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Philippe 2 : le sacre du gouvernement profond
©FRANCK PENNANT / AFP

Technos, toujours pareil

Avec le départ de Bayrou et des ministres MODEM, le gouvernement Philippe a perdu ses dernières figures "politiques" et connues. L'équipe du gouvernement Philippe II est une énumération de technocrates. Macron dévoile désormais sans complexe sa crispation sur le gouvernement profond.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Macron avait annoncé, durant la campagne, qu'il ferait appel aux meilleurs dans son gouvernement. Il y avait plusieurs façons (non exclusives l'une de l'autre) de comprendre cette intention. D'un côté, il s'agissait, bien sûr, de renouveler l'action politique en favorisant l'émergence de figures compétentes mais non issues de la classe politique. De l'autre, ce renouvellement consacrait un phénomène moins immédiatement compris mais qui définit ce qui est train de se passer: le triomphe du gouvernement profond.

Gouvernement profond, gouvernement par la technostructure

Tous les pays industrialisés sont logés à la même enseigne: par-delà les institutions démocratiques, il existe une ou plusieurs classes sociales qui tendent à monopoliser le pouvoir et à orienter à leur profit les décisions publiques. En France, ces classes sociales, qui ont largement parié sur Emmanuel Macron et ont assuré son élection (notamment par un soutien médiatique), s'appuient ordinairement sur une technostructure. Celle-ci est à la fois l'émanation des classes dominantes et leur cheville ouvrière. 

La Vè République a longtemps brandi un paravent plus ou moins flexible devant cette coalition d'intérêts. Ce paravent s'appelait la classe politique. L'entreprise de renouvellement menée par En Marche a consisté à le faire voler en éclat. 

On comprend aujourd'hui que l'enjeu d'Emmanuel Macron n'est pas de le remplacer immédiatement par un autre paravent d'illusions, mais plutôt de mener des réformes présentées comme structurelles avant de reconstituer une classe politique en soi. Pour ce faire, il a besoin d'une phase où la technostructure reprend ouvertement le pouvoir et prend les décisions qui lui conviennent ou qui la servent.

Il ne faut pas interpréter autrement la longue liste d'inconnus qu'Alexis Kohler a égrenée hier sur le perron de l'Élysée. Elle témoigne d'un jeté bas de masque et d'une reprise en main directe de l'appareil d'État par ceux qui en ont l'usage le plus intéressé. 

Quel est le projet politique de la technostructure?

Sans surprise, c'est au nom de l'intérêt général que ce resserrement des élites est pratiqué. L'argumentaire pour justifier cette opération est bien connu: la classe politique est incapable de réformer efficacement le pays. Il faut donc la remplacer par des gens compétents capables de moderniser le pays.

Toute réaction nobiliaire s'appuie toujours sur le même bréviaire, sous une forme ou sous une autre. Sous Louis XVI, l'éviction des "bourgeois" par la vieille aristocratie incompétente s'était appuyée sur les mêmes ressorts illusoires. C'est en effet un mensonge propagé par la technostructure que de rejeter en bloc sur les élus du peuple la faillite du système sur le dos duquel elle vit; comme la vieille noblesse s'était menti, dans les années 1770, en prétendant que les difficultés du Royaume tenaient à l'infiltration de l'intérêt général par ceux qui exerçaient des professions mécaniques. 

Mais, pour la technostructure, qu'est-ce que l'intérêt général sinon l'expression de ses propres intérêts? On l'a vu avec l'affaire Ferrand, où un dirigeant de mutuelle (réputée appartenir à l'économie sociale et solidaire) ne voit pas d'obstacle à se constituer son patrimoine personnel avec l'argent de ses adhérents (puisque le mot "client" n'a pas cours dans cet univers). On le verra avec Agnès Buzyn, médecin qui trouve normal d'imposer 11 vaccins obligatoires dont un vient d'être reconnu à l'origine d'une sclérose en plaques par la Cour de Justice de Luxembourg - le même médecin fut un temps rémunéré par le principal fabricant de vaccins en France. 

"L'intérêt général, c'est moi!" proclame le technocrate, et on ne tardera pas à comprendre que l'intégration de la société civile dans le gouvernement ordinaire nourrira abondamment la chronique de ces déviances. 

L'intérêt général reste donc à réinventer

Ce que l'équipe d'inconnus s'apprête à démontrer aux Français, c'est qu'elle est effectivement porteuse d'un projet de renouvellement, mais que les objectifs de ce projet sont loin d'être en accord avec la majorité des Français. Même si Macron profite d'une embellie dont il ne sera pas le géniteur, il aura du mal à dissimuler les déceptions que la technocratie porte en germes. 

Passe encore sur les ordonnances qui susciteront des animosités mais dont l'échéance était annoncée depuis longtemps. C'est l'ensemble des politiques publiques qui tôt ou tard sera déceptif pour les Français: les mesures qui seront prises seront marquées du sceau d'une certaine efficacité... dont on mesurera la distance qui la sépare d'un projet de société cohérent. 

Il ne suffit pas de répéter à tout bout de champ le mot "bienveillance" pour incarner ce qu'on dit. Et il ne faut jamais confondre le sens des bienséances en vigueur dans notre aristocratie avec la bienveillance dont on entend parler tous les jours. Maîtriser les codes de la bonne éducation pour jouer dans la cour du pouvoir n'a jamais suffi à devenir bienveillant. 

L'expérience montre et montrera que c'est même souvent le contraire qui se produit. 

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