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Philippe à Matignon : la double erreur politique de la-droite-qui-y-va sans assumer de prendre sa carte de La République En Marche
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Marais

Le positionnement "sur le seuil" de certains candidats de la droite, les juppéistes en tête, qui refusent de quitter LR tout en prônant une alliance avec LREM brouille les cartes. Une telle attitude est en plus très risquée en cette période électorale.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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En acceptant le poste de premier ministre, Edouard Philippe prend une décision qui ébranle la droite. Il serait malvenu de la lui reprocher en tant que telle. Au moins a-t-il le courage d'afficher ses convictions quand beaucoup d'autres à droite jugent qu'il est urgent d'attendre d'y voir plus clair avant d'assumer leurs inclinaisons ou leurs envies de carrière.

On peut aussi reconnaître à Edouard Philippe la clarté de son engagement contre le FN qui l'a mené, comme il l'a répété lundi soir sur TF1, à souhaiter la victoire d'Emmanuel Macron.
Là, où les choses se compliquent, c'est dans la suite du raisonnement que le maire du Havre a exposé lors de son premier 20H. Faire gagner Emmanuel Macron contre le FN était un objectif totalement compatible avec son engagement chez Les Républicains. Soit. Mais ce lundi soir face à Gilles Bouleau, le nouveau premier ministre a enchaîné comme si cela coulait de la plus transparente des sources politiques qu'il fallait désormais aider Emmanuel Macron à réussir. Seulement voilà, souhaiter le succès d'un quinquennat pour le bien de la France et des Français est une chose parfaitement louable. Souhaiter la défaite de sa propre famille politique, ayant en toute logique vocation à assumer la possibilité d'une alternance républicaine et le contre-pouvoir parlementaire nécessaire au bon fonctionnement de toute démocratie est moins évident.
Car il ne peut pas y avoir de demi-mesure en la matière. En l'absence d'accord de gouvernement entre Les Républicains et La République En Marche, la victoire des uns emporte nécessairement la défaite des autres… et réciproquement.
Sauf à considérer qu'aux yeux d'Edouard Philippe, le programme des Républicains est exactement le même que celui d'Emmanuel Macron, un ralliement sans négociation de la moindre inflexion politique de la part du rallié ressemble quand même furieusement à un changement de famille politique.
François Bayrou en rejoignant Emmanuel Macron au mois de mars avait posé ses conditions, acceptées par En Marche dans la foulée et dont on a bien vu à l'occasion du psychodrame déclenchée par les investitures LREM le week end dernier qu'elles comportaient aussi un accord électoral.
Manifestement le programme de gouvernement défini par Emmanuel Macron et combattu par Edouard Philippe pendant la campagne présidentielle -comme en attestent ses tweets et autres chroniques dans Libération- convient désormais en tout point au nouveau premier ministre puisqu'il n'a fait état d'aucun engagement qu'il aurait obtenu en échange de son arrivée à Matignon. On n'ose imaginer à l'heure du renouveau démocratique que des promesses aient pu être faites sans qu'elles soient clairement affichés.
Tout au plus est-il apparu lundi que les négociations sur la nomination d'Edouard Philippe à Matignon avaient pris du retard car elles achoppaient sur le nombre de ministres de droite qui le rejoindraient et sur un point discret mais central, le choix de son directeur de cabinet. Autrement dit, le minimum minimorum de Ia négociation politique. Quelle autonomie pourrait bien avoir un premier ministre qui se serait vu imposer par l'Elysée son bras droit, véritable ordonnateur de la politique gouvernementale au quotidien ?
Pour autant, même sans accord politique, Édouard Philippe ne semble pas considérer qu'il trahit sa famille politique ni ses propres engagements passés.
L'intervention lundi après-midi de son mentor Alain Juppé paraissait, elle, plus gênée aux entournures. Derrière l'affirmation par le maire de Bordeaux de sa volonté de faire campagne aux côtés des candidats LR et UDI aux législatives sur une plateforme qui lui convient "pour l'essentiel", l'ambiguïté demeure sur l'après élections.
Dans la mesure où on imagine mal Édouard Philippe décidant d'aller à Matignon sans en avoir discuté avec Alain Juppé et où celui-ci s'est abstenu de dénoncer une trahison ni même une decision malvenue dans son tempo -avant les Législatives- l'hypothèse la plus crédible est qu'Alain Juppé valide sans le dire la perspective de la constitution à venir d'un groupe de parlementaires élus sur l'étiquette LR mais faisant le choix de compléter la majorité présidentielle.
L'appel lundi soir d'une vingtaine de personnalités de la droite et du centre, rejoints par Nathalie Kosciusko-Morizet, à saisir la main tendue par le nouveau président de la République montre bien d'ailleurs la logique politique à l'œuvre chez les juppéistes : il faut travailler avec Emmanuel Macron.
