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Pourquoi les bulles financières sont inévitables
©REUTERS / Russell Boyce

Bonnes feuilles

Nos dirigeants ont-ils tiré les leçons de la crise financière mondiale de 2008 ? Une telle catastrophe peut-elle se reproduire ? De toute part, on se veut rassurant : les banques seraient mieux encadrées, plus solides… Et pourtant, moins de dix ans après le krach, la dette mondiale a été multipliée par quatre ! Dans cet ouvrage détonnant, Lord Adair Turner livre un verdict implacable. Extrait de "Reprendre le contrôle de la dette" de Lord Adair Turner, aux Editions de l'Atelier (1/2).

Adair Turner

Adair Turner

Adair Turner est l'ancien Président de l'Autorité des services financiers du Royaume-Uni, ancien membre du Comité de la Bank of England en charge de la stabilité globale du système financier, ancien membre de la Commission des retraites, aujourd'hui Président du think tank "Institute for New Economic Thinking", créé à la suite de la crise financière mondiale de 2008. Son livre "Between Debt and the Devil" paraîtra aux éditions Princeton University Press à l'automne 2015.

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Depuis qu’existent des transactions sur des marchés financiers, ou même sur des actifs réels, la finance a été sujette à des poussées d’exubérance irrationnelle, suivies de moments de panique et de désespoir, et à des volatilités que les fondamentaux économiques ne peuvent expliquer. Le livre de Charles Kindleberger, Histoire mondiale de la spéculation financière, en décrit de nombreux exemples depuis la bulle sur le marché des bulbes de tulipe aux Pays-Bas en 1635-1637 jusqu’à la flambée des valeurs boursières  américaines de la fin des année 1920 suivie de l’effondrement de 1929 et au boom du Nasdaq a` la fin des année 1990, en passant par les bulles des Compagnies des mers du Sud et du Mississippi en 1719-1720. Parfois, comme pour la bulle des tulipes, les investisseurs furent prêts a` payer des prix toujours plus élevées  pour des actifs dont la « valeur » réelle e´tait intrinsèquement arbitraire : au début de l’automne 1636, une livre de switzers (une variété particulière de bulbes) coutait 60 florins ; au 1er février 1637, le prix était monté jusqu’a` 1 400 florins, et deux semaines plus tard il atteignait son sommet à 1 500 florins. 

Dans l’effondrement qui suivit, certains prix chutèrent de 99 % 10. Lors d’autres frénésies, comme la bulle de la Compagnie des mers du Sud, les investisseurs crurent pendant un temps a` des histoires fantaisistes sur des projets largement frauduleux. Et dans les cycles de bulles, puis de krachs les plus douloureux, la spéculation financée par le crédit joua un rôle essentiel ; c’est un thème clé´ sur lequel nous reviendrons dans les parties II et III. Mais dans tous les cas, la fixation des prix se basait sur des croyances et sur des actes inexplicables en termes d’EMH ou de REH. C’est particulièrement e´vident dans les exemples extrêmes étudiés par Kindleberger et, avant lui, par Charles MacKay dans son livre paru en 1841, Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds. C’est aussi manifeste dans le cas de brusques effondrements du marche´ : aucune « information nouvelle » ne justifia de manière rationnelle la chute de 23 % de l’indice Dow Jones entre l’ouverture et la fermeture de la bourse le lundi 19 octobre 1987.

Mais comme l’a montré l’économiste Robert Shiller, on peut plus généralement observer ceci : la volatilité des marchés d’actions au cours du XXe siècle est trop importante pour s’expliquer par des variations plausibles des flux de trésorerie futurs, sur lesquels est basé le cours des actions selon la théorie des marche´s efficients 12. Le niveau global des cours de bourse oscille continuellement, pour des raisons inde´pendantes de toute information nouvelle sur les perspectives des entreprises, et il lui arrive de diverger radicalement de toute estimation raisonnable d’une valeur fondamentale. Le schéma 2.1 montre l’évolution de l’indice Nasdaq des valeurs de la haute technologie lors de la flambe´e d’Internet : parti de 1 000 en juillet 1995, il atteignit un pic à 5 048 en mars 2000, avant de retomber à 1 108 en octobre 2002. Sa valeur cumulée à son maximum en 2000 ne peut en aucun cas être justifiée par les flux de trésorerie prospectifs de toutes les entreprises combinées : quand cette réalité se fit jour, l’inévitable chute s’ensuivit. C’était l’exubérance irrationnelle en action.

Cinq facteurs expliquent pourquoi ces bulles puis ces effondrements sont inévitables. Le premier est que le processus de prise de décision par les individus n’est pas totalement rationnel. Comme le dit Andrew Haldane, « quand nous prenons des décisions intertemporelles difficiles, nous sommes littéralement divise´s entre nos deux cerveaux  ». Notre cerveau combine un cortex préfrontal capable d’une analyse patiente et rationnelle et un système limbique qui nous rend enclin à des réactions émotionnelles instinctives. Nous sommes les fruits de l’évolution, qui nous confère une capacité unique de pensée rationnelle mais nous soumet aussi naturellement aux effets de troupeau, parce que suivre le groupe, la bande, la tribu, est un élan qui a été important pour la survie à une certaine étape de notre histoire évolutionnaire.

Extrait de "Reprendre le contrôle de la dette" de Lord Adair Turner aux Editions de l'Atelier

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