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Vote de classe : l'effet richesse, clé de la carte électorale favorable à Emmanuel Macron
©Ifop

Dessous des cartes

Ce à quoi nous assistons est une mise en conformité du paysage électoral et de l’offre politique avec les nouveaux clivages économiques, sociaux et sociétaux qui parcourent notre pays depuis au moins une vingtaine d’années.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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1- La géographie du « macronisme » électoral

Le vote Macron est puissant sur la majeure partie la façade Ouest. C’est le cas en Bretagne, dans les Pays-dela-Loire mais aussi dans la majeure partie de la Nouvelle Aquitaine, sur les départements littoraux (Gironde et Pyrénées-Atlantiques) comme loin à l’intérieur des terres : Haute-Vienne et Corrèze. Cette audience importante du macronisme s’observe également dans bon nombre de départements de l’ancienne région Midi-Pyrénées : Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Aveyron. Dans le Massif central, cette influence se prolonge dans le Cantal et le Puy-de-Dôme.

Parallèlement à ce large croissant courant du sud du Massif central jusqu’au nord de la Bretagne, la France urbaine constitue le second socle du macronisme électoral. La carte de ce vote fait en effet ressortir très nettement l’armature urbaine du pays. On voit ainsi apparaître en vert sur la carte les principales agglomérations du pays : la région parisienne, mais aussi Lille, Amiens (dont il est originaire), Rouen, Caen, Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Grenoble, Lyon (fief de l’un de ses premiers soutiens Gérard Collomb), Strasbourg, Metz, Nancy et Dijon. Dans ces grandes villes qui sont souvent des métropoles universitaires, il a été soutenu par le vote des cadres et des diplômés du supérieur, catégories qui ont le plus fortement opté pour lui d’après le sondage réalisé par l’Ifop au premier tour. Mais le survote en faveur d’Emmanuel Macron perdure souvent dans la première couronne. Comme le montre le graphique suivant, il atteint 27,2% en moyenne dans les communes situées à moins de 10 kilomètres du cœur d’une aire urbaine de plus de 200 000 habitants. Son score moyen reste proche de la moyenne nationale (24,4% contre 23,9% au plan national) dans les zones distantes de 10 à 20 kilomètres du centre d’une aire urbaine importante, puis tombe ensuite à 22,5% en moyenne entre 20 et 30 kilomètres avant d’atteindre son point bas (21,4 et 21,2%, ce qui constitue néanmoins un plancher assez robuste) dans les communes situées entre 30 et 50 kilomètres. Le score reste bloqué sous la barre des 22% en moyenne jusqu’à 60 kilomètres avant de reprendre un peu de vigueur ensuite. La trajectoire que décrit ce vote en fonction de ce que l’on appelle le gradient d’urbanité indique que nous sommes bien en présence d’un vote d’abord métropolitain et citadin même si le macronisme électoral a su aussi rencontrer un écho (un peu moins puissant) dans les zones rurales.

Il est intéressant de constater que le profil de ce vote selon le critère du gradient d’urbanité correspond au négatif (au sens photographique du terme) quasi-parfait du vote FN. C’est en effet dans le grand péri-urbain que, comme lors des précédents scrutins, Marine Le Pen a enregistré en moyenne ses meilleures performances : 25,5% (contre 21,4% en moyenne nationale) dans les communes situées entre 30 et 50 kilomètres du cœur d’une aire urbaine, et 25 à 24% dans les deux strates suivantes (50 à 70 kilomètres), soient précisément les types de communes qui ont le moins succombé au charme d’Emmanuel Macron. A l’inverse, dans le cœur des métropoles, structurellement les plus acquises au candidat d’En Marche!, le FN enregistre en moyenne ses moins bons scores (15,4%) et le tassement amorcé lors des précédents scrutins se confirme alors que la dynamique frontiste dans le grand péri-urbain se renforce. 

Si le vote Macron est donc puissant dans les grandes agglomérations et qu’il y surclasse son adversaire du second tour, le tropisme urbain du macronisme électoral s’observe également dans le cas de villes de second rang qui accordent des scores significatifs au candidat d’En Marche! On distingue ainsi sur la carte l’agglomération de Compiègne, de Saint-Lô, de Laval, de Cholet, de La Roche-sur-Yon, de Niort, de Bourges, de Limoges, de Rodez ou bien encore d’Arras par exemple.

D’autres points d’appui ressortent également : il s’agit de zones aisées ou de villégiature notamment balnéaire. En suivant le littoral du nord au sud, on peut citer par exemple la région du Touquet (où le couple Macron possède une maison), la Côte fleurie (Trouville, Deauville, Honfleur), le littoral de la Manche autour de Granville, la côte bretonne avec des scores importants dans le Golfe du Morbihan, la Baule, la côte atlantique de la Vendée à Biarritz apparaît également en vert sur la carte, ce qui n’est pas le cas du littoral méditerranéen sous influence frontiste. Une fois encore, la géographie de ces deux forces qui vont s’affronter au second tour semble totalement antagoniste.

