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La crise du Qatar ou le calcul bien hasardeux de l’Arabie Saoudite
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Ultimatum

Aujourd’hui, mardi, était censé être la date butoire de l’ultimatum de l’Arabie Saoudite eu égard à l’offre en 13 points faite au Qatar pour mettre fin au quasi blocus dont ce pays fait l’objet depuis deux semaines. Or ce délai vient d’être prorogé de 48 heures...

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Cette liste de treize demandes extravagantes élaborée par les saoudiens exigeait en particulier la fermeture d’une base militaire concédée à la Turquie, perçue comme un bastion des Frères musulmans, la fermeture de la chaine Al-Jazeera, appréhendée par les saoudiens comme un outil de propagande au service de ces mêmes frères musulmans et l’arrêt des relations diplomatiques avec l’Iran, l’ennemi perse chiite, ainsi que le paiement d’une somme indéterminée à titre de dommages et intérêts pour le soutien allégué du petit émirat au terrorisme islamique. Cette liste contenait également une demande d’audit régulier de ce pays par l’Arabie Saoudite afin de vérifier le respect par le Qatar des demandes adressées par ces autres pétromonarchies du golfe persique que sont, outre l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unies et l’Egypte. La conséquence du non-respect par le Qatar de ses demandes saoudiennes serai,t en particulier, celle de perdre ses partenaires commerciaux qui seraient placés devant le choix de traiter soit avec le Qatar soit avec l’Arabie Saoudite. Choix vite fait compte tenu de l’importance de ce dernier. Le tout sur fond de rumeur d’annexion du Qatar par Ryad ou de coup d’Etat de palais, fomenté par les saoudiens à Doha, au profit d’autres membres de la famille régnante qatari.

Cette tentative de mise sous tutelle du Qatar est le dernier accès de colère violent de l’homme fort de l’Arabe Saoudite, le jeune prince Mohammad bin Salman promu Prince héritier en titre la semaine dernière, par son père le roi Salman. Le dernier et pas l’unique accès de colère car il est coutumier des décisions hâtives, qu’il a tendance à baptiser de grands noms pompeux tel que « tempête décisive », désignant la guerre lancée au Yémen contre les Houties, ce mouvement rebelle chiite qui contrôle la capitale Sana et représente à peu près 50% de la population yéménite qui en compte plus de 28 millions. Or la seule chose de « décisive » qu’a eu cette « tempête » était d’entrainer la mort de 35,000 civils au Yémen par des bombardements inconsidérés de l‘aviation saoudienne et de pousser sa population, déjà la plus pauvre du monde arabe, dans la famine et le choléra. L’armée saoudienne étant elle obligée de se battre dans son propre territoire, dans le sud du pays contre les incursions Houties à Jayzan, ville saoudienne située à l'extrême sud-ouest du pays à une soixantaine de kilomètres de la frontière avec le Yémen. De même, la seconde ville libérée du Yémen, Aden, a été livrée à des groupuscules terroristes affiliés à Al-Qaeda et autres mouvements salafistes. Sana, la capitale Houtie étant bien loin encore des visées saoudiennes.

Or, la conséquence la plus vraisemblable de cette mise au ban du Qatar est celui de l’avoir projeté dans les bras de l’Iran, situation que voulait précisément éviter cet ostracisme imposé. En effet, au lendemain de la fermeture de l’unique frontière terrestre du Qatar, celle avec l’Arabie Saoudite, les iraniens, assistés des Turcs, se sont précipités afin de remédier au manque de nourritures et autres biens nécessaires, par un pont aérien reliant Téhéran et Istanbul à Doha. Le Qatar poussé dans les bras de Téhéran permet à ce dernier d’étendre sa zone d’influence directement au nord de la péninsule arabique. Le Qatar n’avait guère d’autres choix, ne serait-ce que du fait du partage à 50/50 de la plus grande poche gazière au monde, qualifiée de Pars Sud par les iraniens et de Dôme du Nord par les Qataris. Poche gazière qui représente son unique source de revenu !

De même, alors que l’un des objectifs justifiant la violence exercée contre le Qatar était celui de contraindre l’émirat à cesser de soutenir le mouvement des frères musulmans, la présence, maintenant enracinée de la base turque dont les saoudiens cherchait à tout prix la fermeture, va permettre au seul Etat du monde musulman dirigé par les frères musulmans, la Turquie, d’y prendre fermement pied. Par ailleurs, autre conséquence non souhaitée et probablement la plus importante de l’isolement du Qatar et du pointage du doigt du mouvement des frères musulmans, est celle de pousser ce mouvement transnational panarabe dans les bras de l’Iran chiite qui retrouve ainsi un moyen de pression, pour ne pas dire de présence, dans la totalité des pays musulmans sunnites. Il en va de même du rapprochement turco-iranien, unis dans la haine manifestée par les Saouds à leur égard. Dans cette crise qatarie, l’Iran et la Turquie trouveront donc une occasion de se rapprocher après avoir combattu dans des camps opposés en Syrie ! Jamais un tel rapprochement n’aurait été envisageable sans cette crise qatarie.

Le bilan de l’opération contre le Qatar est non seulement totalement antinomique avec le but recherché, elle n’a servi qu’à fragiliser davantage le camp saoudien, à renforcer celui des iraniens et à consolider celui des Frères musulmans en leur apportant le soutien de Téhéran. Même si les Saouds voulaient volontairement nuire à leurs propres intérêts, ils n’auraient pas pu mieux s’y prendre.

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