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"Putain, on a flingué Juppé pour Fillon !” : dans les coulisses de la déroute de Nicolas Sarkozy lors de la primaire
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Bonnes feuilles

Durant une année, les auteurs ont infiltré les états-majors, recueillant confidences inédites. Jusqu'au 7 mai, ils ont été les témoins privilégiés des alliances, des trahisons et de tous les coups de théâtre. Ils révèlent comment se sont joué le shakespearien renoncement de Hollande puis les descentes aux enfers de Juppé, Sarkozy et Valls. Extrait de "Les dessous d'une présidentielle insensée" de Soazig Quéméner et Alexandre Duyck, aux Editions Flammarion (1/2).

Soazig Quéméner

Soazig Quéméner

Soazig Quéméner a 36 ans. Entrée au Journal du dimanche en 1999, elle y a suivi les dossiers « Environnement » et « Religion » avant d’entrer au service politique en 2010.

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Alexandre Duyck

Alexandre Duyck

Alexandre Duyck est journaliste et écrivain. Il a été grand reporter au Journal du Dimanche jusqu'en janvier 2015 et collabore à l'émission L'Effet Papillon sur Canal +.

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Tôt dans la soirée, le candidat arrive au QG de 400 mètres carrés qu’il a loué, au 209 rue de l’Université, à l’ombre de la grande oeuvre de Jacques Chirac, le musée du Quai Branly. Il réunit autour de lui sa garde rapprochée pour analyser les résultats. Plus le temps passe, et plus les nouvelles sont mauvaises, très mauvaises. Nicolas Sarkozy est bien éliminé. Dès ce premier dimanche de vote. C’est fini, les portes de l’Élysée viennent définitivement de se claquer devant son nez. En dépit de ses efforts, il ne sera pas une troisième fois candidat à la présidence de la République.

Sur son nom, il a réuni 886 137 voix. Une belle performance, n’était le nombre de votants. Explosant les plus optimistes des pronostics, 4,3 millions de personnes se sont déplacées pour choisir le candidat de la droite et du centre à la présidentielle. Et 44 % d’entre elles ont voté pour François Fillon, contre 28,56 % pour Alain Juppé et 20,67 % pour Nicolas Sarkozy.

Autour de l’ancien président, les mines s’allongent. À cause de la raclée électorale bien entendu, mais également parce que ces élus viennent de mesurer leur terrible bévue. Et de comprendre le mécanisme infernal qu’ils ont eux-mêmes mis en place, qui a broyé leur candidat et propulsé Fillon, l’ancien « collaborateur » jusqu’aux sommets. « On se dit tous : “Putain, on a flingué Juppé pour Fillon !” », résume l’un des participants à cette bérézina. Les attaques en règle contre le maire de Bordeaux n’ont donc profité qu’au Sarthois.

Plus tard, une analyse fine des résultats du premier tour de la primaire, La Guerre des trois 1, menée par le politologue Jérôme Fourquet et le démographe Hervé Le Bras pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès, montrera l’autre erreur de Sarkozy. Il s’est totalement trompé de cible électorale. Avec son discours populiste destiné aux classes populaires, il n’a mobilisé lors de ce premier tour que le contingent le plus droitier des votants, à l’exclusion des autres. « La répartition des suffrages exprimés en faveur de Nicolas Sarkozy est extraordinairement proche de celle des votes en faveur de Marine Le Pen au premier tour de la dernière élection présidentielle en 2012 », écrivent ainsi les deux chercheurs. L’ex de l’Élysée n’a pas mobilisé dans les grandes villes. Et, surtout, l’ancien président bling-bling a attiré des électeurs dans les zones où le revenu médian est le plus bas. Ou, plus exactement, il a eu d’autant moins de succès que les communes sont riches. « Lui qui est fasciné par les riches et qui les côtoie a été sèchement rejeté par eux », remarquent encore les chercheurs. Ainsi à Neuilly, dont il fut pourtant le maire, Nicolas Sarkozy n’a recueilli que 20 % des voix contre 61,9 % pour son ancien Premier ministre.

Mais, malgré ces résultats qui arrivent de toute la France et qui montrent que Nicolas Sarkozy n’a guère été soutenu que par la Corse, dans le Nord-Est et sur le rivage méditerranéen, l’heure au QG n’est pas à plus d’introspection, ni même à l’autopsie de la campagne. Il faut préparer l’intervention du désormais ex-candidat devant la presse. En faveur de qui l’ancien président va-t-il se prononcer pour le second tour ? Laurent Wauquiez, le président de la région Rhône-Alpes-Auvergne et Brice Hortefeux, qui en est le vice-président, lui conseillent de se taire, de ne pas donner de consigne de vote. Très calme selon les témoins, le candidat défait ne les écoute pas. L’ex de l’Élysée n’hésite pas très longtemps. Malgré le combat politique, il a toujours apprécié Alain Juppé. « Il a vraiment du respect pour lui. Il passe son temps à dire du mal mais, paradoxalement, il en dit finalement assez peu de Juppé », observe l’un de ses proches.

