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Discours au Congrès : ces 3 dossiers sur lesquels Emmanuel Macron aurait tout intérêt à sortir de l’ambiguïté
©REUTERS/Philippe Wojazer

Règle de trois

Affaires étrangères, fiscalité et sécurité sont les trois côtés du triangle des Bermudes en Macronie. Ce discours devant le Congrès devra sortir le quinquennat de l'incertitude sur ces sujets.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce 3 juillet, Emmanuel Macron se présentera devant le Congrès, à Versailles, dans un discours qui devrait permettre d'éclaircir les positions du nouveau Président sur certaines thématiques. Que cela soit sur les questions de politique étrangère, de sécurité, ou des questions budgétaires, Emmanuel Macron ne semble pas encore avoir imprimé une direction suffisamment claire pour le pays. Sur ces 3 questions, quel est le voile que le Président se devra de lever pour enfin clarifier ses positions ? 

Edouard Husson : Je vous propose de dépersonnaliser la question, pour commencer l'analyse. Sur les trois sujets majeurs que vous mentionnez,  la France poursuit à peu près la même politique depuis une trentaine d'années. En politique étrangère, François Mitterrand a fait revenir la France dans l'organisation occidentale de l'Europe et du monde - le basculement fut définitif, paradoxalement, à l'occasion de la fin du communisme. L'Union Européenne, dont les traités font référence à l'OTAN est le cadre dans lequel s'est déployée la politique étrangère française de l'ère Mitterrand à aujourd'hui. En matière de sécurité, même chose, il faut remonter à François Mitterrand, au moment où sont conçus les accords de Schengen. Jamais aucun président français ne les a, depuis lors, remis en cause, même quand il devenait clair que la sécurité aux frontières de l'Union n'était pas assurée avec la rigueur promise dans le cadre de Schengen. Quant aux questions budgétaires, elles sont, là encore, traitées, depuis 1983, dans le cadre obligatoire de la convergence monétaire franco-allemande. Le problème n'est pas l'équilibre budgétaire - il doit toujours être une priorité; mais la politique de changes fixes  (jusqu'à ne plus pouvoir en sortitr par la monnaie unique), système dans lequel s'est enfermée la France - alors que nous vivons depuis les années 1970 en régime mondial de changes flottants. Remarquons que le pays n'arrive jamais à revenir à l'équilibre budgétaire souhaité car le pays est privé de cet instrument que devrait être l'ajustement monétaire permanent à la conjoncture mondiale. Il me semble que, sur le budget, le nouveau président a déjà levé un coin du voile: la France tiendra ses engagements budgétaires sans exiger une politique de change active de la part de la BCE - rien de nouveau sous le soleil élyséen ; en matière de sécurité, on ne voit pas venir d'exigence sur l'application stricte des accords de Schengen par nos partenaires; quant à la politique étrangère,  le nouveau président envoie des signes contradictoires vis-è-vis des Etats-Unis mais il n'a jusqu'ici pas signifié autre chose que sa volonté de rester dans le cadre occidental. 

Christophe Bouillaud : Il me semble tout de même que la  ligne générale  du « macronisme » est déjà très claire à ce stade, entre le parcours d’Emmanuel Macron lui-même, sa campagne électorale pour la présidentielle, et ses premiers actes en tant que Président de la République, pour ne pas parler de l’orientation de ses premier et second gouvernements. D’un point de vue très général, Emmanuel Macron est donc libéral en économie, européiste en géopolitique, et bonapartiste dans sa relation à la société française. Cela veut dire par exemple, comme on l’a vu lors du dernier Conseil européen, qu’il veut relancer l’ «Europe de la défense » en lien avec l’Allemagne, et si possible obtenir une « Europe qui protège », toujours en lien avec l’Allemagne, en matière économique et sociale. De ce même fait, il ne peut qu’être pour un sévère ajustement des finances publiques françaises pour respecter les règles en vigueur depuis le Traité de Maastricht. La Cour des comptes vient en plus de lui donner son appui marqué à travers son récent Rapport. Sa réforme du marché du travail part de considérations semblables, avec un fort affichage face aux investisseurs pour constituer la vitrine extérieure d’une France qui se réforme enfin et où l’on peut donc investir sans appréhensions excessives. Pour ce qui est des questions de politique étrangère et celles de sécurité, on sent bien déjà que le réalisme l’emporte en pratique sur les grandes envolées qui célèbrent par ailleurs la France patrie des Droits de l’Homme. Le discours de Versailles devrait donc confirmer cette triple orientation générale – libérale, européiste, bonapartiste - en l’inscrivant dans l’intérêt général de la France et des Français sur le long terme. 

