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L'Etat islamique en Irak, c'est fini : oui, mais ailleurs ?
©MOHAMED EL-SHAHED / AFP

Encore et encore

Le gouvernement irakien vient de déclarer la fin de l'Etat Islamique dans la ville de Mossoul, au nord du pays "leur état fictif vient de tomber". Si certains combattants restent encore actifs dans certains quartiers, le symbole de la reprise de la Grande Mosquée Al Nuri semble indiquer la défaite de l'Etat Islamique.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Que sait on de la réalité du terrain ? Alors que les dernières positions syriennes de l'Etat Islamiques se concentrent dans des zones proches de la frontière irakienne, quels sont les risques de voir l'Etat Islamique resurgir en Irak ?

Alain Rodier : Effectivement, le Premier ministre irakien Haidar al-Abadi a annoncé la « fin de l’Etat islamique ». Mais il s’est empressé d’ajouter que « les combats étaient loin d’être terminés ». Il faut plutôt comprendre les propos de al-Abadi comme : "la fin de l'EI en tant qu'entité étatique".

En fait, c’est la prise des ruines de la Grande Mosquée Al-Nuri qui est extrêmement symbolique. A savoir, que c’est là que le 4 juillet 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, a prononcé son seul prêche en public appelant tous les musulmans à lui faire allégeance et à rejoindre le « califat » qui avait été officiellement proclamé le 29 juin précédent par le porte-parole du mouvement, al-Adnani.

Les rebelles de Daech ont fait exploser le minaret (Al-Hadba) de la mosquée (qui avait été achevé en 1172 AC) alors que les forces gouvernementales n’en n’étaient plus qu’à quelques centaines de mètres. Ils ont prétendu que c’était une frappe aérienne US qui avait détruit ce monument historique dans le but d’accentuer un peu plus le ressentiment des musulmans vis-à-vis des Américains (et plus généralement à l'égard des Occidentaux). Heureusement, cette action a pu être filmée depuis les lignes gouvernementales irakiennes. Ces films montrent à l’évidence que le minaret a été détruit par des charges explosives placées à l’intérieur du bâtiment. Ce style de destruction ne s’improvisant pas (il faut amener les charges nécessaires, les installer dans des endroits précis, mettre en place un système de mise à feu simultané, etc.), il est évident qu’elle avait été programmée depuis un certain temps. Toutefois, il a encore fallu une semaine aux assaillants pour franchir les derniers mètres pour parvenir au niveau de la mosquée, ce qui montre la lenteur de la progression en zone urbaine détruite, milieu qui est toujours favorable aux défenseurs.

Le porte-parole de l’armée irakienne affirme que « la bataille devrait s’achever dans les prochains jours ». Toutefois, il reste deux poches de résistance importantes dans lesquelles 100 000 civils seraient encore coincés. Bien sûr, le nombre de combattants de Daech n’est pas connu mais leur détermination semble être encore élevée. Pour les Américains, soit ils se rendent (j’ai quelques doutes sur cette option), soit ils se font tuer sur place en emmenant dans leur martyre un maximum d’adversaires et de civils…

Et quand bien même tous les quartiers seraient bouclés, il faudra ensuite passer la ville au peigne fin pour éviter que des activistes dissimulés dans les ruines et au milieu des rescapés ne mènent des actions offensives sur les arrières. A n’en pas doute, la bataille de Mossoul n’est pas encore terminée.

Quant au proto-Etat islamique, il n’a pas encore cessé d’exister. Daech tient la vallée de l’Euphrate de Ana al-Jedid à l’est (à l'ouest de Bagdad) jusqu’à la frontière syrienne (al-Qaim) puis en Syrie jusqu’à Raqqa(1) en passant par Deir Ez-Zor(2).

En Irak, les peshmergas ne s’aventureront pas jusqu'à l'Euphrate d’autant qu’ils ont prévu un référendum le 25 septembre concernant l'indépendance éventuelle du Kurdistan irakien (à la grande fureur de Bagdad et d’Ankara et sans le soutien des Américains - pour Téhéran, cela reste plus indécis pour l’instant -).

1. La partie nord de la ville serait encerclée par les Forces Démocratiques Syriennes qui ont progressé plus rapidement que prévu.

2. Où la garnison gouvernementale syrienne est assiégée depuis 2013.

Comment expliquer ce qui semble ressembler à une compétition dans la revendication de la victoire sur le terrain de Mossoul, entre gouvernement irakien et kurdes ?

Trois forces vont se disputer la prise de Mossoul : le pouvoir légal de Bagdad, les Kurdes et les milices chiites fidèles à Téhéran. Le problème est : qui va gérer la suite et surtout, la gestion des populations locales majoritairement sunnites?

Quoiqu’on en dise, une grande partie de cette population avait accueilli Daech en « libérateur » de ce qui était considéré comme le « joug chiite de Bagdad ». Des reportages commencent à montrer des scènes de pactisation entre civils, militaires et miliciens mais cela ne reste du domaine de la propagande. Bien sûr, au départ, les civils vont être obligés de coopérer car c’est leur survie même qui en dépend, mais après ?

Il n'est pas impossible qu'il y ait même des accrochages entre les Kurdes et l'armée irakienne. Quant aux milices chiites, elles sont hors contrôle, sauf pour une partie d'entre elles placée sous la houlette de Téhéran.

Dans quelle mesure la défaite de l'Etat Islamique en Irak pourrait elle changer le cours des choses, notamment sur les alliances qui se sont formées "contre" l'Etat Islamique en Irak ?

Je persiste à penser que l’on va assister à un éclatement de l’Irak et de la Syrie avec des autorités locales (des chefs de guerre) qui géreront la situation comme elles le pourront. Peu importe comment cela sera appelé pour sauver les apparences (« fédéralisme » ?) car toutes les capitales refusent officiellement cet éclatement qui atteint le sacro-saint principe « intangibilité des frontières », mais les intérêts des différentes parties sont trop divergents pour espérer parvenir à les réconcilier à moyen ou long terme.

Les différentes coalitions peuvent aussi se déliter surtout que l’Arabie saoudite traverse aujourd’hui une crise majeure (intérieure et extérieure). L’évolution de ce qui se passe avec le Qatar et au Yémen peut mettre en péril la dynastie des Saoud où une révolution de palais est en cours. Il est fort à parier que la situation sur le front syro-irakien n’est plus sa priorité. Quant à la Turquie, le président Erdogan peut tout d’un coup décider un « demi-tour » dont il a le secret sachant que son seul souci est de ne pas voir la création d’Etat kurde - que ce soit en Syrie ou en Irak) à sa frontière sud. Des rumeurs de plus en plus insistantes font état d'une invasion de la province d'Efrin (au nord-ouest de la Syrie) qui est tenue par le YPG (Kurdes syriens proches du PKK).

Enfin, la Russie et les Occidentaux semblent régler leur politique au coup par coup en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain. De plus, le président Trump semble être au moins aussi imprévisible que son homologue turc.

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