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Les enclaves aisées : points d’appui du vote Macron dans la France périphérique
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Les enclaves aisées : points d’appui du vote Macron dans la France périphérique C’est le cas notamment d’enclaves relativement privilégiées, soit par la situation géographique, soit par des caractéristiques économiques propres.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Loin de s’opposer, ces deux constats montrent que le clivage « gagnants/perdants » ne se décline pas uniquement à l’échelle régionale mais également à un niveau plus local, ce qui confirme la puissance de ce phénomène, qui fonctionne dans les régions de l’ouest - moins réceptives au vote FN - comme sur la façade est du pays - où ce vote est plus ancré historiquement -, à l’exception de certaines enclaves. 

1- Bourgogne : La Côte de Nuits vote Macron et la plaine Le Pen

C'est le cas par exemple de la micro-région de la Côte de Nuits et des Hautes-Côtes de Nuits dans le département de la Côte d'Or. Ce terroir est béni des dieux et l’on y produit des vins réputés mondialement. Localement, on y trouve une population qui bénéficie de la mondialisation, avec un niveau de vie très confortable. Lorsque l'on quitte le coteau pour retourner dans la plaine, les retombées économiques de cette situation privilégiée se dissipent rapidement à quelques kilomètres seulement de distance de cette enclave, ce qui n'est pas sans conséquence sur les comportements électoraux. Au cœur de ce vignoble prestigieux, Emmanuel Macron réalise ainsi au second tour près de 65% des voix, et son score diminue plus on s’en éloigne, pour tomber à 42,3% et être minoritaire à trente kilomètres de là. À l’inverse, Marine Le Pen réalise seulement 35,3% au cœur du vignoble, 42,4% à dix kilomètres, 45,4% à vingt kilomètres, et devient largement majoritaire (57,7%) à trente kilomètres.

Des situations d’enclaves aisées comparables à la Côte de Nuits en Bourgogne s'observent également dans le Sancerrois par exemple. Marine Le Pen n’atteint en effet que 27,4% au second tour à Sancerre et son score est également très contenu dans les communes voisines de Verdigny (28,2%) et Bué (28,6%) qui bénéficient de l’activité viticole et touristique autour de ce vignoble réputé mondialement. Les résultats grimpent ensuite à 38,3% et 43,4% à Ménetou-Râtel et Veaugues, un peu plus distantes et à 49,3% à Gardefort et 50,9% à Bannay, villages situés à une quinzaine de kilomètres, Marine Le Pen ayant obtenu des scores très élevés dans la plupart des communes rurales du Cher.

On retrouve également des « microclimats » favorables à Emmanuel Macron dans les stations de ski en Savoie et Haute-Savoie, qui ont beaucoup moins voté pour Marine Le Pen que les communes situées dans le fond des vallées et qui ne bénéficient pas de la rente de "l'or blanc".

2- Le Morbihan : un net contraste entre la côte et l’intérieur des terres

La Bretagne a massivement voté pour Emmanuel Macron. Mais quand on zoome, on s’aperçoit qu’il y a deux Bretagne et que le vote Macron n’a pas la même intensité partout. Il est d’autant plus fort qu’on est proche des grandes villes comme Rennes et Nantes, ou que l’on se situe près des côtes, et surtout quand ces côtes sont des territoires très recherchés, comme le golfe du Morbihan, avec une économie balnéaire et touristique florissante. Plus on est proche du littoral, plus le vote FN est faible. Mais à l’intérieur des terres du Morbihan, dans des territoires qui vont moins bien économiquement et socialement que le littoral, le vote Macron est beaucoup plus faible et le vote FN gagne rapidement en intensité à des distances relativement proches de la mer.