Bref, il me semble que les directions choisies sont déjà assez claires dans tous ces domaines. Par contre, elles n’ont pas encore de noms. On se rappellera que, lors de son prétendu tournant de début 2014, François Hollande promeut enfin explicitement « le socialisme de l’offre » qu’en réalité, il pratique depuis le début de son mandat. Macron est alors conseiller du Président. Peut-être qu’Emmanuel Macron, devenu lui-même Président, entendra lors de son discours devant le Congrès promouvoir une ou des formules faciles à retenir par les médias qui deviendront le résumé de son orientation, peut-être la « start-up nation » dans une version francisée pour l’occasion. Nous verrons bien ce que ses communicants et lui-même auront inventé pour résumer la démarche de « Jupiter ». 

Dans quelle mesure, sur des questions aussi clivantes politiquement (politique étrangère, sécurité, budget)  la sortie de l’ambiguïté pourrait avoir pour effet de compromettre le positionnement "ni droite - ni gauche" sur lequel Emmanuel Macron a construit sa victoire ? Avec quelles conséquences ? 

Edouard Husson : En fait, le clivage sur les sujets dont nous parlons n'est pas entre droite et gauche. Il est entre les partis de gouvernement, d'un côté - qui défendent coûte que coûte le consensus européiste au sein de l'alliance occidentale -  et les partis populistes, de droite ou de gauche. Ce que vous appelez l'ambiguïté d'Emmanuel Macron vient de ce qu'il a gagné l'élection présidentielle en rassemblant électoralement la droite et la gauche de gouvernement. Il a dû faire attention car il y a tout de même des nuances entre les électorats. Par exemple on trouve plus d'hostilité à l'Islam dand l'électorat qui a voté Fillon. Macron a de fait entretenu l'ambiguité sur ce qu'il voulait faire en matière de lutte contre le terrorisme islamiste. De même, l'électorat de Fillon  s'est mobilisé au sein de "la manif pour tous" et Macron a fait des déclarations contradictoires avant le premier tour (défendant la loi Taubira mais comprenant l'émotion qu'elle avait suscitée....); à vrai dire cela permettait en même temps au candidat de ne pas choquer l'électorat musulman, lui aussi hostile à la loi Taubira. Sur le budget, droite et gauche de gouvernement sont d'accord, comme le montre la nomination de Bruno Le Maire à Bercy. Le président a dû, cependant, dévoiler plus tôt encore que ses prédécesseurs, les contraintes qui pèsent sur le budget - Chirac, Sarkozy ou Hollande avaient attendu l'automne suivant leur élection; il lui sera difficile de garder sa popularité dans son électorat s'il ne peut, de fait, rien entreprendre pour cause de budget contraint.  L'érosion a commencé à gauche, compensée partiellement par un gain de popularité à droite. Sur la sécurité, aussi, il serait possible de gagner à droite ce qu'on perd à gauche; mais une politique efficace passe par la suspension et la renégociation de Schengen: cela sera-t-il compris par un électorat macronien très européiste? C'est sans doute en politique étrangère qu'un changement de ligne - le basculement eurasiatique (rapprochement avec la Russie et la Chine) - poserait le moins de problème car la remontée du prestige international de la France serait rapide; le président aurait intérêt à l'effectuer sans trop tarder pour préparer une deuxième partie de quinquennat qui le fasse moins dépendre de l'Allemagne, sur les deux autres sujets, politique sécuritaire et budgétaire, sans l'obliger à compter sur des Etats-Unis eux-mêmes instables.  La clé de l'avenir économique de l'Europe mais aussi de la stabilisation géopolitique du monde se trouve dans un rapprochement avec l'Organisation de la Coopération de Shanghai et dans une participation à la "Nouvelle Route de la Soie" ("One Belt. One Road"). Mais on est encore très loin d'un tel tournant de la politique française. 

Christophe Bouillaud : A mon sens, cette sortie de l’ambiguïté a déjà eu lieu.  Les électeurs qui ont voté Emmanuel Macron au premier tour des présidentielles, puis aux législatives pour les candidats LREM, savaient déjà à quoi s’en tenir. Il a attiré à lui les électeurs socialistes qui étaient déjà largement convaincus de ce mélange libéralisme/européisme/bonapartisme. Une bonne partie des électeurs les plus modérés de Hollande en 2012 ont en effet basculé vers E. Macron sans avoir le sentiment d’avoir eux-mêmes changé en quoi ce soit.  Inversement, les électeurs qui n’ont pas voté pour lui qu’ils soient de droite ou de gauche savent très bien à quoi s’en tenir. Les lignes de fracture, sur l’Europe par exemple, existent déjà.  Quoi qu’il dise lors de son discours de Versailles du 3 juillet, il ne risque donc pas de décevoir tant que cela l’électeur de la France insoumise ou du Front national. Il pourrait certes s’aliéner l’électeur de droite catholique s’il annonçait vouloir faire encore quelque réformes de société, comme par exemple la libéralisation de la PMA pour tous les couples, mais, là encore, serait-ce vraiment une surprise ?  Par contre, il est possible que des électeurs « macronnistes » d’aujourd’hui finissent par découvrir qu’ils vont payer une partie de la douloureuse  du « macronisme ». Je pense en particulier aux retraités aisés dont la réaction face à la hausse bien réelle de leur taux de CSG risque d’être amusante à observer, tout comme celle de nombreux salariés du privé face à un Code du travail devenu bien peu protecteur, y compris sans doute pour les cadres. On aura remarqué le peu d’enthousiasme de la CFE-CGC face aux discussions actuelles sur le marché du travail.

