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Tentation autoritaire : La République En Marche... vers le 3e Empire ?
©PASCAL GUYOT / AFP

Nouvelle tendance

A travers le fonctionnement du mouvement de l'actuel président sur un modèle similaire à celui d'une entreprise, mais également par le fait qu'Emmanuel Macron ne s'appuie pas véritablement sur un parti pour diriger, il se pourrait que le nouveau chef de l'Etat soit en train de réinventer un régime plus autoritaire.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : En tenant compte des principales caractéristiques d'Emmanuel Macron et de son mouvement (le fait qu'il ne s'appuie pas véritablement sur un parti, que le fonctionnement d'En Marche est très proche de celui d'une entreprise, etc.), ne pourrait-on pas dire que le nouveau président serait en train de mettre en oeuvre une forme de réinvention d'un régime plus autoritaire ?

Jean-Sébastien Ferjou : Au-delà d'aspects plus ou moins anecdotiques comme les déclarations de Richard Ferrand qui disait ce vendredi que "les ordonnances éviteront un enlisement dans les débats parlementaires" ou bien à un journaliste en conférence de presse ce jeudi "vous ne retenez pas la bonne hiérarchie de l'information", le fait de ne pas s'appuyer sur un parti mène à un fonctionnement très vertical. En effet, dans ce cadre-là, il n'y a pas de contre-pouvoirs locaux ou de barons qui peuvent s'opposer à la volonté du chef. Derrière le marketing du renouveau des visages, En Marche est une simple courroie de transmission de cette volonté. Et de fait, cela peut correspondre à l'attente d'une partie des Français, comme l'avait montré l'un de nos sondages sur la tentation d'une partie des Français pour un gouvernement d'experts autoritaires quitte à renoncer à une part de démocratie (voir ici.

Comme l'ont montré les documentaires sur la campagne, En Marche fonctionne comme une start-up, avec le chef et une agilité et une culture du marketing qui sont certainement très efficaces en entreprise ou pour se faire élire mais qui ne peuvent pas se fondre dans la démocratie qui, par nature, est beaucoup plus dans la contradiction et les débats de fond. 

A lire également sur notre site : "Passation de pouvoir : Emmanuel Macron ou le retour affiché de l'autorité"

Vincent Tournier : Si on prolonge la comparaison avec une entreprise, on peut effectivement voir En Marche comme une sorte de start-up qui a réussi. Après avoir su collecter des fonds,elle est parvenue à placer son produit, à savoir un président jeune, qui se veut proche des gens et moderne, ouvert sur l’Europe et le monde.Ce nouveau président est à l’image de la nouvelle économie : voulant rompre avec des pratiques anciennes, il propose une nouvelle façon de diriger, avec un management qui se veut moins directif et plus participatif, comme dans les grandes entreprises mondialisées où les hiérarchies s’estompent. 

Mais cette innovation trouve vite ses limites. Les esprits chagrins observent que l’horizontalité dans le monde de l’entreprise est souvent un leurre. Le capitalisme moderne s’est adapté aux nouvelles mentalités, mais la directivité est toujours aussi forte, même si elle est moins visible : tout le monde est égal, tant qu’il n’y a pas de décisions à prendre. 

C’est un peu la même réflexion que l’on peut faire à propos d’Emmanuel Macron. Quelle va être sa pratique du pouvoir : va-t-il "déprésidentialiser" la Vème République, donc renforcer le rôle du Parlement, ou au contraire la "représidentialiser" ? Sa préférence semble nettement aller vers une conception pyramidale du pouvoir, comme il a d’ailleurs voulu le démontrer symboliquement le soir de son élection, avec son arrivée solitaire et solennelle devant la pyramide du Louvre. Cette conception verticale peut heurter certains de ses électeurs, mais elle peut aussi en rassurer d’autres. Elle incite à penser qu’Emmanuel Macron a compris qu’en France, et plus particulièrement dans la période actuelle, une partie de l’opinion publique attend un chef d’Etat, voire un homme à poigne, proposant des réformes et les menant à leur terme. Son intention de réformer par ordonnances est conforme à cette dimension présidentielle. La procédure des ordonnances, qui permet au gouvernement de rédiger lui-même la loi, inquiète beaucoup la gauche, mais elle n’est pas en soi anti-démocratique puisqu’elle est encadrée par le Parlement. Son avantage est de pouvoir accélérer les procédures, ce qui est probablement la seule manière pour Emmanuel Macron de mener à bien son projet de réforme du code du travail en échappant à la contestation sociale.