Ainsi, le vote FN, qui n’a été au premier tour que de 6,9% à Arradon, sur la côte, atteint 13,8% à Saint-Nolff à 22 kilomètres de là; 22,7% à Plaudren à 24 kilomètres; 27,3% à Plumelec à 36 kilomètres et enfin 36,2% à Pleugriffet, à 48 kilomètres de la côte. Il est intéressant d’observer que même dans une région aussi acquise à Emmanuel Macron et à une échelle géographique pourtant assez réduite, on retrouve la fracture entre gagnants et perdants de la mondialisation. Ceux qui ont la chance d’avoir un capital culturel, un bon emploi et habitent les villes ou les lieux de villégiature sont à l’aise avec le monde tel qu’il est et confiants dans l’avenir, ce qui n’est pas le cas de ceux qui habitent dans des territoires plus fragilisés souvent pas forcément très éloignés des premiers.

Le prix de l’immobilier est un indicateur rendant bien compte de la valeur accordée à tel ou tel territoire. Le prix dessine ainsi une hiérarchie allant des espaces les plus prisés aux zones les moins recherchées ou valorisées. Les habitants d’un territoire donné ont une claire vision de cette hiérarchie et savent très bien s’ils vivent dans un « coin sympa » ou dans une zone moins attractive ou reléguée. C’est ce qui explique notamment que la carte du prix de l’immobilier (telle qu’on peut la consulter par exemple sur un site comme meilleursagents.com) se superpose souvent assez parfaitement à celle du vote FN.

Le cas morbihannais n’est pas un cas isolé. On retrouve d’autres exemples d’un survote balnéaire en faveur du candidat d’En Marche! : 74,8% à Arcachon mais 58,1% dans la commune de Belin-Béliet à une quinzaine de kilomètres par exemple. Même phénomène au Touquet. Emmanuel Macron a obtenu 81% des voix dans cette ville (où il dispose d’une résidence) alors que quand on se dirige vers l’intérieur des terres, le vote FN gagne rapidement en intensité dans les campagnes du Pas-de-Calais

3- Le Haut-Rhin : un cas d’école 

Dans le Bas-Rhin, au second tour, Emmanuel Macron l’a emporté par 63% contre 37% à Marine Le Pen et avec des variations très marquées au sein de ce département ce qui rend cette carte particulièrement intéressante. C’est un cas d’école où, sur un territoire relativement restreint, on voit les différentes logiques à l’œuvre dans le vote de l’un et de l’autre, dessinant en modèle réduit les «deux France» dont on a beaucoup parlé après le premier tour.

On distingue tout d’abord l’agglomération mulhousienne et la ville de Mulhouse elle-même, qui votent assez fortement Macron, comme le reste de la France urbaine,  du fait d’une surreprésentation des cadres, des classes moyennes et de la population issue de l’immigration. Le FN y faisait jadis d’assez gros scores mais il y a beaucoup décliné. C’est ce que l’on pourrait appeler le « syndrome du 9-3 » où, historiquement, le FN enregistrait parmi ses meilleurs résultats, et où il a beaucoup chuté, parce que la sociologie de la population locale a beaucoup changé en 25 ans. Quand la population issue de l’immigration devient très importante, le vote FN diminue mécaniquement. Dans certains quartiers de Mulhouse, où Emmanuel Macron a réalisé 70,5% le 7 mai, le même scénario est à l’œuvre. 

On observe également un vote Macron majoritaire autour de Colmar. C’est de nouveau «l’effet villes» qui fonctionne même pour des villes de taille relativement modeste. On constate ainsi par exemple le même phénomène avec une cité comme Bourges qui vote moins FN que le reste du département du Cher.