En région parisienne, les communes aisées de l’ouest francilien (Hauts-de-Seine et une partie des Yvelines)mais aussi la région de Fontainebleau ont davantage voté Macron tout comme les communes huppées des Monts d’Or dans l’ouest lyonnais ou les communes situées en bordure du lac Léman. A l’effet richesse s’ajoute sans doute pour ces communes la présence de frontaliers, population disposant d’un bon niveau de vie et proeuropéenne. On retrouve ce phénomène sur la frontière alsacienne et en Moselle à la frontière luxembourgeoise.

L’effet richesse ou le vote de classe que laissent entrevoir ces exemples et les données de sondage, avec un vote Macron particulièrement important parmi les cadres et les professions libérales (37%) et beaucoup plus faible dans les catégories populaires (16%), se vérifient quand on calcule le niveau moyen de ce vote selon la proportion de foyers fiscaux de la commune assujettis à l’impôt sur le revenu. Plus la part de foyers fiscaux payant l’IR est élevée et plus l’ancien banquier d’affaires a obtenu des résultats impressionnants (28,8% dansles communes privilégiées dont 80% ou plus des habitants sont redevables de l’IR). Son score décline en revanche parallèlement avec le taux d’assujettis pour atteindre seulement 16,3% en moyenne dans les communes où moins de 4 contribuables sur 10 acquittent cet impôt. Dans ces communes particulièrement modestes, le vote FN culmine quant à lui et atteint un score deux fois plus élevé que celui de son rival (32,2% contre 16,3%) alors qu’il est deux fois plus faible que le niveau du vote Macron (14,7% contre 28,8%) dans les villes les plus favorisées. 

Comme le montre le graphique ci-dessus, les structures de ces deux votes s’opposent donc également caricaturalement sur ce critère comme c’était le cas sur le gradient d’urbanité et sur le plan cartographique.

2- La carte du vote Macron : le parfait décalque inversé du vote FN

On peut en effet, certes considérer que la géographie du macronisme doit sa physionomie à sa nature syncrétique, cet électorat étant né de l’agrégation de différents apports. On y décèle ainsi la dot de François Bayrou avec son implantation dans les Pyrénées-Atlantiques et certains départements du Grand ouest et du sud du Massif Central. A cette assise, qui correspond en partie aux restes du vote démocrate-chrétien, s’arriment des terroirs socialistes comme le Lot, le sud de l’Aveyron, la Corrèze hollando-chiraquienne ou bien encore le Puy-de-Dôme ou la Haute-Vienne ainsi que la Bretagne, où le soutien des centristes et de toute une partie du PS (dont le très populaire président de Région, Jean-Yves Le Drian) débouchent sur une domination sans partage du leader d’En Marche! Mais quelle que soit l’échelle à laquelle on réalise l’analyse, ce qui apparaît en fait de nature particulièrement criante c’est que les deux candidats qui vont s’affronter au secondtour ont été portés au premier tour par deux France qui s’opposent terme à terme. Dans une symétrie des formes quasiment parfaite, la carte du vote Macron est en fait le décalque en négatif du vote Le Pen. On l’a vu pour ce qui était de l’opposition agglomérations et métropoles versus zones péri-urbaines, on le constate également au plan régional. Le leader d’En Marche! enregistre ses plus faibles scores dans les bastions frontistes que sont le quart Nord-Est du pays, la très grande périphérie francilienne et le prospère littoralméditerranéen, à l’inverse de la façade ouest, du Sud-ouest, du Rhône-Alpes et de la région parisienne, soitautant de régions où le FN est à la peine. Cet antagonisme parfait se décline également au plan infra-régional avec par exemple dans le cas du Sud-Ouest, un vote Macron nettement plus faible dans la basse vallée de la Garonne (de Toulouse à Bordeaux), traditionnelle enclave frontiste dans cette région, assez hermétique par ailleurs au lepenisme.

Cette géographie du macronisme ne renvoie pas une cartographie connue de l’affrontement entre la gauche et la droite ni à l’implantation historique du catholicisme ou du communisme (Jésus et Marx pour reprendre la formule d’Emmanuel Todd et Hervé Le Bras) qui ont dessiné l’ossature géographique des principaux électorats français depuis l’introduction du suffrage universel. Cette carte du vote Macron ressemble davantage à la France du « oui » apparaissant à l’occasion des référendums européens (une bonne partie de l’Alsace en moins). Ce qui la structure, ce n’est pas la survivance d’héritages politiques anciens mais plutôt un rapport à l’avenir. On a pu définir le macronisme comme un optimisme. Une enquête de l’Ifop pour L’Obs2 a ainsi montré que les électeurs d’Emmanuel Macron se caractérisaient par le taux le plus élevé d’optimisme, 72% d’entre eux se déclarant optimistes vis-à-vis de l’avenir du pays contre seulement 47% dans l’ensemble de la population et uniquement 29% dans l’électorat frontiste, ces deux électorats se retrouvant une nouvelle fois littéralement à fronts renversés. 