Il reste que cette situation est étonnante : alors qu’on attendait l’autoritarisme du côté de Marine Le Pen, voilà qu’il arrive du côté d’un président jeune et libéral, celui-là même qui est censé avoir écarté la menace. En tout cas, ceux qui s’opposeront à Emmanuel Macron vont avoir du mal à expliquer leur renversement d’analyse. 

Dans quelle mesure En Marche peut-il s'insérer dans le cadre de la démocratie représentative ? Quels avantages offrent encore les partis traditionnels dans ce cadre précisément ? 

Jean-Sébastien Ferjou : On voit bien qu'En Marche fantasme sur le fait de produire son story telling mais le mouvement est obligé d'apprendre sur le tas comment fonctionnent les médias et la démocratie représentative. Les vieux partis sont peut être déconsidérés mais ils restent des creusets de la démocratie. Ils ont certes pu fonctionner comme des machines à faire tourner les pulsions népotistes mais ils sont aussi le lieu où se gèrent les conflits politiques. La démocratie, ce n'est pas la négation de ces conflits ni de ces rivalités de personnes, c'est leur organisation. Une démocratie représentative, c'est précisément savoir gérer les intérêts divergents qui peuvent exister entre les régions, entre les courants politiques, entre les personnes. Le rôle d'un parti dans une démocratie représentative, c'est aussi d'être le creuset dans lequel se construisent les projets politiques, en confrontant et organisant la cohabitation des intérêts forcément divergents des diverses catégories sociaux- professionnelles qui composent la société française.  

Un mouvement nouveau comme En Marche est par nature -s'il veut assurer sa pérennité et sa consolidation- dans un fonctionnement beaucoup plus vertical que dans un parti dont la fonction est de gérer la confrontation des intérêts à l'horizontale. Outre le marketing dans le choix des visages, on voit bien que l'un des critères centraux dans la sélection des candidats de La République en marche est leur capacité à obéir aux décisions venues d'en haut. Le mandat impératif est inconstitutionnel en France, en revanche il a été demandé à ses candidats de garantir leur "obéissance" pendant la durée du quinquennat. 

Vincent Tournier : En Marche suit le cheminement classique d’un parti politique en voie de constitution. Sa seule particularité est d’avoir été fondé par un leader charismatique, mais cette situation n’est pas si rare. Il faudra voir si le mouvement s’inscrit ou non dans la durée. Pour l’heure, ce qui est le plus frappant, c’est surtout l’amateurisme qui a prévalu lors de la présentation de la liste des candidats aux législatives. Déjà, l’annonce de la liste a dû être reportée par rapport à la date initiale. Puis, on a appris qu’il y avait de nombreuses bévues : certains candidats n’étaient pas censés figurer sur la liste, un autre candidat ne correspondait pas aux critères revendiqués par le mouvement (lesquels ont d’ailleurs évolué au cours du temps), un autre encore avait un profil sulfureux au point d’être mis de côté à la suite des protestations du CRIF, etc. Et pour finir, le Modem de François Bayrou se plaint en disant que les accords électoraux n’ont pas été respectés. 

La jeunesse du mouvement est évidemment à l’origine de ces bévues : il est clair qu’En Marche n’a pas l’expérience et le rodage des partis traditionnels. Mais est-ce seulement une question de rodage ? La procédure suivie est elle-même problématique. En faisant appel à des candidatures spontanées, qui se sont multipliées (ce qui montre au passage qu’il y a une demande), il fallait s’attendre à ce que toutes les informations ne puissent pas être vérifiées. De plus, cette procédure a beau se vouloir ouverte, elle s’avère finalement moins claire et transparente que dans les partis traditionnels, où il existe au moins des statuts, et où les militants sont souvent appelés à trancher par un vote. Ici, c’est un petit groupe de personnes qui a joué un rôle déterminant. Donc, derrière la prétention à vouloir innover et démocratiser, le mouvement En Marche renoue finalement avec une procédure très centralisée.

