons que Google nourrit d’autres ambitions d’ordre politique qui ne portent pas tant sur le dépassement de l’humain, comme elle le prétend, que sur le dépassement de l’État, en assumant à sa place un certain nombre de fonctions qui relevaient jusqu’ici de ses prérogatives quasi-exclusive, comme la sécurité intérieur, en particulier l’état civil, la santé, l’éducation, le cadastre, la monnaie, etc. En somme, à travers la promotion de l’algorithme souverain de Ray Kurzweil, l’ambition masquée de Google consisterait assumer à la place des États les attributs de la souveraineté.

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