Et quand on écoute les arguments avancés par les personnalités concernées, il apparaît que, pour elles, ce qui se joue s'inscrit dans la logique d'un accord politique global, pas dans celle de ralliements individuels.
Et c'est bien là l'erreur que commet cette droite juppéiste. Une erreur qu'on pourrait même qualifier de double : d'une part, elle aborde son ralliement en ayant l'air de penser que cela s'inscrit dans le fil des coalitions gouvernementales à l'allemande, d'autre part, elle semble se comporter comme si la victoire d'Emmanuel Macron était en fait la victoire secrète d'Alain Juppé.
Sur le terrain de la coalition, Emmanuel Macron a pourtant été clair, il l'a dit et répété : il n'y aura pas d'accord de gouvernement entre forces politiques sous son quinquennat. Et quand bien même changerait-t-il d'avis, le ralliement d'Edouard Philippe ne ressemble en rien aux accords de gouvernement tels qu'ils se pratiquent en Allemagne, négociés pendant des semaines voire des mois au lendemain des élections législatives et pas à leur veille. Croire, en outre, que  la partie des Républicains prête à travailler avec Emmanuel Macron serait susceptible de faire peser la balance à droite au-delà de ce qu'est déjà prêt à consentir le président ressemble à une douce illusion. On se souvient du groupe CDS qui entre 1988 et 1993 s'était détaché de l'UDF à l'Assemblée nationale afin d'apporter ses voix au coup par coup au gouvernement de Michel Rocard mais dont le bilan politique était resté bien mince. À l'époque, le gouvernement de Michel Rocard "gauchisait" délibérément certaines des propositions de loi sur lesquelles il savait avoir besoin des voix du CDS afin de donner l'impression à ses alliés centristes de leur faire des concessions en amendant ses textes mais en revenant surtout in fine à ce qui aurait été de toute façon la version souhaitée par le gouvernement.
Sur le terrain de la victoire secrète d'Alain Juppé que représenterait le quinquennat qui vient de s'ouvrir, la droite Macron-compatible risque fort de déchanter également. Le nouveau président de la République l'a montré, il entend faire preuve d'autorité et ceux qui prétendraient l'influencer seront sèchement renvoyés dans leurs buts. Le sort réservé à François Bayrou au moment des investitures le confirme, hors de question pour le nouveau président de se mettre en situation de dépendre de la tutelle -même bienveillante- de qui que ce soit. Que le juppéisme et le macronisme aient des points de convergence est une chose, qu'il s'agisse strictement du même projet politique en est une autre fort différente.
Au final, quelle que soit la minimisation du poids politique d'Edouard Philippe qu'ont tenté de mettre en avant ceux des Républicains qui s'opposaient à son arrivée à Matignon, Emmanuel Macron réussit incontestablement un coup politique. Certes d'une ampleur moindre que s'il était parvenu à débaucher Xavier Bertrand voire Alain Juppé lui-même, un coup politique néanmoins.
Car même à supposer que la droite parvienne au prix d'on ne sait quels tortillements sémantiques à sauver la façade de son unité jusqu'au soir du second tour des élections législatives, on voit mal comment les Républicains pourraient ne pas exploser en deux groupes, l'un prêt à soutenir le gouvernement d'Emmanuel Macron, l'autre s'inscrivant dans son opposition, fût-elle constructive.
Ce coup politique se révèle d'autant plus en faveur d'Emmanuel Macron qu'on ne voit pas bien le gain politique que les Républicains pourraient retirer de l'arrivée d'Edouard Philippe à Matignon, dans la mesure encore une fois où rien ne semble avoir été négocié sur le terrain des concessions politiques. Cette nomination va à l'encontre de la position difficilement arrêtée par le parti d'attendre les législatives avant de se prononcer sur l'attitude à adopter face au nouveau président. Et elle prive LR du coup qui aurait pu être joué post Législatives dans l'hypothèse où la République En Marche ne parviendrait pas à réunir une majorité absolue sur son étiquette. Le ralliement d'un groupe issu des rangs des Républicains aura alors beaucoup moins de valeur puisque le Rubicon aura déjà été franchi par Edouard Philippe et par ceux des Républicains qui appellent aujourd'hui à répondre à sa main tendue.
À l'instar d'Edouard Philippe, une partie de la droite a ainsi fait ce lundi un choix qui ressemble plus à l'assouvissement d'envies de carrière qu'à la construction d'un véritable renouveau.
À sa décharge, Les Républicains depuis la défaite de François Fillon à la présidentielle n'ont pas franchement prouvé leur capacité à proposer une dynamique ni un programme enthousiasmants. D'autant que dénoncer les faiblesses ou la relativité de l'adhésion des Français au projet politique d'Emmanuel Macron ne saurait certainement pas suffire à exonérer la droite de la construction d'un projet à la hauteur des exigences de renouveau de la nouvelle ère ouverte par la présidentielle 2017.
En attendant que ladite droite s'y mette, Emmanuel Macron pourra continuer à marquer des points sur la lancée de son parcours gagnant de borgne au pays des aveugles.

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