Ensuite, à côté de cet « effet ville », le Haut-Rhin offre un autre exemple de ce qu’on pourrait appeler «l’effet richesses», autour d’une rente particulière. Comme en Bourgogne ou dans la Sancerrois, il s’agit du vin . Tout au long de la route des vins, à Riquewihr, Ribeauvillé, Turkheim ou Guebwiller, se trouvent trente-deux communes plus ou moins peuplées. À taille de communes identiques, entre 200 et 2000 habitants, Marine Le Pen a réalisé en moyenne 46% dans le département. Mais dans les communes de cette taille qui ont la chance d’être situées sur la route des vins, avec davantage de richesse, de l’export et du tourisme, son score est tombé 38%. Il y a donc dans ces communes géographiquement privilégiées un bonus de 8 points pour Emmanuel Macron par rapport aux villages des contreforts des Vosges ou à ceux qui regardent vers la plaine d’Alsace, parfois seulement distants d’une dizaine ou d’une vingtaine de kilomètres de ce terroir favorisé. 

Lors du référendum d’avril 2013 sur la réforme territoriale (qui prévoyait la fusion des deux conseils généraux et de la région Alsace), le Haut-Rhin était apparu profondément divisé et avait majoritairement voté contre cette réforme que ses adversaires avaient présentée comme portant atteinte au cadre national visant à faire de l’Alsace une « euro-région » sur le mode des Länder allemands. Les communes de la route des vins avaient soutenu ce projet quand les autres communes rurales et les petites villes avaient basculé dans le front de refus. Or, il est intéressant de retrouver au second tour cette ligne de clivage. Comme le montre le graphique ci-dessous, le vote Macron est très indexé sur le vote « oui » de l’époque tandis que le vote Le Pen est lui très corrélé au vote « non ». On constate une anomalie dans ce graphique : dans la strate des communes qui affichaient un vote « non » entre 65 et 70%, le vote Macron est nettement plus élevé qu’attendu (et le vote Le Pen plus faible). Ceci s’explique par le poids de la ville de Colmar dans cette strate, ville dont le maire, Gilbert Meyer, avait à l’époque fait ardemment campagne pour le « non » mettant en avant le risque que Colmar perde son rang de préfecture (et les emplois publics associés) en cas de fusion des collectivités locales alsaciennes. 

Hormis cette anomalie, les lignes de faille apparues à l’époque entre les territoires les plus fragilisés et les zones les plus dynamiques sont toujours bien présentes aujourd’hui et se manifestent à travers les différents effets que nous avons identifiés.  

Troisième de ces effets justement : «l’effet frontalier» favorable à Emmanuel Macron : plus à proximité de la Suisse qu’avec l’Allemagne, car la Suisse est plus attractive avec Bâle. On trouve là des gens beaucoup mieux payés, et qui n’ont pas très envie qu’on leur parle de fermeture de frontières. C’est le même phénomène à Thionville (Moselle) à la frontière avec le Luxembourg. On constate ainsi une différence de 20 à 30 points de vote FN quand on s’éloigne de seulement 20 kilomètres de la frontière, la proportion de travailleurs frontaliers dans la population communale passant de plus de 40% à moins de 10%.

Enfin dernier effet, «l’effet Fessenheim» : Marine Le Pen a recueilli plus de 56% à Fessenheim même et est également majoritaire dans les communes voisines. L’outil de travail de bon nombre des habitants, mais aussi la prospérité de la commune et des communes limitrophes sont appelés à disparaître, ce qui suscite une réaction de colère. On constate le même phénomène avec une intensité plus ou moins forte autour d’autres centrales nucléaires françaises où le FN fait souvent de bons scores. C’est le cas notamment à Dampierre (57,7%) dans le Loiret, Saint-Vulbas dans l’Ain, où est implantée la centrale de Bugey (56,8%) ou bien encore de Gravelines dans le Nord (56,1%), les trois plus anciennes centrales avec Fessenheim, et donc celles pour lesquelles la menace d’une fermeture est la plus tangible .  De même, aux États-Unis, les mineurs de charbon de Virginie Occidentale, condamnés par la transition énergétique, avaient très massivement voté Trump qui fit campagne contre une Hillary Clinton, voulant fermer des mines au nom de la conversion de l’économie américaine à un modèle décarboné.


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