Cependant, Emmanuel Macron est parvenu tout au long de ces derniers mois à conserver cette forme d’ambiguïté, dont le dernier épisode peut être illustré par un discours d'ouverture sur la question des migrants, aux côtés d'Angela Merkel, alors que dans le même temps, Gérard Collomb exprimait une position plus "stricte" sur le territoire. Quels risques politiques prend Emmanuel Macron en ne sortant pas de l’ambiguïté ? 

Edouard Husson : Sur la politique budgétaire , Emmanuel Macron ne pourra pas dire la réalité sans devoir avouer qu'il n'a quasiment aucune marge de manoeuvre. Alors il va cultiver autant que faire se peut l'image du président volontariste - le style est différent de Sarkozy mais la méthode est à peu de choses près la même. En ce qui concerne la sécurité, le constraste que vous soulignez entre le président et son ministre de l'Intérieur ne fait que refléter l'immense difficulté à prendre en main le sujet si vous décidez d'emblée de tout faire en commun avec l'Allemagne. Madame Merkel n'a aucun intérêt à ce que l'espace Schengen soit mis en cause puisqu'elle considère maintenant que son pays n'arrivera pas à assumer l'intgration de tous les réfugiés accueillis et qu'elle souhaite que les voisins occidentaux ou centre-européens, prennent une part de l'oeuvre d'accueil. Si l'on prend un domaine où le président français a tracé d'excellentes perspectives, sans aucune ambiguité: l'éducation, de l'école primaire à l'université, on est tout de suite ramené à la question budgétaire. Il faudrait faire des investissements massifs dans la transformation numérique, par exemple, mais où ces financements seront-ils pris? Quand je vois l'énergie et l'intelligence politique du nouveau président, cependant, je ne peux m'empêcher de penser qu'il ne regardera pas son quinquennat sombrer au bout d'un ou deux ans sans réagir. Le test va venir d'ici quelque temps, lorsque "Jupiter" aura le choix entre le naufrage de son quinquennat et une autre politique.  Pour lui, il ne s'agit pas de sortir de l'ambiguïté: la politique euro-atlantiste le condamne à jouer avec l'opinion; c'est de cette politique qu'il faudra sortir pour retrouver le chemin d'une France indépendante, pacifique, prospère, grande puissance éducative fière de son universalisme retrouvé et capable de faire de ses habitants les entrepreneurs de leur destin dans un nouveau creuset national. 

Christophe Bouillaud : Je ne suis pas sûr que cela soit un risque politique. Pour prendre votre exemple, le double discours Macron/Collomb correspond parfaitement aux demandes de l’opinion publique centriste, de centre-droit ou de centre-gauche, constitué des classes supérieures et moyennes de notre pays. D’une part, on n’est pas des parfaits salauds, comme ces gens de peu votant extrême-droite du côté de Béziers ou d’Hénin-Beaumont, et l’on réaffirme donc hautement l’enracinement de notre République et de l’Union européenne dans le combat victorieux de la Seconde guerre mondiale contre le racisme et le fascisme – d’où le discours d’ouverture sur les réfugiés. D’autre part, en pratique, il est bien connu aussi de ces mêmes électeurs que la France et l’Europe ne peuvent pas accueillir toute la misère du monde, et il faut donc décourager comme le fait un Gérard Collomb à Calais, mais aussi toute la politique européenne en la matière, avec humanité et avec cœur bien sûr comme disait un Ministre de l’Intérieur dans les années 1990, ces migrants de venir déranger pendant qu’on est occupé à créer des start-up par milliers ou à profiter d’une retraite bien méritée. Plus généralement, ce n’est pas tant une ambiguïté dont il serait dangereux de sortir, que d’une hypocrisie, largement partagée par des millions de Français, qu’il faut entretenir à force de formules creuses. C’est là encore très bonapartiste : on se déclare républicain, et en même temps, on se donne le titre impérial.  On sort de l’état d’urgence, et en même temps, on inscrit ses principales mesures dans le droit ordinaire. 

 Il faut bien dire par ailleurs que cette innovation de réunir le Congrès à Versailles pour que le Président de la République puisse tenir son discours devant les deux Assemblées, juste avant le discours de politique générale du Premier Ministre, met en jeu toute une symbolique monarchique/impériale dont il faut espérer pour Emmanuel Macron qu’elle ne tournera pas à son désavantage. Il pourrait bien finir par faire de ses opposants de farouches républicains. 

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