Cette relative confiance dans les chances du pays s’ancre d’abord dans la perception que ces électeurs ont de leur propre région. Or il est frappant de constater que l’opposition des deux France, celle soutenant Macron et celle soutenant Le Pen, renvoie précisément à des cartes3 qui montrent que la perception du degré de prospérité et de dynamisme économique de sa région par les populations locales a suivi des trajectoires radicalement opposées sur une cinquantaine d’années. Alors qu’au début des années 60, les habitants des régions industrielles du nord et de l’est se voyaient comme vivant dans des zones tirant l’économie nationale, ils se perçoivent comme résidant aujourd’hui dans des régions en déclin. Le processus de désindustrialisation a très durement frappé ces régions dont les populations locales, et notamment ouvrières, ressentent un sentiment de décrochage par rapport aux générations précédentes, ce sentiment de déclin collectif et individuel nourrissant le vote FN. Dans l’ouest à l’inverse, les habitants ont actuellement l’impression de vivre dans des régions économiquement plutôt préservées et assez dynamiques, sentiment qui n’était pas du tout présent il y a 50 ans. Même si la situation actuelle peut parfois être difficile, le sentiment majoritaire qui prévaut est celui d’une élévation du niveau de vie par rapport à la génération précédente, climat psychologique nettement moins propice au développement du vote FN.

Ces différences en termes de situation objective comme de ressenti, se traduisent très concrètement au plan électoral. Depuis une trentaine d’années, le FN s’est installé dans cet espace de la désindustrialisation et dans cette France se ressentant objectivement en déclin. Il y a fait son nid et y consolide ses positions élection après élection. Mais jusqu’alors, aucune force politique n’avait été capable d’occuper à elle seule l’autre espace, celui de la France optimiste et en relativement bonne santé, le PS, la droite et le centre s’en partageant les parties tout en conservant quelques enclaves historiques dans l’autre France. A l’occasion de ce scrutin où, pour des raisons diverses (les fractures exacerbées lors du quinquennat Hollande pour le PS, l’affaire Fillon pour Les Républicains) les deux grandes forces politiques traditionnelles ont été fragilisées, une offre politique nouvelle, pro-européenne et défendant les opportunités offertes par la globalisation, a pu émerger et se hisser au second tour. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur les couches sociales et les territoires les plus dynamiques et les moins fragilisés. En ce sens, ce premier tour est historique car c’est à cette occasion qu’un parti du « oui » unifié est véritablement né en s’ancrant dans une sociologie et une géographie qui lui sont propres. Le FN qui occupait de longue date la même fonction de parti-étendard mais pour la France du « non » vient de trouver pour la première fois son opposant parfait qu’il va affronter de surcroît au second tour. Bien, encore une fois, que des conditions particulières aient conduit à l’élimination du PS et des Républicains, ce duel inédit au second tour revêt une signification majeure et représente l’aboutissement d’un long processus. En effet, ce à quoi nous sommes en train d’assister est une mise en conformité du paysage électoral et de l’offre politique avec les nouveaux clivages économiques, sociaux et sociétaux qui parcourent notre pays depuis au moins une vingtaine d’années. La question du conflit capital/travail avait joué un rôle déterminant dans la genèse des partis ouvriers à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Nous sommes manifestement aujourd’hui à un nouveau stade de l’évolution économique de nos sociétés et à ce nouveau stade correspond une nouvelle ligne de clivage entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, pour faire simple. Cela se traduit notamment en termes de maîtrise du capital culturel d’où l’importance d’une variable comme le niveau de diplôme dans la structuration des votes. Les données de l’Ifop4 indiquent en effet que moins on était diplômé, plus on a voté pour Marine Le Pen alors que les diplômés optaient massivement pour Emmanuel Macron et très peu pour le FN.

On a d’ailleurs observé le même phénomène lors de l’élection présidentielle autrichienne mettant aux prises un candidat d’extrême-droite et un écologiste. C’était également le cas en Grande-Bretagne lors du Brexit et aux Etats Unis où le niveau d’éducation a joué un rôle majeur dans le choix électoral de la population blanche entre Clinton et Trump. Ainsi, la configuration du second tour est certes la conséquence du contexte politique français actuel mais traduit également des mouvements sociologiques et idéologiques de fond à l’œuvre dans tous les pays développés.

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