La logique politique penche pourtant vers François Fillon qui, de toute manière, est quasiment assuré de l’emporter le dimanche suivant. « Entre le projet de Juppé et celui de Fillon, il n’y a même pas une hésitation à avoir », remarque l’un de ses lieutenants. Nicolas Sarkozy, fidèle à son complexe de supériorité, ajoute un dernier argument : « Et puis François Fillon a été mon Premier ministre. »

Le voilà donc prêt à s’exprimer. Il rejoint la salle de presse et s’avance vers le pupitre pour une allocution qui va sonner bien étrangement aux oreilles de ceux qui étaient déjà à la Mutualité, quatre ans et demi plus tôt, au soir de sa défaite contre François Hollande. Une nouvelle fois, Nicolas Sarkozy soigne sa sortie. Il apparaît comme apaisé, presque soulagé. « Je ne suis pas parvenu à convaincre une majorité d’électeurs. Je respecte et je comprends la volonté de ces derniers de choisir pour l’avenir d’autres responsables politiques que moi », explique-t-il, comme si, bien avant l’élimination de Juppé la semaine suivante, puis l’abdication de François Hollande, il avait compris à quel point une période de « dégagisme » des élus, selon le barbarisme employé par Jean-Luc Mélenchon, venait de s’ouvrir. Avant d’ajouter : « J’ai beaucoup d’estime pour Alain Juppé, mais les choix politiques de François Fillon me sont plus proches. Les électeurs qui m’ont fait confiance sont naturellement libres de leur décision. Je leur demanderai cependant de ne jamais emprunter la voie des extrêmes. La France mérite tellement mieux que le choix du pire. Quels que soient mes désaccords passés, François Fillon me paraît avoir le mieux compris les défis qui se présentent à la France. Je voterai donc pour lui pour le second tour de la primaire. » Devant ses supporters, Nicolas Sarkozy esquisse un retrait définitif de l’avant-scène politique : « Il est donc temps pour moi d’aborder une vie avec plus de passions privées et moins de passions publiques. » Des cris résonnent dans la salle de presse : certains membres de son équipe de campagne sont en larmes. Les élus sont totalement sous le choc.

« On peut se raconter des histoires, on n’a rien vu venir. On s’est pris un trente-huit tonnes dans la gueule, avoue Christian Jacob. C’est violent. J’ai aussi trouvé cela très injuste. » Avec le zèle des nouveaux convertis, Jacob raconte une campagne quasi idéale, vue du côté des élus. « Il ne s’énervait pas, il nous écoutait, il était très calme et très serein. Il était finalement plus prêt à être candidat qu’il ne l’avait jamais été. Cela a été d’autant plus violent pour nous », raconte le patron des députés Les Républicains à l’Assemblée. Ancien directeur général de la police, entré en politique par (ou pour) Nicolas Sarkozy, Frédéric Péchenard admet lui aussi sa surprise : « Je pensais qu’il serait absolument au second tour. Et ce n’est que pour la suite des opérations que j’étais inquiet. » Sans autre forme de préavis, François Baroin, dépité, qui voit ses rêves de Matignon s’éloigner au galop, annule son interview prévue le lendemain matin dans la matinale de LCI.

Sarkozy s’efface donc, éliminé par François Fillon et un autre ancien Premier ministre qu’il campait en privé en « septuagénaire de gauche ». « Il n’avait pas prévu cela. Il savait que cela serait dur. Mais il pensait qu’il serait en tête au premier tour », reconnaît l’un de ses amis, qui remarque : « Dans la vie, Nicolas Sarkozy avait déjà réalisé son ambition : être président de la République, mais il voulait réussir son retour. Il le répétait souvent. Il voulait être le premier ex-président à réussir son retour. » Un autre écrit déjà son oraison funèbre : « Il répète souvent qu’il a eu la chance de connaître dans sa vie des moments très exaltants et d’autres beaucoup plus difficiles, finalement, c’est un personnage de tragédie, Nicolas Sarkozy. »

Leur déception passée, les sarkozystes ont fini par analyser les raisons de la défaite. «D’abord il y a eu un rejet net de ceux qui avaient déjà été là. Ensuite l’accumulation des affaires qui a été comme une musique de fond permanente à cette primaire : les électeurs ont pensé que Nicolas Sarkozy allait être empêché », observe encore Frédéric Péchenard. Mais, surtout, l’élu parisien estime que l’équipe de Sarkozy, comme celle de Juppé, trop occupées à attaquer celui qu’elles pensaient être leur adversaire principal, ont négligé ce qu’il appelle « la théorie du troisième homme ». « Un poste se libère. Deux hommes se battent. La bagarre se joue entre deux. Mais on a oublié qu’il y a un troisième candidat. Celui-ci est épargné. Et c’est celui-là que les électeurs choisissent, c’est Fillon. » Un autre résume ainsi cette équation tragique pour les deux ténors de la droite : « L’un ne plaisait plus, l’autre ne plaisait pas, alors les électeurs se sont rabattus sur le troisième. »

Extrait de "Les dessous d'une présidentielle insensée" de Soazig Quéméner et Alexandre Duyck, aux Editions Flammarion

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