Mais un problème plus important se pose. En se réservant la possibilité de faire des choix parmi une vaste liste d’individus dont beaucoup sont inconnus et inexpérimentés, En Marche peut certes se targuer d’être fidèle à sa promesse de renouveler la classe politique, mais il se donne surtout la possibilité de disposer d’une main d’œuvre relativement docile à l’Assemblée nationale, ce qui est d’ailleurs cohérent avec la conception verticale du pouvoir. Cette question du contrôle des parlementaires est importante parce que la loi qui est annoncée sur la moralisation de la vie politique va dans le même sens : certaines mesures, comme la limitation du nombre de mandats ou la diminution du nombre de parlementaires, peuvent faire plaisir aux électeurs, mais elles vont aussi avoir pour effet de faciliter le contrôle de l’exécutif sur le Parlement. La morale n’est pas toujours une source de démocratisation.

De nombreux cadres ont été investis pour les législatives sous la bannière La République en marche. Comment la sociologie de ces candidats pourrait-elle affecter la conduite des affaires ? N'y aurait-il pas un parallèle historique à faire avec le Second Empire ? 

Jean-Sébastien Ferjou : Beaucoup des candidats La République en marche sont des cadres. Ainsi, il y aurait une comparaison à établir avec le Second Empire. Les forces vives de ce dernier étaient constituées par cette nouvelle bourgeoisie à laquelle la monarchie de Juillet avait permis de s'enrichir mais qui restait contrainte par la monarchie traditionnelle. On pourrait donc se demander si En Marche n'incarnerait pas aussi cette nouvelle bourgeoisie émergée avec la mondialisation, qui domine déjà de facto le système mais qui était encore entravée par les vieux modes de représentation. Avec Emmanuel Macron, ils accèdent au pouvoir en ayant les coudées franches.

Vincent TournierLe parallèle avec le Second empire est un peu forcé car ce régime s’est mis en place à la suite d’un coup d’Etat, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cela dit, la comparaison n’est pas inintéressante sur le plan économique : nous vivons effectivement une révolution liée à la mondialisation, comme jadis le Second Empire a vécu une révolution liée à l’industrialisation et à la mécanisation. Dans les deux cas, il se produit des mutations profondes dans les structures et les hiérarchies sociales. Certains milieux en sortent gagnants, d’autres perdants. Le vote en faveur d’Emmanuel Macron est surtout porté par les gagnants de la mondialisation, ceux qui font partie des milieux diplômés des grands centres urbains. Il sera donc intéressant d’analyser en détail quelles sont les caractéristiques des personnes qui ont déposé leur candidature, et surtout quelles sont les caractéristiques des personnes qui ont été retenues.

Pour l’instant, on doit se contenter de commenter les qualités que les dirigeants d’En Marche eux-mêmes mettent en avant. Parmi ces qualités, on trouve d’abord l’âge puisqu’il est indiqué que les candidats ont 46 ans en moyenne, contre 60 ans pour les députés sortants (la jeunesse est souvent le premier indice du renouvellement des élites) ; on y trouve également la parité hommes/femmes, ou encore le caractère novice des candidats en politique, ou encore le fait d’avoir une activité.La classe sociale n’est pas mentionnée, mais ce n’est pas très surprenant. Ce qui, en revanche, est plus curieux, c’est qu’En Marche ne met pas en avant l’appartenance aux minorités ethniques ou religieuses, alors que ces critères sont aujourd’hui souvent mentionnés par ceux qui considèrent que les élites françaises ne sont pas assez représentatives. Cette absence interroge : s’agit-il simplement d’une difficulté pour trouver des candidats issus de l’immigration ? Ou bien est-ce parce qu’Emmanuel Macron souhaite mettre de côté cette dimension afin de ne pas donner prise aux critiques ou aux rumeurs sur son penchant pro-immigrationniste et pro-islam ? Ce serait étonnant : on imagine au contraire tout le bénéfice politique qu’il pourrait tirer si ses adversaires lui reprochaient d’être trop favorable aux immigrés. En fait, il serait même assez logique qu’En Marche se présente comme le parti des nouvelles couches montantes, le parti des élites de demain, donc des personnes issues de l’immigration. Mais peut-être fait-il attendre le début de la campagne pour que les arguments de ce type se mettent en place de manière plus explicite. 

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